Vermiglio affpro[Compétition]

De quoi ça parle ?

De la vie dans un petit village de montagne du Trentin, au nord de l’Italie, Vermiglio, à la fin de l’année 1944, juste avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. On suit plus précisément le quotidien d’une des familles les plus influentes de la communauté, à la fois de par son étendue, avec un nombre d’enfants qui donne tout son sens au terme “famille nombreuse”, mais aussi par le statut du patriarche, Cesare (Tommaso Ragno) qui est l’instituteur du village.
La fratrie de neuf enfants doit partager le même espace vital, qui laisse peu de place à l’intimité. Les aînés, comme Lucia (Martina Scrinzi), doivent assurer les tâches agricoles, notamment s’occuper des vaches, ou aider aux tâches ménagères, d’autant que leur mère est enceinte du petit dixième. Les plus jeunes tentent de vivre leur enfance en toute innocence, entre école et découverte de la nature avoisinante. Parmi eux, il y a Flavia (Anna Thaler), la plus intelligente et studieuse de la bande, Ada (Rachele Potrich), gamine vive et mystérieuse, ou le petit Pietrin.
La guerre n’a pas directement frappé le village, mais elle l’a probablement privé de la majorité de ses hommes partis au front, et elle impacte l’économie locale. Elle va aussi bouleverser l’équilibre du village avec l’irruption de deux déserteurs. L’un d’eux est le frère de Cesare, qui est blessé et traumatisé. L’autre, qui l’a aidé à revenir au village, est un frère d’armes sicilien du nom de Pietro (Giuseppe De Domenico). Une partie de la population manifeste son hostilité, mais accepte finalement, sous l’autorité de l’instituteur, de cacher les fugitifs dans un mas.
Pietro va tomber amoureux de Lucia qui, de son côté, n’est pas insensible aux charmes du bel inconnu. La suite est assez évidente, mais va occasionner toute une série de perturbations.

Pourquoi on reste au pied de la montagne ?

Certes, Vermiglio est un joli film. Formellement parlant, en tout cas. Les images composées par Mikhail Krichman réussissent pleinement à saisir la beauté des lieux – “Que la montagne est belle!” comme chantait le poète, difficile de se rater avec un décor pareil – et à créer une ambiance singulière, captant des moments d’intimité et des scènes de la vie quotidienne d’une famille nombreuse, vivant dans un village du Trentin, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Certes, il est porté par des acteurs solides, qui donnent à leurs personnages une complexité appréciable. On pense notamment à Tommaso Ragno, qui incarne le patriarche de la famille, père de neuf et bientôt dix enfants, mais qui est aussi une figure du village, l’un des rares notables, en tant qu’instituteur. Ou à Martina Scrinzi, qui joue la fille aînée, la “mariée des montagnes” du titre français (un brin ringard), séduite par le déserteur sicilien de passage.

Certes, le film porte un message féministe évident, montrant la difficulté, pour les femmes de cette époque, à trouver leur place dans une société fortement patriarcale et conservatrice. La cinéaste fait du personnage de Cesare une figure centrale, porteur des paradoxes d’une société italienne moderne par certains aspects et rétrograde par d’autres. Le notable est un homme plutôt ouvert d’esprit, raisonnable. Conscient de l’absurdité de cette guerre, du mauvais rôle joué par l’Italie fasciste dans ce conflit, il incite à la tolérance envers les déserteurs, d’autant que l’avancée des Alliés au sud du pays ne laisse aucun doute quand à l’issue du conflit. L’instituteur aide également ses concitoyens à être tous alphabétisés pour pouvoir mieux affronter la période de reconstruction du pays, qui s’annonce difficile. En bref, il a tout du chic type, qui laisse espérer de meilleurs lendemains pour la Péninsule. Mais on le découvre aussi en chef de famille qui règne tel un “dictateur” sur ses “sujets” : son épouse, reléguée au rang de simple poule pondeuse, ses filles, dont il décide du sort de façon assez injuste et sans aucun ménagement, ou encore son fils aîné, qu’il se complaît à humilier publiquement, juste parce que le garçon n’est pas fait pour les études. Là, il incarne plutôt une société totalement rétrograde, qui tend à laisser dans la marge plus de la moitié de la population, ces femmes qui travaillent dur, étudient et, en parallèle, assurent leur rôle d’épouse, de mère de famille, d’éducatrice. Toute cette partie est intéressante, mais finalement, elle n’est pas plus développée que cela par Maura Delpero. La cinéaste fait le choix de se focaliser sur Lucia plutôt que sur ses jeunes soeurs, qui incarnent pourtant davantage l’avenir, et de privilégier la chronique mélodramatique au film politique. On peut le regretter, mais on respecte ce parti-pris, qui devait permettre de livrer un récit émouvant et sensible.

Le problème, c’est qu’on reste un peu en dehors, à distance. L’émotion ne nous saisit jamais vraiment, pas plus que le récit ne nous passionne. On a l’impression que le film est un peu figé, comme engourdi par le froid hivernal qui touche le village au début du film, couvert d’un manteau blanc immaculé, et la beauté glaciale des images, au dominantes sombres et bleutées, ce qui est assez curieux pour un film qui évoque plutôt un rouge vif (“vermillon”).
Ce long-métrage donne à la fois l’impression d’un “trop plein” – trop de personnages, trop de sous-intrigues non-exploitées – et d’un “trop peu” – le scénario est très linéaire et basique. Sans émotions, difficile d’y adhérer.
Au moment où nous finalisons cette critique, nous savons que le jury présidé par Isabelle Huppert a été plus sensible que nous au charme et la simplicité de Vermiglio, en lui attribuant son Grand Prix. Nous regrettons ce choix, qui empêche d’autres oeuvres plus consistantes de figurer au palmarès. Mais, et c’est le cas pour tous les festivals de cinéma, le jury a toujours le dernier mot…


Contrepoints critiques :

”A superabundance of subplots create a certain torpor even though the film is only a scant two hours long. Still, the portrait of a nearly vanished rural way of life remains compelling, and the melodrama engaging enough to suggest this might have been improved by being spread thinner as a TV series.”
(Leslie Felperin – The Hollywood reporter)

”Malgré une sécheresse narrative assez déroutante, Vermiglio réussit à déployer ses ailes et son histoire, creusant les détails pour manifester une complexité dans les relations entre les personnages assez surprenante.”
(Florent Boutet – Le Bleu du miroir)

Crédits photos : Images fournes par le service presse de La Biennale Cinema

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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