Hacksaw ridgeMel Gibson est un drôle de cinéaste, pétri de contradictions. Il est capable, dans le même film, d’alterner des morceaux de bravoure d’une rare violence, à la limite de la complaisance, et des scènes confondantes de naïveté et de bons sentiments chrétiens. La cohabitation de ces deux lignes directrices s’avère souvent compliquée, comme on pouvait le constater dans ses oeuvres précédentes, La Passion du Christ et Apocalypto, qui ont fait couler beaucoup d’encre.
C’est encore plus évident avec son nouveau long-métrage, Hacksaw Ridge, film de guerre âpre et violent qui présente l’originalité d’avoir pour personnage central un soldat non-violent et objecteur de conscience.
Impossible, dites-vous? Pourtant, le film est tiré d’une histoire vraie. Celle de Desmond Doss, un jeune homme très croyant, membre de l’Eglise adventiste du 7ème Jour, qui s’est enrôlé volontairement dans l’armée américaine lors de l’entrée en guerre contre le Japon. Fidèle à ses convictions religieuses, Doss a refusé, durant toute son instruction et même plus tard, sur le champ de bataille, d’être équipé d’une arme ou de tirer sur les soldats ennemis, ce qui lui a valu de sérieux déboires avec ses supérieurs hiérarchiques. Mais sur le terrain, en tant que brancardier, il a fait preuve de plus de bravoure que n’importe quel soldat, sauvant des dizaines de GIs d’une mort certaine.

La première partie du film revient à la fois sur l’origine de ses convictions religieuses – une bagarre entre frères qui a dégénéré et l’a décidé à respecter à la lettre le commandement “Tu ne tueras point” – et de sa vocation de brancardier – la rencontre avec une belle infirmière, Dorothy (Teresa Palmer).
Pour ce segment du récit, Mel Gibson se met en mode “fleur bleue”. L’éveil sentimental de son jeune héros est filmé avec un style morne et plat, que l’on ne retrouve plus guère que dans les mauvais téléfilms ou les vieilles séries télévisées américaines.
La seconde partie correspond à la période d’instruction du jeune soldat. Gibson muscle un peu sa mise en scène, en lorgnant du côté de Kubrick et son Full metal jacket. Mais l’intrigue se focalise moins sur la préparation au combat que sur les déboires de Desmond, traîné en cour martiale pour avoir refusé d’obéir à un officier qui lui ordonnait de se servir de son fusil. De ce fait, le cinéaste revient vite à une forme narrative plus conventionnelle, un brin naïve et mélodramatique, et il faut s’accrocher pour croire à cette improbable histoire d’objecteur de conscience insistant pour partir au combat…

Ce n’est que dans les deux dernières parties que Mel Gibson peut se lâcher complètement. Il reconstitue la bataille d’Okinawa, l’une des victoires décisives de l’armée américaine contre les soldats japonais en 1945, en ne lésinant pas sur les moyens ou sur les effets sanglants. Les combats sont féroces. Les corps sont déchiquetés, brûlés, piétinés. En même temps que les soldats, les spectateurs sont plongés dans un véritable enfer de boue, de terre, et de fumée… Le résultat, efficace, rappelle les meilleures scènes d’Apocalypto, même si Gibson cède une fois encore  à la violence gratuite et complaisante, par exemple avec cette séquence esthétisante montrant les soldats japonais se faire brûler  au lance-flammes dans les terriers qui les abritent.
Cela dit, on se doute bien qu’à ce moment du conflit, les combats devaient être particulièrement âpres et violents. L’important est qu’il parvienne à tenir en haleine les spectateurs jusqu’au terme de la bataille et qu’il puisse mettre en valeur l’héroïsme de Desmond Doss, risquant sa vie pour aller aider les autres, sans arme, dans la boue épaisse de Hacksaw ridge.
Evidemment, Mel Gibson ne peut s’empêcher de boucler le film sur une nouvelle salve de scènes mélodramatiques teintées de mysticisme et de morale sirupeuse, qui cherchent à canoniser Desmond Doss. Certes, le courage et l’abnégation de ce soldat américain forcent l’admiration et imposent le respect, mais en faire une sorte de figure Christique, comme le suggère le plan final, où le jeune soldat est porté par ses “compagnons d’armes”, les bras en croix et le visage levé vers le Ciel, est une idée assez grotesque qui vient quelque peu gâcher l’impression globalement positive laissée par les scènes de batailles, impressionnantes.

Comme les autres films de Mel Gibson, à l’exception, peut-être, de Braveheart, Hacksaw ridge est donc une oeuvre inaboutie, qui recèle autant de beaux et d’audacieux moments de cinéma que de scènes dégoulinantes de mièvrerie. Dommage que le cinéaste ne parvienne pas à corriger cette fâcheuse habitude, car il avait tous les atouts pour livrer un grand film de guerre, à commencer par un casting épatant, Andrew Garfield en tête.

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Venise 2016] Jour 5 : Réparer les vivants
Next article[Venise 2016] Jour 6 : La position du poulpe
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY