Quand on a appris que deux projets autour de la vie du couturier Yves Saint-Laurent étaient mis en chantier simultanément, on s’était rassuré en se disant que Jalil Lespert et Bertrand Bonello allaient faire des films radicalement différents l’un de l’autre. Mais maintenant qu’on a vu les deux oeuvres, on peut dire qu’elles sont assez proches dans leur contenu, hélas, et que la version de Bonello, qui ne propose pas de point de vue alternatif sur le personnage, semble arriver un peu après la bataille.

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Les deux premières scènes, pourtant, laissent entrevoir une oeuvre beaucoup plus sombre et polémique sur le célèbre couturier, dont le génie créatif s’accompagnait souvent d’excès en tous genres (alcool, drogues, aventures d’un soir…) et de crises d’angoisse existentielles. Dans la scène d’ouverture, on l’entend parler à un journaliste de sa fragilité et de ses épisodes dépressifs, mais aussi de son séjour en hôpital psychiatrique et du traitement de choc qu’il y a subi, au moment de la guerre d’Algérie. Puis on le voit, affalé à même le sol sur un chantier, après une nuit de débauche, avant que ne défile le générique de début. On se dit alors que Bertrand Bonello va explorer tous les aspects de cette figure mythique de la Haute-Couture française, s’intéresser aux paradoxes les paradoxes de cet homme avide de reconnaissance mais fuyant les feux des projecteurs, montrer la frontière ténue entre le génie créatif et la folie, le lâcher-prise de l’artiste et l’autodestruction.

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Mais, très vite, le film adopte la forme d’une biographie classique et linéaire, exploitant exactement les mêmes épisodes que le biopic de Jalil Lespert : les rapports chaotiques avec Pierre Bergé, les rencontres avec Betty Catroux ou Loulou de la Falaise, l’admiration réciproque avec Andy Warhol, l’idée de la ”robe Mondrian”, la grande passion avec Jacques De Bascher,… Et il se boucle également de la même façon, sur le défilé de 1975, imaginé après un salutaire retour aux sources, au Maroc.
Rien de profondément nouveau sur le fond, et rien d’excitant au niveau de la narration.

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On est loin du portrait sulfureux attendu, que Pierre Bergé, garant de l’image du défunt couturier et de la marque YSL, voulait attaquer en justice. Bonello ne  joue jamais la carte de la polémique ou de l’impertinence. Il dresse juste le portrait d’un artiste à fleur de peau et d’un homme malheureux, qui cherchait à diluer ses tourments dans l’alcool et les paradis artificiels ou dans les bras d’autres hommes. Exactement comme Lespert, en somme, et sans rien nous apprendre de nouveau.
On aurait aimé, par exemple, qu’il creuse un peu plus l’idée que Saint-Laurent s’est enfermé lui-même dans sa création, cherchant le succès et la reconnaissance, mais incapable d’en supporter les conséquences, qu’il explore davantage, et sans tabous, la relation amour/haine que le couturier entretenait avec Pierre Bergé, son meilleur allié et son pire poison, qu’il expose les affres de la création…

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Hélas, il n’en est rien. Hormis une scène-choc filmant l’agonie d’un chien victime d’une overdose, Saint Laurent est trop sage, trop lisse. Il ressemble trop au film de Jalil Lespert.

Même le jeu de Gaspard Ulliel semble calqué sur celui de Pierre Niney. Sans doute les deux acteurs ont-ils beaucoup travaillé sur la gestuelle et le phrasé particulier d’Yves Saint-Laurent pour l’incarner de façon juste et précise à l’écran. il est donc dommage de ne pas pouvoir plus les démarquer l’une de l’autre. Cela minimise quelque peu leurs performances d’acteurs, pourtant exceptionnelles l’une comme l’autre.

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La seule véritable distinction entre les deux films est esthétique. Il convient de reconnaître que le film de Bertrand Bonello est bien supérieur, esthétiquement,  à celui de son jeune confrère, grâce à ses images léchées, ses longs plans-séquences, ses cadrages ultra-précis….
Il n’y a rien à redire sur les aspects esthétiques et artistiques de ce long-métrage. C’est indéniablement du beau travail.

Ceux qui n’ont pas vu le film de Jalil Lespert prendront sûrement beaucoup de plaisir face à celui de Bertrand Bonello. Les autres peuvent aussi y trouver leur compte, car l’oeuvre est joliment mise en scène et interprétée par d’excellents acteurs, mais, comme nous, ils trouveront sans doute un peu gênant de voir des films aussi similaires à un intervalle aussi rapproché.

Cela valait-il vraiment la peine de lancer simultanément deux films sur le même sujet? Bertrand Bonello ne pouvait-il pas mettre son talent au service d’autre chose qu’un “simple” biopic?
On vous laisse en juger…

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Saint-Laurent

Réalisateur : Bertrand Bonello
Avec : Gaspar Ulliel, Jérémie Renier, Léa Seydoux, Louis Garrel, Amira Casar, Helmut Berger, Jasmine Trinca
Origine : France
Genre : biopic trop sage
Durée : 2h30
date de sortie France : 24/09/2014
Note :
Contrepoint critique : Le Monde

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