Ne vous fiez pas au titre, qui pourrait laisser penser à un livre illustré pour gamins de six ans. Tom à la ferme, le nouveau film de Xavier Dolan,adapté de la pièce éponyme du dramaturge québécois Michel-Marc Bouchard, est une oeuvre sombre et cruelle.
On y suit un jeune homosexuel, Tom (Xavier Dolan), qui débarque dans un petit village rural du Canada pour assister aux funérailles de son amant, Guillaume, qui s’est apparemment suicidé. Il rend visite à la mère du défunt, Agathe (Lise Roy), qui n’a jamais rien su de l’homosexualité de son fils, ni de la nature exacte de la relation qu’il entretenait avec lui. C’est là qu’il tombe également sur le frère de Guillaume, Francis (Pierre-Yves Cardinal) avec qui le contact est tout de suite moins facile. Le type, fruste et violent, fait comprendre à Tom qu’il n’est pas le bienvenu à la ferme. Il peut rester dormir là le soir, à condition d’entretenir auprès d’Agathe l’illusion d’un Guillaume hétérosexuel et filant le grand amour avec une de ses collègue de bureau, et devra déguerpir au plus vite au petit matin, sous peine de représailles. Tom envisage un instant de s’enfuir loin de ce fou furieux, apparemment dangereux, mais il décide de tenir bon et de rester pour les funérailles… Imperceptiblement, il se retrouve prisonnier des lieux et de ses habitants…
Le coeur du film, c’est la relation d’attraction/répulsion qui se noue entre Francis et Tom. Tout les oppose, mais chacun retrouve en l’autre un peu de Guillaume, ce qui les aide à combler le vide de sa disparition et à exprimer leur colère et leur ressentiment face à ce décès subit. Tom est fasciné par la virilité brute de Francis et sans doute par sa ressemblance avec Guillaume. Francis, lui, voit en Tom la figure du petit frère, plus faible et plus sensible, qui lui manque cruellement. Le défunt les rapproche, mais ce lien se forge sur de la violence, de la domination et une forme de sado-masochisme, ce qui génère une tension grandissante. Jusqu’à quel point Tom va-t-il supporter les brimades et la violence de Francis? Que cherche réellement ce frère brutal, perpétuellement en colère?
Le cinéaste développe ici ses thèmes de prédilection : l’affirmation d’une orientation sexuelle et ses conséquences sociales, la passion amoureuse et la complexité des sentiments, la cellule familiale comme un univers étouffant…
La nouveauté, c’est qu’il utilise cette fois les codes du film de genre, entre thriller “hitchcockien” et survival horrifique. Et force est de constater que, pour une première, il relève le défi haut la main. Il met en place une atmosphère pesante, oppressante, à la lisière de la folie, et instille au récit une tension permanente. On tremble plusieurs fois pour le personnage, prisonnier malgré lui de cette entité familiale malsaine, au bord de l’implosion, et prisonnier, également, de ses propres sentiments, ceux qu’il éprouvait pour Guillaume et ceux qu’il sent naître pour Francis.
Certaines scènes sont de beaux moments de suspense, à l’instar de cette course-poursuite haletante dans un champ de maïs – référence consciente – ou pas – à la fameuse scène de La Mort aux trousses – qui débouche sur un corps-à-corps ambigu, entre viol et étreinte amoureuse .
De bout en bout, le récit surprend et bouscule le spectateur, alternant les échanges verbaux, les moments de tension et même quelques incursions comiques inattendues.
Mais la colonne vertébrale du récit reste un drame intimiste articulé autour d’un deuil impossible. La mère de Guillaume ne peut accepter la mort de son fils de 25 ans, une absurdité. Et elle ne comprend pas comment un garçon apparemment heureux et sans histoire peut se donner la mort. Francis, lui, essaie d’évacuer un sentiment de culpabilité. Et Tom ne peut même pas exprimer son chagrin, qu’il doit dissimuler comme un secret honteux, sans avoir plus de réponse quant à l’acte désespéré de son amant. Tom à la ferme est avant tout une oeuvre forte, bouleversante, sur des personnages à la dérive, unis par la même douleur.
On est heureux de voir Xavier Dolan rebondir ainsi après l’accueil en demi-teinte de Laurence anyways. Le jeune cinéaste canadien revient à un peu plus d’humilité, à un style moins ampoulé, moins chargé, et sacrément efficace. Il parvient à donner une ampleur toute cinématographique au texte de Michel-Marc Bouchard et dirige ses acteurs à la perfection. Lise Roy est formidable en mère éplorée, pour qui la vie et la mort de son fils cadet est un mystère. Evelyne Brochu est tout aussi épatante dans le rôle de la fausse petite-amie de Guillaume, dotée d’un sacré caractère et une “virilité” (toute relative) qui tranche avec la fragilité de Tom. Et Pierre-Yves Cardinal est fascinant dans le rôle de Francis, boule de rage et de douleur, pour qui le deuil du frère a commencé bien des années auparavant…
Intense, bouleversant et vénéneux, Tom à la ferme fut l’un de nos coups de coeur de la 70ème Mostra de Venise. Et s’il a été scandaleusement oublié au palmarès par le jury de ce festival, on espère fortement qu’il saura trouver un accueil plus favorable auprès des cinéphiles français, avant que son auteur ne retrouve la Croisette en mai prochain, avec son attendu Mommy.
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Tom à la ferme Tom à la ferme Réalisateur : Xavier Dolan Avec : Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy, Evelyne Brochu Origine : Canada, France Genre : l’amour aux trousses Durée : 1h42 Date de sortie France : 16/04/2014 Note pour ce film :●●●●●● Contrepoint critique : Le Parisien |
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