Le nouveau film de Guillaume Brac a pour titre Tonnerre.
Comme la paisible petite ville de l’Yonne où il se déroule…
Comme les grondements électriques produits par la guitare du personnage principal, Maxime (Vincent Macaigne). Un rockeur célèbre qui avait l’habitude de jouer sous des tonnerres d’applaudissements, mais dont la carrière connaît un net épisode dépressionnaire, au point de le voir revenir s’installer chez son père (Bernard Ménez), le temps de retrouver l’inspiration pour une nouvelle mélodie…
Tonnerre, également, comme le bruit qui précède le coup de foudre. Celui de Maxime pour la jeune et belle Mélodie (Solène Rigot), justement. Fille d’une amie de son père et pigiste au journal local, elle a profité de la présence du rocker pour l’interviewer et ils ont sympathisé, avant de se laisser prendre au jeu de la séduction, malgré leur différence d’âge notable…
Tonnerre, enfin, comme le bruit de l’orage qui va bientôt s’abattre sur le couple et provoquer de sérieuses tempêtes sous un crâne. Car c’est bien connu, les histoires d’amour finissent mal en général. A Tonnerre ou ailleurs…
Certains pourraient être tentés de ne voir dans cette histoire qu’une simple chronique sentimentale axée autour d’un personnage de trentenaire mal dans sa peau. Une de plus. Et un de ces films art & essai déprimants estampillés “Fémis”, l’école dont est issu le cinéaste. Un de plus, formaté esthétiquement et narrativement selon les enseignements prodigués dans le prestigieux établissement.
Eh bien, ils ont tort. Car Guillaume Brac fait partie d’une jeune génération de cinéastes qui joue avec les conventions esthétiques de la Fémis et les stéréotypes du cinéma art & essai français pour mieux les faire voler en éclats et proposer des voies alternatives.
Ce qui frappe en premier, dans ce long-métrage, ce sont ses nombreuses ruptures de ton. Au premier plan, on s’attend à un film intimiste assez grave, mais le ton se fait soudain léger, comme dans une comédie romantique, puis on sent peu à peu que quelque chose ne va pas. Le récit bifurque vers quelque chose d’inquiétant, flirte avec le cinéma de genre – film noir et même fantastique – puis revient à quelque chose de plus terre-à-terre avant de rebasculer encore et encore… D’un point de vue purement narratif, le résultat est brillant, car le spectateur ne peut absolument pas prévoir la façon dont le scénario va bien pouvoir évoluer.
Autre particularité du cinéma de Guillaume Brac : le recours à des touches d’humour absurde pour surprendre le spectateur et maintenir ainsi constante son attention. Ici, une femme, invitée à dîner par le père de Maxime, se distingue par son comportement constamment décalé; un type vend des sapins de Noël aux couples dans les restaurants, comme d’autres des roses… et un chien neurasthénique se métamorphose dès qu’on lui susurre des vers de poètes.
Ces petites incongruités donnent lieu à des scènes absolument irrésistibles, qui valent à elles seules le détour.
Sur la forme, on est donc sur quelque chose d’assez original et inspiré. Sur le fond, en revanche, on reste dans du très classique. Car le scénario à tiroirs, malgré son habile construction, ne raconte finalement rien d’autre qu’une histoire de déception amoureuse et l’errance existentielle d’un homme vieillissant. Des choses déjà vues des dizaines de fois à l’écran. Tout ça pour ça !?! Vu le talent singulier de l’auteur, on peut s’empêcher de trouver les problématiques abordées un peu trop banales et insignifiantes. On sort du film un peu frustrés…
Mais peut-être est-ce volontaire. Une façon de nous faire partager la frustration du personnage principal face à une situation qui lui échappe peu à peu.
Ou alors faut-il chercher la clé du film ailleurs, dans les interstices du récit. Dans la relation entre Maxime et son père, par exemple. Dans le lien qui se tisse entre création et passion amoureuse. Ou encore dans le personnage de Mélodie, peut-être le plus beau de tous, femme prisonnière des sentiments des hommes, qui l’aiment constamment pour de mauvaises raisons.
Quoi qu’il en soit, le film nous laisse quand même un peu sur notre faim. Il ressemble plus à un exercice de style narratif, brillant mais vain, qu’à une oeuvre totalement aboutie. Mais Tonnerre n’en demeure pas moins une oeuvre totalement recommandable, ne serait-ce que pour admirer les performances des comédiens principaux.
Vincent Macaigne, égal à lui-même, incarne ce rockeur trop sentimental et trop sensible, éternel adolescent qui se rend compte qu’il est peut-être plus proche de son vieux père que de la jeune Mélodie. Il est dans son registre de prédilection, celui de la chronique douce-amère, de la poésie lunaire. Mais les méandres du scénario lui offrent aussi l’occasion de montrer ce dont il est capable dans d’autres registres, plus sombres, plus inquiétant. Il confirme en tout cas qu’il est devenu, depuis Un monde sans femmes du même Guillaume Brac, un acteur incontournable du paysage Art & Essai français.
Sa partenaire, Solène Rigot, déjà remarquée dans La Permission de minuit ou 17 filles, confirme qu’elle possède elle-aussi une présence magnétique à l’écran. Elle semble promise à une belle carrière. Et cette année 2014, où elle est déjà à l’affiche de deux films (Lulu femme nue et celui-ci) et bientôt trois (La Belle vie de Jean Denizot), devrait être une année-charnière pour elle.
Pour eux, pour les touches d’humour et de poésie que le cinéaste apporte à son récit, pour la construction narrative atypique du film, Tonnerre mérite le détour. Pour un premier long-métrage, les motifs de satisfactions ne manquent pas. Maintenant, on attend juste de Guillaume Brac qu’il se lâche un peu plus, qu’il développe un peu plus le côté décalé de ses personnages, de ses situations, et s’affranchisse totalement des carcans narratifs traditionnels. A vérifier dans sa prochaine réalisation…
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Tonnerre Tonnerre Réalisateur : Guillaume Brac Avec : Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Ménez, Jonas Bloquet, Hervé Dampt, Marie-Anne Guérin Origine : France Genre : comédie dramatique Durée : 1h40 Date de sortie France : 29/01/2014 Note pour ce film :●●●●○○ Contrepoint critique : L’Express |
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