– L’anniversaire de Kim Jong-Il / A coucher dehors / Mort aux vaches (Ducoudray & Co) –

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Est-il besoin de rappeler à quel point ici, à la Rubrique-à-Brac, nous sommes fans d’Aurélien Ducoudray ?

Des rues malfamées de Baltimore aux camps de réfugiés du nord de la France en passant par les campagnes bosniaques ou les chambres d’hôpital des tristement fameuses Gueules Cassées, le bonhomme a su nous faire voyager au travers de nombreux environnements ô combien différents en les reliant pourtant systématiquement avec un précieux dénominateur commun : la qualité des histoires qui y prenait lieu.

Faut dire que le lascar est un sacré raconteur.
Et au-delà des histoires, ce qu’il raconte le mieux – à l’instar d’un Davodeau ou d’un Prud’homme – c’est les gens !
Savoir raconter les gens, voilà peut-être le véritable secret d’une bonne histoire : créez un bon personnage, sachez lui donner une véritable personnalité, un passé, un vécu et des expériences, un avenir, des ambitions et des rêves, une gouaille, un grain de folie ou juste ce petit je-ne-sais-quoi qui le rend unique… et le tour est joué !
Lorsque le personnage est bien écrit, vous pourrez alors lui faire vivre tout et rien à la fois, la plus folle des aventures ou le plus banal des quotidiens, qu’importe : on saura s’attacher à lui et vibrer au moindre de ses faits et gestes…

Un contrat que Ducoudray rempli haut-la-main à chacun de ses bouquins.
Un contrat que Ducoudray rempli encore haut-la-main avec ses trois derniers bouquins qui fleurissent ces jours-ci dans nos bédéthèques.

Trois bouquins encore une fois bien différents, mais trois bouquins qui s’articulent encore une fois autour de personnages parfaitement maîtrisés par le malin scénariste.

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Dans l’Anniversaire de Kim Jong-Il, c’est via les yeux d’un p’tit gars de Corée du Nord que Ducoudray nous racontera le quotidien sous le joug de l’autre fou-furieux à la tête du pays.
Pourtant, loin de nous servir un pompeux livre politique, un énième reportage sur ce sujet déjà bien rabâché, ou même un simple pamphlet en bonne et due forme, c’est un livre hautement intime et touchant qu’il nous offre ici. Le régime Nord-Coréen nous étant présenté au travers du regard innocent, naïf et même crédule d’un enfant, nous réaliserons à quel point la propagande s’avèrera puissante et efficace, s’insinuant dans son jeune esprit pour mieux lui faire croire que la dictature, c’est le pays des Bisounours…
…jusqu’à ce qu’il fasse un pas de travers et que les Bisounours montrent enfin leur vrai visage, cruel, sans pitié et aux crocs acérés !

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Autre livre, autre ambiance : avec A coucher dehors, Ducoudray mettra en scène un vieil SDF blasé et énervé – revenu de tout et fâché envers tous – qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’une grande maison héritée d’une lointaine tante oubliée. Petit détail, la condition sine qua non pour qu’il garde ladite maison, c’est qu’il consente d’y vivre avec le petit cousin trisomique désormais orphelin… et la tonne de responsabilités que cela implique !
Pourtant, au-delà des contraintes que cette nouvelle situation pourra engendrer, ce qu’il en sortira finalement sera un grand élan de solidarité, de partage, de vivre-ensemble, de tolérance…
« Bons sentiments ! », me direz-vous, « Tout à fait ! », vous répondrai-je, mais en faisant fi de la tonne de connotations péjoratives que l’on a malheureusement tendance à associer aux bons sentiments !
C’est beau, c’est joyeux, ça fait du bien… et pis c’est tout, merde !

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Enfin, last but not least : le génial Mort aux vaches.
Un bel hommage aux polars des années 60, des dialogues à la Audiard – tant pour le vocabulaire fleuri que pour les p’tites répliques bien ciselées – et une drôle de mise au vert en compagnie d’une sacrée bande de bras cassés en planque chez le cousin bouseux suite à leur dernier braquo’ !
Hommage, mais pas copie, hein ?! D’ailleurs, si l’ambiance fait immédiatement penser aux classiques de Lautner, les sujets, eux se révèlent bien plus contemporains ; entre poupées russes à l’affut de pauvres paysans à dépouiller marier et folle crise de la vache non moins folle !

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Mais au-delà de son talent pour écrire des personnages aux petits oignons, l’autre qualité du monsieur qui ressort de ces pages, c’est sa propension à s’entourer systématiquement du dessinateur en totale adéquation avec ses mots.

Après la jolie démonstration de Steve Baker humanisant à merveille les robots de B.O.T.S, c’est encore un véritable tiercé gagnant qui se présente ici au portillon !

Un sujet vu via les yeux d’un enfant ? Hop, appelons Mélanie Allag : son trait enfantin fera non seulement des merveilles dès la première intention, mais il saura en plus modérer le propos et éviter tout risque de sombrer dans le pathos ou le voyeurisme lorsque le sujet se fera plus grave et plus violent… même si sa palette de couleurs s’assombrira pile ce qu’il faut pour appuyer le changement de ton et le calvaire des personnages.

Pour ce qui est de son « feelgood book », Ducoudray rappellera sa complice officiant alors sur Amère Russie : le style vif et débordant d’énergie d’Anlor Tran – associé aux couleurs lumineuses et chatoyantes dont elle emplit ses pages – retranscrira au mieux les milles émotions émanant de ses personnages bourrés d’amour et d’humanité !

Reformation d’un duo également pour Mort aux vaches, celui qui avait déjà largement fait ses preuves par deux fois sur La faute aux chinois et Clichés de Bosnie. Un duo qui confirme à nouveau sa légitimité (et bien plus encore !), car si les mots du scénariste sonnent comme une ode aux tontons flingueurs et aux barbouzes, les pinceaux de François Ravard y apporterons le corps nécessaire… le corps, et la gueule ! Impossible en effet de ne pas entrevoir d’une case à l’autre les trognes sans pareil des Ventura, Constantin, Blier ou autre Gabin !
Notons également sa superbe maîtrise du fusain : il serait regrettable de parler simplement d’un dessin en noir & blanc, mais bien d’un dessin en noirs et en blancs tant son travail sur les lumières, les ombres, et les reliefs et tout bonnement admirable.

Vous l’aurez compris : grâce à ces trois nouveaux titres – et à l’aide de ses cadors de collègues – Ducoudray apporte ici trois nouvelle pierres à une œuvre déjà impressionnante… et qui constituera à coup sûr un monument de la bande dessinée !

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* L’anniversaire de Kim Jong-Il, de Mélanie Allag & Aurélien Ducoudray (ed. Delcourt).
* A coucher dehors, d’Anlor Tran & Aurélien Ducoudray (ed. Grand Angle).
* Mort aux vaches, de François Ravard & Aurélien Ducoudray (ed. Futuropolis).

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