Il y a Billie (Valeria Golino) et Louis (Vincent Perez). Un couple heureux qui élève tranquillement ses deux filles jusqu’au jour où Billie est frappée par la maladie. Le verdict : cancer incurable, à moins d’un miracle. La quadragénaire décide de taire son état de santé à ses proches, pour les préserver, éviter qu’ils ne s’inquiètent, redoutant le moment, inéluctable, où elle devra tout leur avouer et les préparer à sa disparition…
Il y a aussi Marie (Elsa Zylberstein), une actrice reconnue, qui réalise qu’elle approche de la quarantaine et que ses chances de pouvoir un enfant diminuent. Elle est bien décidée à tenter toutes les méthodes pour que son désir de maternité s’accomplisse, y compris les méthodes de fécondation in-vitro. Son conjoint Samuel (Nicolas Giraud) ne partage pas cette obsession. Chef d’orchestre perfectionniste, il n’a pas le temps ou l’envie d’un enfant, préférant à se concentrer sur sa musique et sa quête de sonorités parfaites… Il ne le savent pas encore, mais leur couple est en train de se déliter…
Le couple formé par Raphaël (Serge Hazanavicius) et Alice (Cécile de France), l’infirmière qui soigne Billie, connaît lui aussi quelques secousses.
Au coeur du problème, les cauchemars nocturnes de leur fils Gabriel. Elle se lève systématiquement pour aller rassurer l’enfant et s’angoisse devant la fréquence de ces mauvais rêves. Lui reste paisiblement endormi et ne se pose pas la moindre question…
En fait, le malaise est plus profond. Alice réalise qu’elle est piégée dans une vie routinière, entièrement dédiée au service des autres, qui ne lui convient pas, ou pas sous cette forme-là…
Il y a encore Paul (Jalil Lespert), le frère de Louis, qui possède cette liberté dont Alice aimerait bénéficier. Il a bourlingué un peu partout de part le monde. Mais il se sent usé, paumé, trop seul et aspire à une vie plus tranquille. Sa rencontre avec la belle Natalya (Véronika Novak), une ukrainienne obligée de faire le trottoir pour payer ses dettes et retrouver son jeune fils, lui ouvre de nouvelles perspectives…
il y a enfin des figures maternelles (Edith Scob, Catherine Hiegel), entraînées malgré elles dans des conflits avec leurs enfants, et des enfants qui perdent un peu de leur innocence face aux problèmes des grandes personnes…
Bref, dans Un baiser papillon, il y a beaucoup de choses. Beaucoup de personnages et de situations qui se correspondent, se répondent ou s’opposent… Trop, sans doute, pour réussir à tenir la distance et nous enthousiasmer pleinement.
Ceux qui nous lisent régulièrement connaissent notre position sur les film choraux. Mis en scène avec talent, ils peuvent toucher au sublime et constituer de purs chefs d’oeuvres, comme certains long-métrages d’Altman (Short cuts, The Player,…) ou d’Iñarritu (Amours chiennes, Babel,…). Mais le genre exige beaucoup de rigueur dans la construction du scénario, le lien entre les séquences, l’équilibre entre les différents personnages et la teneur dramatique des multiples histoires racontées, plus un petit supplément d’âme capable de faire la différence, ou un soupçon d’originalité ou de style, tout simplement. Si un seul de ces points est défaillant, c’est tout l’édifice qui s’écroule. Le film tombe alors dans la médiocrité, et la chute est généralement vertigineuse, proportionnelle aux ambitions de son auteur…
Bon, autant le dire tout de suite, Un baiser papillon n’est pas au niveau des oeuvres précédemment citées…
Aïe, un mauvais film, alors???
Eh bien non, loin de là ! Le film n’est certes pas totalement abouti, mais Karine Silla Perez s’en tire plutôt bien, surtout si l’on considère qu’elle fait ici ses tous premiers pas dans l’écriture et la mise en scène et qu’elle n’a pas choisi la facilité pour ses débuts cinématographiques.
La cinéaste ne s’est jamais laissée dépasser par l’ampleur de son projet. Elle a peaufiné le scénario de telle sorte que les thématiques autour de l’amour, la vie, la complexité des relations humaines, s’imbriquent parfaitement et que l’équilibre entre les personnages soit respecté, puis a veillé à ce que ceux-ci soient incarnés par des acteurs de talent, s’offrant au passage l’un des plus beaux castings de l’année.
S’appuyant sur l’expérience et la compétence de ses acteurs, Karine Silla Perez a ainsi pu se concentrer sur sa mise en scène, apportant un soin tout particulier à l’environnement visuel et sonore du film. Chaque personnage bénéficie d’une ambiance, est associé à une couleur qui traduit sa personnalité et ses états d’âme (le bleu pour Cécile de France, le rouge pour Elsa Zylberstein, le jaune pour Valéria Golino…). Les éléments de décor ont été travaillés de façon à créer des récurrences visuels, des ponts entre les scènes du film.
Enfin, la musique – signée, excusez du peu, par Angelo Badalamenti, sur une variante de la BO de Une histoire vraie – a aussi son importance dans la cohésion des séquences.
Certes, on déplore ça et là quelques “erreurs de jeunesse”, quelques maladresses stylistiques, mais d’un point de vue purement technique, il y a indéniablement eu un gros travail d’accompli et on sent que la cinéaste sait ce qu’elle veut et où elle nous mène…
Par ailleurs, Karine Silla Perez a su déjouer les pièges que constituaient ces bribes d’histoires mélodramatiques. Le risque était grand de sombrer dans le larmoyant, l’émotion facile, le pathos éhonté. Mais intelligemment, elle a privilégié une approche pudique et digne de ces sujets lourds (la maladie, la mort, les crises conjugales…) et s’est même refusée un dénouement trop démonstratif, laissant beaucoup de destins en suspens.
Finalement, le film fait montre d’une certaine maîtrise et de beaucoup d’intelligence dans sa construction.
Mais c’est aussi, paradoxalement, ce qui le plombe…
Le choix de ne pas recourir au mélo lacrymal est certes louable, mais empêche aussi le spectateur d’éprouver la petite pointe d’émotion supplémentaire qui lui permettrait d’être vraiment touché par le destin des personnages.
Et le bel équilibre entre les personnages paraît un peu trop mécanique, alors qu’ils n’ont pas tous le même intérêt ou la même force.
Oui, les deux points forts du film en constituent aussi la principale limite. On vous a bien dit que le film choral est un exercice difficile…
Il manque aussi un petit rien qui fait toute la différence, une touche de virtuosité dans la mise en scène qui permettrait aux séquences de s’enchaîner avec plus de fluidité, et de nous faire oublier la lourdeur de la structure narrative.
Iñarritu sait faire ça à merveille. Paul Thomas Anderson aussi… Karine Silla Perez, malgré toute sa bonne volonté et le travail fourni, ne possède pas (encore) cette inspiration capable de transformer un film “ordinaire” en “chef d’oeuvre”…
On sort donc de la séance un peu frustrés, conscients d’avoir vu une oeuvre moins forte que ce qu’elle aurait pu- ou dû –être. Comme si le papillon n’avait pas totalement réussi à sortir de sa chrysalide…
Par ailleurs, le film ne manquera pas de diviser sur le fond, sur les sujets abordés et les histoires choisies pour les traiter.
Pour ses défenseurs, il décline des situations de la vie quotidienne qui trouveront aisément un écho en chacun d’entre nous, et qui sauront nous toucher. Pour ses détracteurs, il ne s’agit que de clichés trop appuyés et moralisateurs, exploités pour créer une émotion factice… On vous a bien dit que le film choral suscite généralement des avis très tranchés…
Pour notre part, on comprend les arguments des deux camps. Disons que le film ne nous a pas touché autant qu’il ne l’aurait dû, mais que l’on juge inattaquables les intentions de la cinéaste, qui a voulu signer un film populaire au sens noble du terme, proche des gens et de leurs préoccupations, et dont la sincérité ne saurait être remise en question…
Et puis, même si les thématiques concernant les choses de la vie et les relations humaines peuvent agacer, il reste quand même, en thématique secondaire, une belle réflexion sur la création artistique, sous toutes ses formes (art dramatique, peinture, musique, danse,…) et la quête de perfection…
On le répète, même si Un baiser papillon souffre de quelques maladresses et de certains partis-pris de mise en scène, il ne manque pas de qualités et est tout à fait apte à toucher de nombreux spectateurs.
A chacun de se forger son opinion en découvrant le film en salle…
En tout cas, on attend maintenant de voir comment va évoluer la carrière de cinéaste Karine Silla Perez, qui fait montre ici, de beaucoup de courage et d’un certain talent pour le 7ème art…
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Un baiser papillon
Un baiser papillon
Réalisatrice : Karine Silla Perez
Avec : Valeria Golino, Elsa Zylberstein, Cécile de France, Vincent Perez, Jalil Lespert, Nicolas Giraud, Edith Scob
Origine : France
Genre : film choral
Durée : 1h41
Date de sortie France : 01/06/2011
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : In the mood for cinema
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