De quoi ça parle ?
De la vie d’Enzo Ferrari (Adam Driver), fondateur de la célèbre écurie de Formule 1 et de la société de construction automobile éponyme. Ou du moins, d’une petite période de sa vie, au cours de l’année 1957.
On comprend qu’à ce moment-là, la société est en difficulté. L’un de ses conseillers financiers l’alerte sur le faible nombre de véhicules vendus cette année-là, moins d’une centaine. Même si les véhicules sont vendus au prix fort le nombre est insuffisant pour se maintenir à flot, par rapport aux fortes sommes investies par Ferrari dans le sport automobile. Les résultats sportifs servent usuellement de vitrine à la société de construction. Ce sont eux qui attirent les clients. Or les derniers résultats sont très décevants. Depuis le départ de Manuel Fangio, retourné chez Maseratti, la scuderia peine à renouer avec la victoire. Ses véhicules connaissent de nombreux problèmes techniques et, surtout, son groupe de pilotes se retrouve décimé suite à plusieurs accidents fatals.
Pour pouvoir sauver son entreprise, Ferrari doit trouver des partenaires locaux ou étrangers. Mais avant de pouvoir négocier quoi que ce soit, il a besoin de l’accord de son épouse, Laura (Penelope Cruz). Or son couple traverse aussi une crise. La mort de leur unique fils, Dino, d’une dystrophie musculaire, un an auparavant, les a éloignés, et Ferrari passe de plus en plus de temps hors du domicile conjugal, notamment chez sa maîtresse Lina Lardi (Shailene Woodley).
Enzo essaie de négocier avec Laura et, en parallèle, met tout en oeuvre pour remporter une course prestigieuse, la Mille Miglia, qui pourrait donner un nouvel élan à l’écurie. Pour cela, il peut compter sur un nouveau pilote, Fon De Portago.
Pourquoi on reste aux stands ?
Avant toute chose, précisons que les films biographiques ne sont pas forcément notre tasse de thé et que la mécanique automobile n’est pas non plus quelque chose susceptible de nous mettre en extase. A partir de là, difficile de se passionner pour un biopic sur un constructeur automobile… Cela dit, on attendait de voir comment Michael Mann allait essayer de transcender son récit et de lui donner une dimension supplémentaire.
Au niveau de la trame narrative, il n’y a rien de révolutionnaire. L’idée de se concentrer uniquement sur une petite partie de la vie du personnage central, emblématique de sa façon d’être, n’est pas novatrice. Mais elle est plutôt intelligente, puisque cela permet d’éviter les flashbacks et les allers-retours incessants entre différentes temporalités. Ici, tout est restreint à une période très brève, mais très intense, entremêlant à la fois déboires personnels, professionnels et sportifs. Ceci crée une sorte de tension permanente qui irrigue le film d’un bout à l’autre, une agitation constante. La dernière partie du film, reposant beaucoup sur des images de la course décisive des Mille Miglia, parachève cette impression de vitesse, de mouvement permanent, qui aide à appréhender un peu mieux ce personnage complexe.
Enzo Ferrari, tel que décrit dans le film de Michael Mann, est une personnalité ambiguë. On sent un homme avide de contrôle, qui ne laisse jamais rien au hasard. En tant qu’ingénieur, il dessine précisément chaque courbe de ses véhicules, pensée pour davantage d’aérodynamisme. Il écoute attentivement chaque bruit de moteur, chronomètre chaque performance pour comprendre comment aller toujours plus vite. Il est très exigeant quant au choix de son personnel et n’hésite pas à écarter tous ceux qui peuvent le gêner dans sa progression. Lors d’une conférence de presse, il n’hésite pas à virer tous les journalistes qui ont eu le malheur de d’écrire des articles dévalorisant pour la Scuderia Ferrari. Il est capable de la même froideur, de la même absence d’empathie, avec ses pilotes. Il refuse de s’attacher à eux et entretient en permanence une forme de distance, afin de ne jamais laisser l’affect parasiter certaines décisions. Le contrôle est la clé de sa réussite.
Mais paradoxalement, l’homme semble constamment chercher à se mettre en danger, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Il se lance des défis improbables, prend des risques dans la conception de ses machines, effectue des choix managériaux discutables. Peut-être parce qu’il a besoin de cette adrénaline pour avancer, qu’il a besoin de percevoir le risque de tout perdre pour profiter de ce qu’il possède…
Adam Driver (quel nom idéal pour incarner un homme emblématique de la course automobile !) est impeccable dans le rôle-titre et parvient à bien montrer toutes les facettes de son personnage. Les seconds rôles sont également tous très bons, de Penelope Cruz à Shailene Woodley, en passant par Patrick Dempsey, Jack O’Connell et Gabriel Leone.
On retrouve, ça et là, la patte de Michael Mann : mouvements de caméra élégants, cadrages ultra-précis et une dynamique de narration qui culmine avec quelques scènes de course impressionnantes. Mais l’ensemble nous semble un peu trop sage pour nous enthousiasmer totalement. La mise en scène est peut-être un peu trop sous contrôle, justement. On reste un peu hors course, bloqués aux stands, alors qu’on aurait aimé être entraînés à 300 km/h dans un récit riche en péripéties et en émotions.
A moins, tout simplement, que les problèmes d’Enzo Ferrari ne nous touchent pas vraiment et que l’on n’arrive pas vraiment à trouver du sens à ce récit biographique. Et une panne de sens, pour une Formule 1 comme ce blockbuster, c’est souvent un motif d’abandon…
Contrepoints critiques
“Without mincing words, Ferrari is a huge missed opportunity and a film that takes itself too seriously, lacking the development and research work that would have made it look more authentic, and could have helped us empathise – or at least engage with – the vicissitudes of the famed Modena-born Grande Vecchio.”
(Davide Abbatescianni – Cineuropa)
”Mann has always balanced the intimate with the epic. Films like Heat and Miami Vice are as much about men and women and what they say to each other as they are about standoffs and shootouts and getaways. In Ferrari, he might have found the purest expression of this idea.”
(Bilge Ebiri – Vulture)
Crédits photos : copyright Eros Hoagland – images fournies par la Biennale