Après son formidable Kill list (1), qui a traumatisé plus d’un spectateur lors de sa présentation dans les festivals (L’Etrange Festival 2011, Beaune 2012…)puis lors de sa sortie en salles, Ben Wheatley a décidé de passer à un registre plus “doux”. Son nouveau film, Touristes est en effet une comédie romantique, qui raconte la virée champêtre mouvementée de deux tourtereaux, en couple depuis peu de temps.
Tina (Alice Lowe), une jeune femme à la vie bien rangée, semble en effet avoir trouvé la perle rare en la personne de Chris (Steve Oram). D’accord, il est roux, barbu et a un début de calvitie. C’est loin d’être un playboy, mais il est charmant, attentionné, et supporte aussi bien sa passion des chiens que sa mère, tyrannique. Alors, Tina se dit que Chris pourrait bien être l’homme de sa vie et n’hésite pas un instant quand il lui propose une petite virée en amoureux, en camping-car, pour un voyage destiné aussi bien à enrichir leur culture générale – en visitant, par exemple, le musée du crayon… – qu’à faire plus ample connaissance l’un avec l’autre, loin de l’envahissante matriarche…
Mais leur beau voyage romantique et bucolique ne va pas tarder à être perturbé par des fâcheux en tout genre : touristes irrespectueux de l’environnement, gamins bruyants, lecteurs du Daily Mail, etc…, et leur amour va se trouver mis à rude épreuve, à mesure que se dévoilent les petits travers de chacun…
Mais chut, on n’en dira pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, même si la bande-annonce en dévoile un peu trop à notre goût…
Ce que l’on peut dire, en revanche, sans trop en dévoiler, c’est que Ben Wheatley n’est pas vraiment rentré dans le rang en passant du film noir horrifique à la comédie, et que Touristes n’est pas vraiment destiné aux enfants, aux personnes trop sensibles, trop prudes ou aux défenseurs des animaux…
Il contient en effet des éclairs de violence, des séquences gore déjantées et quelques propos très crus qui risque d’écorcher les oreilles les plus chastes, sans oublier la morale de l’histoire, délicieusement perverse…
Pourtant, ce n’est pas un film d’horreur. Juste une vraie comédie noire, comme seuls les anglais savent encore les faire, un objet un peu fou dans la lignée de Shawn of the dead et Hot Fuzz d’Edgar Wright, que l’on retrouve d’ailleurs au générique, en tant que producteur. Et que c’est drôle, très drôle…
On peut aussi mettre l’accent sur la thématique principale du cinéaste, qui revient de film en film : l’idée que les individus – et par extension la société qu’ils constituent – sont constitués de plusieurs strates. Des strates supérieures qui les rendent “civilisés” et qui correspondent à la morale civique ou religieuse, l’éducation, la culture, le respect des lois et des coutumes du pays, accumulées au fil des âges. Et des strates inférieures plus primitives, qui renvoient aux instinct primaires des individus, la violence, le sexe, la peur de l’autre, les rites païens ancestraux…
Dans Down Terrace, Wheatley dressait le portrait d’une famille totalement pourrie par le vice, dont les membres évoluent en dehors des lois et des codes d’honneur.
Dans Kill list, le personnage principal semblait tout d’abord être un homme ordinaire, juste englué dans les problèmes du quotidien, entre chômage et alcoolisme, et un poil plus violent que la moyenne, au niveau du langage, du moins. Puis on découvrait, sous ce vernis déjà pas bien brillant, que le type a exercé la profession de soldat – il tuait pour son pays – et de tueur à gages – il tuait aussi pour gagner sa vie… Et au fur et à mesure de l’avancée du récit, on nous révélait des aspects de plus en plus sombres de sa personnalité, jusqu’à ce qu’un étrange rituel païen lui fasse accepter la sauvagerie profondément enfouie en lui et le fasse revenir à un état quasi primitif.
Ici, le parcours des protagonistes est beaucoup moins radical, mais ils ne sortent pas moins transformés de leur virée au coeur de l’Angleterre profonde. Au contact de la nature environnante et des sites historiques ou préhistoriques qu’ils visitent, ils abandonnent un peu de leur côté “civilisé” pour évoluer vers un comportement plus animal – dans leurs jeux érotiques, tout d’abord – puis dans leurs rapports aux autres. Le cinéaste montre ainsi toute la complexité de l’être humain, tiraillé entre sa morale, son éducation et ses pulsions primaires.
Autre thématique récurrente du cinéaste : le couple.
Dans tous ses films, il traite de la difficulté des individus à vivre à deux. Dans Down Terrace, les couples souffraient d’un problème de communication ou de confiance. Dans Kill list, le personnage principal et sa femme ne manquaient pas une occasion de s’invectiver violemment à la moindre contrariété.
Ici, Tina et Chris expérimentent la vie de couple, découvrent des aspects moins nobles de leurs personnalités respectives, qui cassent un peu le côté “conte de fées” de leur idylle et vont jusqu’à remettre en question la suite de leur relation.
Notre relation avec Ben Wheatley, elle, ne saurait être remise en cause de quelque sorte que ce soit.
En trois films, le cinéaste s’impose comme l’un des cinéastes les plus intéressants de sa génération. Il livre des oeuvres en apparence très différentes les unes des autres – un film de gangsters, un polar horrifique, une comédie grinçante – mais reliées par les mêmes thématiques, le même style de mise en scène, très sec et cette facilité déconcertante à mélanger les genres et les influences, du thriller au film social à l’anglaise…
On aime la folie de ses personnages, exutoire à nos propres pulsions sauvages, on aime ses portraits de société au vitriol et on aime son humour décapant et ses joyeuses embardées gore.
On attend avec impatience son prochain projet, tout aussi déjanté que les précédents, qui devrait nous emmener pour de bon dans le passé – l’Angleterre du XVIIème siècle, en pleine guerre civile – sur les pas d’un étrange alchimiste et d’un groupe de guerriers ayant consommé des champignons aux vertus hallucinogènes… Un trip psychédélique qui, comme ses trois autres films, ne devrait laisser personne indifférent…
(1) : “Kill list” est sorti en DVD et Blu-Ray, chez Wild Side
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Touristes Sightseers Réalisateur : Ben Wheatley |
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