Vox Lux - coyright Lol Crawley - affproLe synopsis de Vox Lux nous promettait une oeuvre décrivant l’ascension d’une chanteuse de pop. Mais dès les premières minutes, on comprend que le film n’aura rien de la comédie musicale hollywoodienne classique. Le prologue, situé à la fin des années 1990, nous met tout de suite dans l’ambiance, en nous plongeant dans un terrible drame. Le ton est donné : sombre, funèbre, inquiétant et mystérieux. Ce curieux biopic va en effet être rythmé par des évènements tragiques, emblématiques du début du XXIème siècle ou du climat de peur et de violence qui le caractérise.

La première partie se déroule entre 2000 et 2001. Suite aux évènements décrits dans le prologue, Celeste (Raffey Cassidy), une adolescente de quatorze ans, se voit donner l’occasion de chanter en public une de ses compositions, et devient illico la nouvelle coqueluche de l’Amérique. Un manager réputé (Jude Law) la prend sous son aile et l’aide à réaliser son premier album, qui connaît un succès fulgurant. Enfin, une conseillère en communication (Jennifer Ehle) finit de peaufiner son image. Elle lui impose un look plus rock’n roll, des chorégraphies sulfureuses et des chansons plus dans l’air du temps, entre dance music, pop et techno. En clair, elle passe de Miley Cyrus, première époque, à un mix entre Lady Gaga, Katy Perry et Britney Spears. Sa carrière internationale décolle, et, à la suite d’une tournée en Suède, Céleste perd totalement son innocence, en même temps que l’Amérique vit l’un de ses plus grands traumatismes, en septembre 2001, avec le crash d’un avion contre les tours du World Trade Center.

La seconde partie se déroule en 2017. Céleste (incarnée par Natalie Portman) est toujours une star, mais son image publique est écornée, à cause de divers scandales, liés à ses excès de drogue, d’alcool et de médicaments. Devenue une vedette grâce aux média, elle découvre le revers de la médaille. Car à une époque où tout se joue sur les réseaux sociaux, si un rien peut lancer une carrière, il est également très facile de la briser. Le peuple aime brûler ses idoles. Celeste compte sur son nouvel album et un concert dans sa ville natale pour se relancer. Mais une nouvelle tragédie, à des milliers de kilomètres de là vient de nouveau faire ressurgir les vieux démons, menaçant de lui briser les ailes.

Vox Lux se fait fort de proposer plusieurs niveaux de lecture au spectateur. Ce dernier peut se contenter d’y voir un simple portrait de rock-star, perturbée par son rythme de vie frénétique, sous le feu des projecteurs et les flashs des appareils photos, par les revirements rapides de l’opinion à son égard, à chacune de ses prises de position publiques, par les critiques incessantes sur son travail – trop comme ceci, pas assez comme cela… Il peut aussi y voir le délire d’une femme souffrant de troubles post-traumatiques, suite aux évènements décrits au début du film, ou encore une vision de l’enfer ou du purgatoire, si l’on considère qu’elle n’a pas survécu au drame (la voix-off de Willem Dafoe laisse en effet planer le doute, employant le conditionnel pour parler du personnage). Enfin, le film peut être vu comme une variation sur le mythe de Faust, posant que Celeste a fait un pacte avec le diable pour survivre et devenir célèbre.
Mais cette multitude de pistes d’interprétation s’avère finalement plus encombrante que stimulante pour le spectateur. Elle donne l’impression d’un film fouillis, dont il est difficile de dégager les thématiques, et souffrant d’un trop-plein d’éléments, qui en font une oeuvre parfois indigeste.

Le plus intéressant, c’est le prolongement du travail mené sur son premier long-métrage, L’Enfance d’un chef. Ce film, situé au début du XXème siècle, racontait l’enfance d’un futur dictateur et montrait comment les maux d’une époque façonnaient la personnalité d’un individu. Ici, c’est le même schéma. La carrière de Celeste décolle à mesure que la peur gagne les sociétés occidentales, traumatisées par les coups de folie individuels, les attentats, les conflits meurtriers… Elle est emblématique de ce début du XXème siècle, marquée par la perte de l’innocence du peuple américain, qui se pensait à l’abri, sur son sol, des menaces extérieures, et de l’endurcissement des individus, contaminés par ce climat d’insécurité et de paranoïa. Celeste passe effectivement du statut de jeune fille sage, porteuse d’un message de paix et d’amour, à une rock-star incontrôlable, alcoolique, provocatrice, sulfureuse, une âme grise, repliée sur elle-même. Comme l’apprenti tyran de L’Enfance d’un chef, elle devient une sorte de monstre, alimenté par ce climat de peur, de violence et de haine. Et, ainsi contaminée, elle perd peu à peu son âme et sert à son public des chansons médiocres, contribuant à l’abêtissement des masses et le basculement dans l’obscurantisme.

Hélas, Brady Corbet ne parvient pas vraiment à développer cet aspect du film, le diluant au milieu de scènes qui s’avèrent finalement assez banales et inintéressantes, une fois qu’on les débarrasse des artifices de mise en scène. Il n’est guère aidé par Nathalie Portman, qui, pour viser l’Oscar de la Meilleur Actrice, se lance dans un grand numéro de cabotinage qui rend son personnage caricatural. Ni par un mixage son mal équilibré, qui agresse l’ouïe du spectateur et ne met pas du tout en valeur les plages musicales écrites par Sia.

Au final, c’est la déception qui domine. Dommage, car les quinze premières minutes de Vox Lux, bluffantes, laissaient entrevoir un très grand film. Il ne fait aucun doute, cependant, que Brady Corbet possède un grand potentiel. Ce n’est que son second long-métrage et, en dépit des défauts évoqués plus haut, il possède déjà un style bien à lui, qui ne demande qu’à s’affiner de film en film, pour un jour parvenir à une oeuvre aboutie.
En attendant, il faudra se contenter de ce travail inégal, truffé de beaux moments de cinéma au milieu du chaos.

Images : copyright Lol Crawley – Fournies par la Biennale de Venise

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Venise 2018] “Werk ohne autor” de Florian Henckel Von Donnersmark
Next article[Venise 2018] “Nuestro Tiempo” de Carlos Reygadas
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY