Quel que soit leur bord ou leur sensibilité, s’il existe bien un point sur lequel l’ensemble des journalistes politiques s’accordent, c’est bien sur la faiblesse – pour ne pas dire l’inintérêt – de cette dernière campagne présidentielle. Fortement parasitée par la pandémie mondiale d’une part, puis par la crise en Ukraine de l’autre, aucun des candidats n’a réellement su se démarquer ni faire preuve de réelles propositions pour l’avenir de notre pays, de notre société, et surtout, de notre planète !
Pourtant, nous, bédéphiles, verrons tout de même une chose intéressante éclore de cette piètre campagne : Carnets de Campagne, gros bouquin réalisé à 6 paires de mains et tout juste sorti chez Dargaud.
Orchestré par Mathieu Sapin – déjà bien rodé à l’exercice via son reportage sur la campagne de François Hollande puis celui sur ses premiers pas à l’Elysée – cet album rassemble 5 autres auteurs ayant également déjà frayé avec la politique de par leurs travaux en librairie ou dans la presse, et nous relate leurs aventures dans les pas des principaux candidats à l’Election Présidentielle 2022.
Ainsi, de la récolte des parrainages au fatidique compte à rebours précédant la photo de notre nouveau Président, en passant par les phases de primaires et l’inévitable Salon de l’Agriculture, le petit groupe de bédéastes colleront aux basques des prétendants à l’Elysée, nous offrant alors une vision des plus intéressantes sur les coulisses et les (parfois grosses) ficelles de cet éreintant marathon électoral.
D’autant plus intéressant, d’ailleurs, que contrairement aux journalistes, les auteurs, eux, n’ont pas à faire preuve d’objectivité ou à se contraindre aux respect du off, et ne se gênent donc pas le moins du monde à donner leur avis et ressenti sur chacun d’eux, balançant à quel point la mère Le Pen cherche à se la jouer humaine et respectable alors que parmi ses partisans, le racisme ordinaire reste à son paroxysme ; comment les militants de Zemmour se révèlent être de purs clichés de la Vieille France, bérets à l’appui ; le point d’honneur que met Mélenchon à ce que son nom ne soit jamais scandé en meeting afin de bien mettre l’accent sur ce collectif tant revendiqué ; avec quelle bonhommie Jean Lassale se trimballe, entre selfie (aux mains baladeuses) et bonnes bouffes (bien arrosées) avec ses partisans ; comment furent aveuglément convaincus ou lucidement embarrassés les soutiens de Pécresse après son ridicule meeting truffées de punchlines tout aussi ridicules au Zénith ; le pathétisme avec lequel Jadot répète à qui veut l’entendre qu’il veut parler aux jeunes alors qu’il ne parle finalement que de lui, le véritable naufrage du PS qui s’apparenterait presque à une métaphore filée de la lose tant rien n’a jamais fonctionné au cours de cette campagne qui ne fut qu’une succession de déroutes et d’embûches, ou encore la machine de guerre des Marcheurs, monstre de communication avec aux manettes une équipe de scénaristes plus que de conseillers politiques, plus prompts à mettre en place un récit de campagne au storytelling bien huilé que de revenir sur le bilan du premier quinquennat ou proposer de réelles idées pour le second…!
Enfin, au-delà, de l’intérêt premier de ce bédé-reportage, on appréciera l’humour apporté à cet exercice des plus sérieux et méticuleux, le trait simple, hyper-lisible et percutant de chacun systématiquement réhaussé par la couleur représentative du parti concerné par les pages, mais aussi et surtout, le tour de force éditorial ayant permis d’éditer le livre en un temps record afin de le sortir en librairie quelques semaines seulement après le second tour !
Carnets de Campagne, de Mathieu Sapin, Louison, Dorothée de Monfreid, Kokopello, Lara & Morgan Navarro (Ed. Dargaud / Seuil)