Anna Mouglalis apparaît face à la caméra, sans maquillage, le visage marqué, cerné, la chevelure en bataille. Sa voix rauque fatiguée déchire l’espace.
« Bonjour mon amour. Je vais mourir dans une heure, un jour où tu m’aimes »
Son personnage, Mona, s’adresse à son mari, Daniel (Yann Goven), qui vient de se réveiller dans une chambre d’hôtel glaciale, près de Lausanne. Avec une tirade déchirante, elle lui annonce qu’elle s’apprête à mourir. Ce ne sera pas grave, juste un mauvais moment à passer. Il doit juste rester auprès d’elle en attendant le moment fatidique.
Ambiance… Au moins, le spectateur est prévenu. Le voyage auquel le convie Samuel Benchetrit n’a rien d’une promenade bucolique. C’est un film grave, funèbre, oscillant entre histoire d’amour fou et drame sordide.
Le récit se déroule trois jours avant cette annonce sinistre.
Après avoir accompagné leur enfant à l’école, Mona et Daniel partent pour la Suisse pour un weekend en amoureux. Ils se comportent effectivement comme un couple amoureux. Ils font du shopping (une chemise atroce et un lampadaire), se baladent sur les rives du Lac Léman, dînent dans un restaurant au bord de l’eau… Mais le malaise est palpable. Il y a de la tristesse dans leur regards, dans leurs échanges. Ils sont comme deux fantômes. Lui est décharné, les traits creusés. Il semble au bout du rouleau. Elle a le visage fatigué et des bleus partout sur les bras et les jambes. Elle n’est guère plus vaillante que lui.
Autour d’eux, tout est grisaille et monotonie. Une atmosphère qui vient aussi de la mise en scène : caméra tremblante, image numérique sale, lumières blafardes, montage étrange…
Ils rencontrent un autre couple, Claire et Pierre (Céline Sallette et François Feroleto) et sympathisent avec eux. Mais cela ne permet pas au film de retrouver de l’entrain. Au contraire. Lors d’une promenade nocturne, Claire raconte son histoire à Mona. Elle a fait une grave dépression avant d’effectuer ce voyage. En échange, Mona lui chuchote son secret à l’oreille. Une révélation qui provoque un profond émoi chez Claire, et qui fait monter le mystère autour de l’issue de ce weekend tragique.
De retour à l’hôtel, Mona et Daniel essaient de faire l’amour, mais là encore, on ressent un profond malaise. Le point de rupture n’est pas loin. Pour les personnages, et peut-être aussi pour certains spectateurs, déroutés par le ton déprimant du film. Ah, il est certain que ceux qui cherchaient à voir une comédie en seront pour leurs frais.
Ou alors, ils devront s’accrocher jusqu’à la partie centrale du film, qui, prise au second degré peut s’avérer très drôle. Le film bascule alors dans le grotesque. Les deux couples partent randonner en montagne. Mona se met en robe de soirée, Daniel, pour l’accompagner, met son plus beau costume. Au bout d’un moment, évidemment, ils sont épuisés. Alors ils font une pause pour faire les singes. Oui, vous avez bien lu : pour faire les singes…
Ils adoptent le comportement des chimpanzés. Daniel effectue une sorte de parade nuptiale avant de trousser sa femelle dans les edelweiss. L’effet chrüterchraft, sans doute… (ou une façon bien maladroite pour Samuel Benchetrit de s’offrir son 2001. N’est pas Kubrick qui veut…)
Mais le sordide reprend vite ses droits. Scènes d’errance, rencontre avec un flic solitaire et sa mère paralytique, beuverie dans un karaoké minable… Et toujours cette mise en scène cafardeuse, à l’image parkinsonienne…
Certains trouveront cela parfaitement insupportable et fustigeront ce cinéma d’auteur essayant de dissimuler derrière ces expérimentations fumeuses la profonde vacuité du scénario. On peut les comprendre.
Mais il y a aussi quelque chose d’assez fascinant dans cette histoire d’amour qui brûle de ses derniers feux, dans le cheminement de ces personnages à la dérive. Certaines scènes sont complètement ratées, à la limite du ridicule, mais d’autres sont sublimes et permettent aux comédiens de se mettre en valeur. Au moins, on ne peut pas reprocher à Samuel Benchetrit d’aller au bout de sa démarche artistique audacieuse.
Hélas, le cinéaste se tire finalement une balle dans le pied en cherchant à tout prix à donner une conclusion à son film. Il aurait pu boucler le film sur son plan initial, cette belle tirade susurrée par Anna Mouglalis, mais non, il s’empêtre dans un final lourdement explicatif qui bascule définitivement dans le pathos. L’émotion finit par affleurer, mais elle est grossièrement forcée, bien loin de la finesse dont avait fait preuve Stéphane Brizé, sur un sujet voisin, dans Quelques heures de printemps.
Un voyage est donc finalement une oeuvre ratée, dont les quelques bons moments sont étouffés par des scènes grotesques ou mélodramatiques en diable, au sens péjoratif du terme. Ce qui ne nous rassure pas vraiment, c’est qu’il s’agit à priori du premier volet d’une trilogie consacrée aux “femmes modernes”. Si les deux autres volets sont aussi lourds que celui-ci, pour nous, le voyage s’arrêtera ici…
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