De quoi ça parle ?
De l’écriture de l’essai « Castes: The Origin of Our Discontents » par Isabel Wilkerson (Aunjanue Ellis-Taylor) et donc du lien entre le racisme aux Etats-Unis, l’extermination des Juifs par les nazis et les Dalits, ces « intouchables » qui occupent le bas de l’échelle du système de caste en Inde.
Pourquoi on place Origin dans la caste des mauvais films ?
Ava DuVernay est une cinéaste connue pour son militantisme. Elle a dû de battre doublement pour trouver sa place dans ce milieu professionnel, en tant que femme et en tant qu’Afro-américaine. Il est donc logique qu’elle se doit intéressée au livre d’Isabel Wilkerson qui s’intéresse aux causes du racisme qui continue de sévir aux Etats-Unis, de manière préoccupante, et va plus loin en s’intéressant à une organisation sociale en castes, montrant quels éléments permettent à des individus de discriminer les autres et de se placer au sommet de la hiérarchie sociale.
Origin met en avant les idées développées dans l’ouvrage dont il s’inspire, notamment un audacieux parallèle entre les castes en Inde, et notamment l’attitude des castes dominantes vis-à-vis des Dalit, la Shoah et le système de ségrégation raciale aux Etats-Unis.
Le premier problème du film, c’est que ces thèses n’ont rien de révolutionnaire. Désolé, mais il n’y a pas besoin d’un film de 2 heures pour nous expliquer que les sociétés reposent quasiment toujours sur des systèmes de castes et que les individus en haut de la hiérarchie font tout pour conserver leurs privilèges. Effectivement, ce n’est pas une question de race, comme le découvre l’auteure du bouquin. La ségrégation peut s’appuyer sur différents facteurs : religion, origine géographique, origine sociale,… On pourrait ajouter revenus et richesses, car la cinéaste ne développe pas du tout cet aspect qui nous semble pourtant important. Peut-être parce que, dans le domaine, on parle de “classe sociale” et non de “caste”. Mais les deux nous semblent souvent entrelacées.
Par ailleurs, la théorie principale, bien qu’auréolée du prix Pulitzer, nous semble discutable. Elle semble minimiser le problème du racisme en tant que tel en se focalisant sur les mécanismes de discrimination. Si l’on reprend notre idée de classe sociale, il est de fait qu’on trouve, parmi les personnes les plus fortunées du monde, des personnes de toutes races, de toute confession, et que la discrimination avec les autres classes sociales se fait sur le seul critère de la fortune. Une personne Afro-américaine fortunée sera mieux acceptée dans certains cercles qu’une personne sans richesses, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne sera pas confrontée au racisme. Le système de castes est un problème, mais le vrai problème tient à la nature humaine. La xénophobie est un réflexe primaire, une réaction de rejet de tout ce qui nous est inconnu, étranger. Potentiellement, nous pouvons tous éprouver ce type de réaction les uns envers les autres. Mais une société organisée sert justement à réprimer ces instincts primaires, à éduquer pour que les hommes puissent vivre ensemble.
Ensuite, le raccourci fait entre l’Allemagne nazie et la ségrégation raciale aux Etats-Unis apparaît comme assez scabreux. Il est probable que le système de ségrégation de jure mis en place aux Etats-Unis après l’abolition de l’esclavage a pu inspirer aux dirigeants nazis certaines mesures de ségrégation similaires, mais difficile de comparer des mesures certes liberticides et condamnables, avec une politique d’extermination de masse… Si elle tenait absolument à faire un parallèle avec les Etats-Unis, l’auteure aurait mieux fait de comparer la Shoah avec l’extermination des natifs américains, massacrés et chassés de leurs terres par les colons. Et elle aurait pu trouver des exemples plus appropriés pour évoquer une extermination sur la base de critères religieux : les Croisades au Moyen-âge, la persécution des Chrétiens par les romains… L’Histoire est truffée d’exemples d’abus de pouvoir.
Cela dit, Ava DuVernay n’est pas garante des thèses portées par Isabel Wilkerson. Elle ne peut pas inventer ce qui n’est pas dans le livre…
En revanche, elle est garante de l’écriture du scénario et de la façon dont elle peut illustrer les propos de cet essai. Et là, c’est une catastrophe.
Pour les parties historiques, elle a choisi une forme qui fait penser à un mauvais téléfilm, empesé, appuyé, manquant de subtilité. Elle abuse des ralentis, des images réétalonnées pour leur donner un cachet vintage assez factice.
Pour tout le reste, qui correspond à l’essentiel du film, elle s’attache à montrer l’écrivaine au travail. Mais une auteure qui écrit, ce n’est pas très spectaculaire. On ne peut pas montrer quelqu’un qui tape sur son clavier pendant 1h30. Alors, elle décide de raconter la vie d’Isabel Wilkerson et de son entourage. Et vlan, le film bascule dans le mélo sirupeux, insupportable. Il faut dire que son entourage a bien des malheurs, à Isabel… Sa mère doit être placée dans une résidence pour seniors, sa cousine est atteinte d’un mal incurable et elle rencontre plein de personnes qui ont eu des problèmes dans la vie… Préparez vos mouchoirs, car tout cela est montré avec un déluge de pathos, envolées de violons et effets de mise en scène bien démonstratifs.
Le film est émouvant, donc, mais cette émotion est forcée, arrachée, et ne concerne nullement le sujet principal, ce qui est, en termes d’éthique cinématographique, assez inacceptable.
La seule partie intéressante de Origin est son introduction, qui décrit l’assassinat du jeune Afro-américain Trayvon Martin par un homme de son voisinage, à cause de son apparence et sa couleur de peau. Là, il y a une certaine tension dans la mise en scène, une façon de filmer plus sobre, plus efficace. Mais cela ne dure que cinq minutes sur plus de 2h de film… Dommage.
On le sait, les bons sentiments font rarement les bons films. Et s’il fallait écrire une thèse sur le sujet, ce film là serait un bon exemple pour l’étayer.
Contrepoints critiques
”The film’s structure might have recommended an intellectualized approach, but DuVernay understands that the whole thing only works if she can reassert these people’s humanity. And her feelings for them come through in every scene, no matter how small the moment. Will it work for everyone? I can only say that the movie left me a complete wreck.”
(Bilge Ebiri – Vulture)
”There are plenty of worthwhile ideas about relationship between systematic racism and Caste in Ava DuVernay’s ‘Origin,’ but this sort of illustrated documentation proves to be an awkward, ill-fitting form that renders the project as a history dissertation more or less”
(@Joseph_fahim sur X)
Crédits photos : Credits Atsushi Nishijima, Courtesy Array Filmwork – images fournies par La Biennale di Venezia