Sidonie au JaponSidonie (Isabelle Huppert), écrivaine française renommée, est invitée au Japon à l’occasion de la réimpression de son premier roman. Elle y va un peu à reculons, pas très enthousiaste à l’idée de se retrouver seule dans un pays qui lui est totalement étranger. C’est peut-être pour cela qu’elle arrive un peu en retard à l’aéroport, espérant secrètement rater son vol. Mais l’avion ayant été retardé, elle n’a pas d’autre choix que de se rendre à Osaka, où l’attend son éditeur, Kenzo Mizoguchi. A première vue, rien ne les unit vraiment. Il est timide, taiseux et calme. Elle est exubérante, volubile et remuante. Ils vont devoir cohabiter quelques jours, pour les besoins de la tournée de l’écrivaine. Entre lectures, interviews et séances de dédicaces, Mizoguchi l’emmène à la découverte de son pays, de temples en lieux emblématiques. Ils apprennent peu à peu à se connaître, s’apprécier et se trouver plus de points communs qu’ils ne le pensaient.
Au point de nouer une relation sentimentale? Rien n’est moins sûr… Car très vite, une autre “personne” vient s’immiscer entre eux. Les guillemets s’imposent car il s’agit… d’un fantôme. Celui d’Antoine, l’ancien compagnon de Sidonie, décédé il y a quelques années. Au début, le spectre reste assez discret, se contentant d’une ou deux apparitions fugaces, mais plus Sidonie se laisse gagner par l’atmosphère des lieux, plus il ose s’approcher, jusqu’à renouer le dialogue avec elle.

Sur cette trame évoquant aussi bien le Lost in translation de Sofia Coppola, pour la rencontre de ces deux êtres solitaires et tourmentés, que Ghost, pour le fantôme aidant son ancienne femme à prendre un nouveau départ, Elise Girard signe un film très personnel et intime, oscillant constamment entre comédie et drame, fantaisie et poésie, comme pour accompagner la rencontre de ces deux personnages principaux aux tempéraments opposés, et décrire cette période de transition entre un deuil et un nouveau départ. De ce fait, Sidonie au Japon est une oeuvre funambule, constamment en équilibre, qui prend son temps pour avancer, pas à pas, et dérouler sa jolie partition.
Autant dire que c’est aussi un film assez contemplatif et anti spectaculaire, qui ne plaira pas forcément aux amateurs de cinéma d’action. Mais ce côté zen et épuré peut aussi faire beaucoup de bien à une époque où tout va trop vite et où la parole gagnerait à se faire plus rare.

Mais on peut aussi savourer les performances des interprètes, toutes en nuances. Tsuyoshi Ihara, vu notamment dans La Saveur des ramens, incarne avec beaucoup de sensibilité cet éditeur dévoué, discret et serviable et terriblement respectueux des codes et des conventions, et bousculé par cette auteure française déconcertante. August Diehl campe un curieux fantôme, tout en charme et en élégance. Isabelle Huppert, de son côté, est (comme toujours) impeccable dans la peau de cette femme exubérante, apparemment pleine de vie et de jeunesse d’esprit – c’est sans doute pourquoi elle s’achète sur un coup de tête des baskets lumineuses – mais dissimulant une profonde mélancolie.

En tout cas, ce film confirme le talent singulier d’Elise Girard, qui prend elle aussi son temps pour développer sa filmographie (seulement trois longs-métrages en douze ans). Et il rappelle aussi celui de Sophie Fillières, coscénariste du film, qui est décédée quelques semaines avant la présentation du film à la Mostra de Venise, où il était présenté dans le cadre des Giornate degli autori, et dont le fantôme a accompagné la projection du film.


Sidonie au Japon
Sidonie au Japon

Réalisatrice : Elise Girard
Interprètes : Isabelle Huppert, Tsuyoshi Ihara, August Diehl
Genre : Ghost in translation
Origine :
Date de sortie France : 3 avril 2024

Contrepoints critiques :

”Toute fiction, on le sait, est un documentaire sur ses acteurs. C’est particulièrement vrai ici. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Isabelle Huppert ainsi, d’aussi près, de manière aussi intime.”
(Jacques Morice, Télérama)

”Le spectre d’un mari disparu surgi d’une conscience soudain perturbée, confronte l’héroïne à sa propre tangibilité. Dommage que ce rapport existentiel reste dans les clous d’un récit où les pistes intéressantes ne manquaient pourtant pas.”
(Thomas Baurez, Première)

Crédits photos : Copyright 2023 1015! PRODUCTIONS LUPA FILM BOX PRODUCTIONS FILM IN EVOLUTION FOURIER FILMS MIKINO LES FILMS DU CAMELIA

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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