Depuis sa relance en fanfare en début d’année dernière, la série Donjon ne cesse de nous surprendre à chaque nouveau tome, mélange systématique d’un minutieux travail révélant et étoffant à la fois la foisonnante mythologie de Terra Amata, et d’un évident plaisir primaire et quasi’ potache des deux vieux complices aux manettes ! Et ce n’est pas ce dernier Monsters qui dérogera à la règle !
Rien que le point de départ, déjà : dans l’un des tomes originels, pour se sortir d’une situation délicate, deux héros font appel à un sort aussi improbable que son nom – le Poupout Papillon – consistant à fusionner leurs deux corps en une sorte de monstrueux papillon à deux têtes, avant de s’enfuir à tire d’ailes… improbable, donc. Le nom comme le sort. C’est également ce que se dira ce vieux chonchon de Lewis. Vieux chonchon qui ne manquera donc pas d’en faire part à son collègue, Joann-le-foufou. Joann-le-foufou qui proposera donc de réaliser tout un album autour de ce sort improbable. Improbable ? Pas tant que ça, car sort donc aujourd’hui Les poupoutpapillonneurs, tout bonnement un de meilleurs albums de la série !
Comme énoncé plus haut, cet opus révèle et étoffe la mythologie terramatienne, avec des « origin stories » de perso’ qui deviendront mythiques dans les tomes suivants (enfin, suivants dans la chronologie, car en vrai, ils sont déjà parus, hein ?), mais aussi apparition d’un perso’ qui deviendra mythique dans les tomes suivants (enfin, ce coup-ci dans les tomes à paraître car sa première apparition ici est également sa première apparition tout court, mais pas sa dernière… m’voyez ?), révélation de « l’évènement » qui amènera à la disparition des cochons dont on parlait déjà dans les tomes suivants/précédents (non, user de l’imparfait pour évoquer un fait futur n’est pas antinomique lorsque l’on chronique du Donjon), l’explication de l’approche et de la pratique de la magie sur Terra Amata, et bien sûr, la création du fameux – et improbable mais très utile – Poupout Papillon !
Vous trouvez ce paragraphe absurde ? Certes. Il est pourtant aussi des plus sérieux, reprenant par le menu ce qui sera abordé dans cet opus. D’ailleurs, cette opposition absurde/sérieux est elle-même à l’image dudit opus, l’humour y étant certes présent, mais un humour très noir, très cynique : si le postulat de base parait au premier abord des plus légers, son traitement, lui, se révèlera être parmi les plus sombres, non sans rappeler des titres tels Des Soldats d’Honneur ou Les Profondeurs. Une opposition que l’on retrouve également au niveau graphique, tant l’aspect quelque peu difforme et dégingandé des personnages peut – selon les situations – paraître grotesque ou inquiétant, basculant en un instant de benêts tout mollassons à zombies tout ensorcelés. Une impression encore renforcée par le travail sur les couleurs opéré par Juanungo, celui-ci les parant d’un aspect charbonneux, voire-même d’un léger flou, offrant une ambiance douceâtre et mystérieuse à ses pages…
Finalement, cet album ne serait-il pas lui-même l’étrange résultat d’un improbable Poupout Papillon bédéastique : être hybride à deux têtes, chacune au caractère bien distinct… à l’image de l’hydre Tronsfar construisant toujours plus haut son/leur Donjon ?!
Les poupoutpapilloneurs (Donjon Monsters, Tome 15), de Juanungo, Sfar & Trondheim (Ed. Delcourt).