Leurs enfants après eux affpro[Compétition]

De quoi ça parle ?

D’une histoire d’amour et de haine. Pardon, pas la même : une histoire d’amour et une histoire de haine, sur près d’une décennie, entre 1992 et 1998.

Eté 1992. Dans une petite ville de l’est de la France sinistrée par la fermeture des hauts fourneaux et des usines avoisinantes, Anthony (Paul Kircher) et son cousin (Louis Memmi) essaient de profiter de leur temps libre. Lors d’une virée au bord du lac, ils font la connaissance de deux adolescentes plus âgées, Clémence (Anouk Villemin) et Stéphanie (Angélina Woreth), qui les invitent à une soirée.
Comme la soirée est loin, ils ont besoin d’un moyen de transport. Hors de question d’y aller en vélo. C’est trop loin et ce serait la honte. Il y a bien la moto que le père d’Anthony (Gilles Lellouche), mais celui-ci la considère comme la prunelle de ses yeux et ne la sort jamais. Une égratignure et il se prendrait une raclée mémorable, d’autant qu’il n’a pas le droit de sortir. Mais Anthony est tombé amoureux de Stéphanie dès qu’il a posé les yeux sur elle. Il ne peut pas laisser passer une telle occasion. Aussi, il décide de prendre le risque d’emprunter la moto de son père.
Hélas, sur place, ils ne sentent pas vraiment les bienvenus, parmi les amis bourgeois des deux jeunes femmes. Par ailleurs, Anthony découvre que Steph a déjà un copain, bien plus mature que lui. Quand Hacine (Sayyid El Alami) et sa bande, un groupe de jeunes issu d’une cité HLM de la ville, vient perturber la fête et que le ton monte, Anthony intervient pour tenter d’impressionner Steph.
Cela ne va pas plus loin qu’une banale intimidation et les intrus finissent vite par repartir. Mais quand ils veulent rentrer chez eux, Anthony et son cousin découvrent que la moto a disparu, sans doute subtilisée par Hacine.
Ceci va déclencher une succession d’incidents qui vont faire monter la haine entre les deux garçons et pourrir leurs étés pendant six ans.

Pourquoi on ne passera pas forcément les vacances avec le film?

Le film de Ludovic et Zoran Boukherma est tiré du roman éponyme de Nicolas Mathieu (1) et est apparemment assez fidèle à la structure du récit original, avec un premier chapitre assez long et touffu, le temps de présenter les personnages et les enjeux puis trois autres parties plus courtes.
Sur le papier, cela fonctionnait peut-être parfaitement, mais à l’écran, cela donne surtout l’impression d’un récit déséquilibré, survolant certains éléments importants et ne permettant pas de développer davantage certains personnages. C’est d’autant plus dommage que la durée du film est conséquente. Hélas, beaucoup trop de scènes sont inutilement étirées, quand d’autres sont sacrifiées.
Par exemple, le personnage d’Anthony et sa relation avec Stéphanie occupent une grande part de cette durée, sans que cela soit crucial pour la narration. En revanche, le personnage de Hacine n’est peut-être pas assez développé, car on a du mal à comprendre son évolution d’un chapitre à l’autre. Difficile de comprendre que son personnage puisse autant changer d’un segment à l’autre, alors que dans le même temps, les autres protagonistes évoluent peu, notamment celui d’Anthony. On s’attendait à plus d’un récit initiatique étalé sur six ans, mais le personnage incarné par Paul Kircher  est trop lisse pour nous entraîner dans son sillage.

Heureusement, le manque d’épaisseur du personnage, tout comme ce découpage déséquilibré, ne nuisent pas à la compréhension globale du récit. Les arcs narratifs sont clairement définis. Il y a déjà la “romance” entre Anthony et Stéphanie, si l’on peut la qualifier ainsi, tant cette relation semble constamment contrariée, à cause d’un mauvais timing ou d’éléments extérieurs. Il y a aussi l’antagonisme entre Anthony et Hacine, qui perdure dans le temps. Il y a enfin les relations entre les deux garçons et leurs pères respectifs. Anthony peine à supporter son père, constamment alcoolisé. Hacine, lui, ne supporte plus les reproches du sien, qui le pousse à trouver un travail honnête, ce qui est loin d’être évident dans cette ville où le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale et sans vrai espoir de renouveau.
C’est peut-être là la partie la plus intéressante du récit, plus que le parcours initiatique d’Anthony, son histoire d’amour compliquée ou les querelles de quartier. Leurs enfants après eux est surtout l’histoire de personnages essayant de trouver leur place dans un milieu défavorisé. Si Anthony s’attache autant à Stéphanie, c’est sans doute parce que la jeune femme a des ambitions, des envies d’ailleurs. Elle veut réussir ses études pour pouvoir partir à Paris ou ailleurs, loin de la région. Anthony, lui, n’est pas un très bon élève. Il semble n’avoir pas d’autre choix que de travailler avec son père et continuer à vivre dans le quartier. Hacine, lui, ne cherche pas à partir ailleurs. Il veut trouver du travail et mener sa vie, mais ses origines lui ferment les rares portes ouvertes. C’est pourquoi il est si virulent quand on lui refuse l’entrée, lors de la soirée où tout bascule. Il ne supporte pas d’être traité comme un moins que rien par ces gamins petits-bourgeois, autrement plus favorisés que ses copains et lui. Il ne supporte plus le racisme et les préjugés qui trouvent un terreau favorable sur ces terres sinistrées. Mais cette colère ne l’incite qu’à se replier sur lui-même, sa cité, sa communauté et sur les seules activités viables dans cet environnement, la délinquance et le trafic de drogue.

On comprend parfaitement l’idée des cinéastes. Ils veulent montrer comment l’environnement peut façonner les individus et les envoyer sur un mauvais chemin de vie, comment le racisme et l’exclusion sociale génèrent des tensions et comment il pourrait être simple de mettre fin à ces absurdes querelles en favorisant le vivre-ensemble. Ce n’est pas un hasard si le film trouve son dénouement en 1998, en pleine effervescence populaire liée au parcours de l’équipe de France de football lors de la Coupe du Monde. Malgré un climat social explosif lié à un taux de chômage record, les citoyens avaient célébré ensemble les victoires de l’équipe nationale, abolissant pour un bref moment les histoires de classe sociale, race ou confession. Mais, on le sait depuis, la France “Black Blanc Beur” n’a été qu’une heureuse parenthèse avant de nouvelles tensions, de nouveaux clivages.
Alors, il faudrait peut-être rappeler ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise. Et le premier élément universel est la cellule familiale. Les individus cherchent, pour la plupart, à trouver l’âme soeur et fonder une famille. Ils mettent tout en oeuvre pour protéger leurs enfants, leur assurer un futur décent. En tout cas, ils leurs donnent les clés pour construire leur propre destinée, pour qu’à leur tour, ils puissent élever des enfants à qui ils transmettront leurs valeurs.

Au final, Leurs enfants après eux laisse une impression assez mitigée.
D’un côté, on peine à s’attacher au personnage principal et ses problèmes. De l’autre, les auteurs nous tiennent en haleine jusqu’à la fin, en capitalisant sur le texte d’origine et on ne peut pas dire que l’on s’ennuie, même si quelques scènes auraient mérité un effort de montage supplémentaire.
On aurait rêvé d’une histoire mieux équilibrée, centrée autant sur Hacine que sur Anthony. Et mettant aussi un peu plus l’accent sur le personnage de Stéphanie, jouée avec talent par Angélina Woreth, qui est finalement plus intéressant que ces deux-là. On aurait aussi aimé une mise en scène plus puissante, capable de transcender ce récit et le rendre inoubliable. Ce n’est hélas pas le cas.

(1) : “Leurs enfants après eux” de Nicolas Mathieu – éd. Actes Sud

Contrepoints critiques :

”Les cinéastes réussissent haut la main leur pari de mixer l’intime et le spectaculaire, l’immersion sociologique et le lyrisme, au plus grand plaisir du spectateur.”
(Fabien Lemercier – Cineuropa)

”Where the the writing is wan, the filmmaking compensates with emphatic braggadocio.”
( Guy Lodge– Variety)


Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Chi-fou-mi Productions – Trésor films  – Warner Bros. Pictures – Marie-Camille Orlando

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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