– Le ciel pour conquête, de Yudori // Mon ami Pierrot, de Jim Bishop –

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Quand la vague manga envahit la France dans le sillon du tsunami d’animés déferlant via le Club Dorothée, celui-ci fut très vite enfermé dans les petites cases dont notre fénéantise est friande, le réduisant aux sempiternel shonen où les grosses bastons cèdent souvent place aux gros nichons, d’une part, ou au shojo à l’eau de rose où de jeunes ingénues aux grands yeux tombent amoureuses sous une pluie de pétales de cerisier, d’autre part.

Heureusement, les années qui suivirent vinrent ouvrir le champ des possible, notamment grâce à des personnes comme Frédéric Boilet ou Benoit Peeters qui lancèrent le mouvement de « la nouvelle manga », mettant en avant des mangas indépendants parmi lesquelles des œuvres autrement plus diverses, pointues et personnelles que celles auxquelles on se cantonnait à nous servir. Ce fut l’occasion de découvrir alors des auteurs tels que Jiro Taniguchi et surtout de créer des ponts entre manga et BD européenne.

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Une explosion des cases et des préjugés qui nous permet aujourd’hui de voir fleurir dans nos librairies de jolis ouvrages reprenant les codes du manga, certes, mais les mariant avec tout type de narration et de thèmes, et venant d’horizons divers et variés.

Ainsi, il nous fut donné de lire ces jours-ci Le ciel pour conquête, le très bel album de Yudori, une artiste coréenne qui nous livre ici un joli roman-ga graphique (ou ro-manga graphique, c’est selon) dense et profond. D’un trait élégant et sensuel, Yudori nous transporte dans la Hollande du XVIème siècle et nous conte l’histoire de deux femmes – l’épouse d’un noble marchand et sa maitresse achetée sur un marché aux esclaves exotique – chacune prisonnière de leur condition mais prêtes à se battre pour exister. En résulte un épais album résolument moderne, car s’il est d’une précision historique exemplaire – tant sur les décors, les habits, les pratiques ou les mœurs – c’est bien la condition des femmes à travers les temps, et ce, jusqu’à notre époque, qui sera interrogée.

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En parallèle, nous pourrons également nous pencher sur Mon ami Pierrot, un album réalisé par Jim Bishop, un auteur français né en plein dans les années Dorothée dont nous parlions ci-dessus, qui épouse le graphisme du manga pour nous offrir un joli conte avec de beaux princes et princesses aux visages enchanteurs et sibyllins. Seulement, lorsque les charmants magiciens se transforment en immonde sorciers et que les fées laissent place aux monstres, les couleurs pastel s’embrasent, le trait aérien se met à dégouliner, l’onirique devient horrifique… et ce qui débutait comme une classique histoire d’amour naïve – pour ne pas dire niaise, par moment – tire petit à petit vers la malsaine emprise au fur et à mesure que l’amoureux transi se révèle pervers narcissique. Ceci dit, les contes ne sont-ils pas, à la base, le miroir des travers de notre société ?

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Au regard de ces deux albums – l’un coréen et l’autre français – aussi pertinents qu’originaux, à la pagination généreuse et traitant de thèmes bien plus sérieux et actuels qu’ils n’y paraissent ; ne tenons-nous pas là une flagrante démonstration que le manga peut également être international, indépendant, « d’auteur », et s’élever bien au-delà des carcans dans lesquels ceux qui finalement refusent de s’y pencher aiment à l’enfermer ?

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* Le ciel pour conquête, de Yudori (Ed. Delcourt)
* Mon ami Pierrot, de Jim Bishop (Ed. Glénat)

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