when the light breaksAu cinéma, le deuil est souvent raconté comme un processus linéaire : le choc, la douleur, l’acceptation, la résilience. When the Light Breaks, de l’islandais Rúnar Rúnarsson aborde le thème un peu différemment, en s’intéressant à un personnage dévasté par la perte de l’être aimé, mais dans l’impossibilité d’exprimer sa douleur.

Una (Elín Hall) vient en effet de perdre son amant, Diddi (Baldur Einarsson). La veille au soir, ils étaient ensemble sur la plage d’une petite ville côtière d’Islande, observant l’horizon et les promesses d’un avenir radieux. Mais au petit matin, Una s’est réveillée seule. Diddy est parti pour Reykjavik. Et nous, spectateurs, pressentons que ce départ est définitif. Car la séquence d’ouverture, un long plan-séquence, nous a déjà préparés à l’inéluctable. Un tunnel d’autoroute, des lumières qui défilent, puis un basculement imperceptible dont on devine facilement les conséquences.
Quand tombe finalement l’annonce fatidique, nous comprenons très vite la situation. Una, elle, est évidemment sous le choc. Non seulement elle vient de perdre l’homme de sa vie, mais c’est aussi tout son avenir qui s’effondre brutalement, tous leurs projets de voyages, de vie à deux… Mais la jeune femme doit encaisser la nouvelle sans pouvoir laisser sortir sa douleur et sa peine.

Le problème, c’est que la relation entre Una et Diddy était secrète. Ils faisaient partie du même cercle d’amis, mais avaient pris soin de cacher soigneusement leur idylle, débutée quelques mois auparavant, aux autres membres du groupe. Pour tous leurs proches, Una et Diddy étaient donc de simples camarades, le jeune homme étant officiellement en couple avec Karla (Katla Njálsdóttir). Ils ignorent évidemment que si Diddy a pris la route, ce matin-là, c’était justement pour rompre avec Karla et pouvoir officialiser sa relation avec Una. Il n’en a pas eu le temps… Ce qui rend la situation évidemment délicate. La petite bande est invitée à une veillée funèbre organisée en mémoire de leur copain, et tout le monde s’empresse de consoler la pauvre Karla, évidemment éplorée, tandis qu’Una, elle, doit diluer son chagrin dans le silence et les apparences, ronger son frein en attendant de pouvoir enfin laisser couler ses larmes à l’abri des regards. Elle pourrait évidemment révéler la vérité sur sa relation avec Diddy. Mais à quoi bon ? Il n’est plus là désormais, et dire la vérité à Karla ne ferait qu’ajouter au chagrin – sincère – de sa rivale.

D’autres cinéastes auraient peut-être joué avec cette situation, exploité une tension latente entre les deux femmes. Mais là encore, Rúnar Rúnarsson se distingue en jouant au contraire la carte de l’apaisement. Il s’attache à montrer davantage ce qui unit les deux femmes que ce qui les oppose. Una et Karla sont en effet liées par la même blessure, le même désarroi face à ce terrible coup du sort. Ce qui est arrivé était inconcevable et la soudaineté du décès de Diddi les a complètement bouleversées. On ne saura pas vraiment si Karla comprend la nature réelle du lien entre le défunt et Una, mais elle ressent probablement la douleur de la jeune femme, similaire à la sienne. Les deux personnages finissent d’ailleurs par “fusionner” par la grâce, déjà, des prouesses visuelles de la chef-opératrice, Sophia Olsson, qui signe ici un travail remarquable, et la mise en scène maîtrisée de Rúnarsson. Dans un plan rappelant avec bonheur une scène fameuse du Persona d’Ingmar Bergman, sans doute une influence majeure du cinéaste, on voit les reflets des deux femmes dans une vitre se superposer et se confondre. Un moment qui trouvera son écho dans une des scènes finales, magnifiques, montrant les deux femmes lovées l’une contre l’autre, formant sans doute involontairement une forme de coeur, unies par le même amour et le même deuil.

Le film entier tient dans ces petits riens subtils, dans les silences, les non-dits, les regards fugaces, les gestes de désarroi et de tendresse. Il n’y a pas vraiment d’intrigue au sens classique du terme, juste cette situation délicate et cette impression d’apesanteur qui survient quand le monde continue de tourner alors que tout s’est arrêté. Le cinéaste islandais filme tout cela avec une pudeur remarquable. La photographie, épurée, crée une ambiance mélancolique où la lumière tente vaille que vaille de réchauffer les âmes. La bande-son, discrète, se limite souvent aux bruits du vent ou aux respirations retenues, renforçant cette sensation d’introspection et de recueillement.
Mais si When the light breaks réussit autant à nous toucher, c’est aussi grâce à Elín Hall, impressionnante de justesse. Son jeu est tout en retenue, et pourtant, chaque expression traversant son visage trahit la tempête intérieure de son personnage. Elle porte sur ses épaules toute la douleur d’Una, sans jamais en faire trop, dans une performance d’une intensité bouleversante.

Si vous êtes atteints de déprime hivernale ou avez un petit coup de blues, When the Light Breaks n’est probablement pas le film le plus adapté pour vous en ce-moment, même si le traitement du sujet et le rythme languissant peuvent sans doute avoir des vertus cathartiques en favorisant l’introspection, la relaxation et la connexion aux personnages. Pour les cinéphiles, c’est en tout cas une oeuvre qui, si besoin était, redonne foi dans le Septième Art, en exposant un travail collectif d’une grande finesse, sans esbrouffe ni excès. Un rayon de lumière dans un monde qui en a bien besoin.


When the light breaks
Ljósbrot

Réalisateur : Rúnar Rúnarsson
Avec : Elín Hall, Mikael Kaaber, Katla Njálsdóttir, Ágúst Wigum, Gunnar Hrafn Kristjánsson, Baldur Einarsson
Genre : Drame mais tout sauf mélo
Origine : Islande
Durée : 1h20
Date de sortie France : 19/02/2025

Contrepoints critiques :

“La force du film : celle d’installer dans la douleur un temps aussi doux qu’inéluctable, les personnages évoluant presque par le rythme naturel de la mise en scène là où les coups de scénario auraient été si facilement applicables.”
(Fernando Ganzo – Les Cahiers du cinéma)

”Pour Una, ce chemin de croix a valeur de roman d’apprentissage. Cela n’empêche pas l’ensemble de nous engourdir comme si la petite musique du récit était déjà connue.”
(Thomas Baurez – Première)

Crédits photos : Copyright Compass Film

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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