The Order affpro[Compétition]

De quoi ça parle ?

Comme le titre l’indique, de “The Order”, un groupe de suprémacistes blancs américains, du genre wasp, raciste, antisémite, nostalgiques du troisième Reich et des croix gammées, prêt à prendre les armes pour renverser le gouvernement et instaurer une dictature religieuse. Mais surtout des efforts conjoints d’un agent du FBI fatigué, Terry Husk (Jude Law) et d’un jeune policier de terrain, Jamie Bowen (Tye Sheridan) pour déjouer la conspiration et traquer les leaders du groupe.

Tout commence par une série de braquages de boutiques et de fourgons blindés minutieusement préparés et exécutés. Les policiers n’ont aucune piste sérieuse à explorer et penchent pour des actes isolés et indépendants. Mais un des braqueurs se montre un peu trop bavard, un soir, dans le bar d’une petite ville du nord-est. Il est exécuté par Robert Matthews (Nicholas Hoult), le leader du groupe, et sa disparition incite Bowen à ouvrir une enquête. Avec l’aide de Husk, qui vient de débarquer pour avoir une vie plus paisible après des années à traquer le crime organisé, ils font le lien entre le disparu, les braquages et les milieux d’extrême-droite locaux. Ils comprennent peu à peu que les braquages et tout ce qui y est lié permet la constitution d’un trésor de guerre destiné à financer des assassinats politiques, des insurrections et un coup d’état à l’échelle nationale.

Pourquoi on trouve le film “extrêmement” efficace ?

S’appuyant sur les faits réels – la traque de Robert Matthews, principal instigateur d’une ample conspiration destinée à prendre le contrôle des Etats-Unis, au début des années 1980 – et sur le livre “The Silent brotherhood” de Kevin Flynn et Gary Gerhardt, Justin Kurzel réalise un thriller captivant, malgré un tempo assez lent, dont l’intérêt tient moins à l’enquête en elle-même, puisqu’on sait très vite que Robert Matthews est la cible des policiers, ou à l’issue du récit qu’aux messages politiques qu’il cherche à véhiculer, à un moment-charnière pour la démocratie américaine, avec de prochaines élections présidentielles à fort enjeu.

Il montre comment les mouvements racistes de l’Amérique profonde, dont le Ku Klux Klan, Aryan Nations et National Alliance, ont évolué vers une plus grande radicalité, et la volonté de renverser le gouvernement par les armes pour faire triompher leurs “valeurs”. Robert Matthews a été l’un des premiers artisans de cette évolution, en s’opposant aux leaders de ces groupuscules, plus portés sur la parole que sur l’action. Il a réussit à fédérer un bon nombre d’illuminés haineux et mis en place une organisation criminelle d’ampleur, qui a continué de faire des émules sur le territoire américain, mais aussi un peu partout en occident.
Au début du film, personne ne fait le lien entre ces groupuscules racistes et les braquages. Pour les autorités, les mouvements haineux étaient en grande majorité ultra-conservateurs et ultra-religieux et par conséquent ne cautionnaient pas le vol (ce qui ne les empêchaient pas, en revanche, de fermer les yeux sur le lynchage d’une personne de couleur ou l’assassinat d’une personne d’une autre confession…). Par ailleurs, la présidence du très conservateur Ronald Reagan était plutôt de nature à calmer ces groupuscules d’excités. Mais le fait divers impliquant The Order a permis, pour la première fois, de prendre conscience de cette menace, qui s’est amplifiée en quarante ans. Non seulement les néonazis et suprémacistes ne se sont pas assagis, mais ils se sont organisés, gagnant de nouveaux membres en surfant sur la paupérisation de la population, notamment dans l’Amérique rurale, l’essor du terrorisme islamiste, les théories complotistes et les discours de personnalités populistes.

The Order montre bien comment le racisme a pu s’implanter dans l’Amérique profonde, comment les mouvements haineux ont pu continuer à proliférer avec l’appui de certains officiels. Il montre aussi qu’il suffit de peu de choses pour qu’un individu réussisse à fédérer tout un groupe de personnes et les pousser à prendre les armes. Ce qui est particulièrement fascinant, ici, c’est que le personnage joué par Nicholas Hoult semble, de prime abord, un garçon ordinaire né dans un coin paumé, pratiquant la chasse et ne ratant aucune visite à l’église. Il n’est pas si différent, au fond, des flics joués par Jude Law et Tye Sheridan qui auraient pu eux aussi prendre des chemins différents selon leurs rencontres, leurs choix de vie. Mais Matthews, comme on le découvre vite, a choisi la violence et la radicalité. C’est un type raciste, violent et n’éprouvant aucune empathie pour les autres, doublé d’un menteur et un manipulateur. Des qualités qui lui assurent une certaine aura auprès des autres militants et l’aident à fédérer, à l’instar de ce discours où il parvient à retourner complètement la foule, acquise au leader de la National Alliance, et inciter les membres du groupe à prendre les armes. La scène fait froid dans le dos, surtout quand on se rappelle le contexte actuel de la politique américaine, avec des divisions nettes sur la plupart des sujets, et les émeutes du Capitole, il y a quatre ans, qui avaient impliqué plusieurs groupuscules haineux portés par les discours de Donald Trump. Même si le FBI et la NSA gardent un oeil sur tous ces mouvements extrémistes, il n’est pas exclu que d’autres opposants tentent d’imposer leurs idées par la violence et la terreur.
Le film de Justin Kurzel rappelle qu’il faut garder cette menace dans un coin de l’esprit, continuer à prôner la tolérance et l’acceptation des autres pour préserver nos démocraties.

Le personnage de Matthews présente aussi quelques similitudes avec Nitram, le protagoniste principal du film-éponyme, qui, sous l’effet de la colère, sombrait dans la folie meurtrière, ou encore John Bunting, le tueur de Snowtown, premier long-métrage de Justin Kurzel, qui manipulait un adolescent rebelle pour l’aider dans ses actes criminels. Ou encore avec Ned Kelly, le protagoniste en charge du Gang KellyThe Order permet au cinéaste de continuer d’explorer ses thématiques préférées, en s’interrogeant sur les racines de cette violence et de ce qui peut faire basculer des individus jeunes dans une spirale meurtrière.

The Order est aussi un beau moment de cinéma, porté par la mise en scène de Justin Kurzel, qui sait faire monter la tension avec trois fois rien, les images du chef opérateur Adam Arkapaw, déjà responsable de la photographie de Top of the lake et True Detective, auxquels on pense souvent ici, tant au niveau de l’ambiance que du tempo. Le final flamboyant (au sens propre comme au figuré), évoque un peu, par ses jeux d’ombres et de lumière, l’ambiance visuelle de Macbeth, autre histoire de complots et de folie que le cinéaste avait porté à l’écran en 2015.

Jude Law et Tye Sheridan assurent leurs rôles avec beaucoup de sobriété et de justesse, tout comme Nicholas Hoult, fascinant et inquiétant dans la peau de Robert Matthews.
Il ne manque pas grand chose pour faire un très bon film. Peut-être un tempo un peu plus rapide, davantage de tension dans les moments-clés et quelques mouvements de caméra plus audacieux. Le film n’est pas des plus originaux sur la forme, mais il s’avère très efficace. Surtout, il constitue un maillon de plus dans une filmographie cohérente et impose un peu plus le cinéaste australien comme un auteur important du paysage cinématographique mondial.

Contrepoints critiques :

”While it’s one thing for a director to present variations on a theme throughout their career, it’s another when they stop surprising us or finding a new way into the same story.”
(Ryan Lattanzio – Indie wire)

”There’s an argument to be made that The Order is a B-movie in the body of a prestigious « issue » drama. There’s just as valid an argument that it’s Kurzel’s best movie.”
(Siddhant Adlakha – Mashable)

Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Michelle Faye

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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