– Malgré tout, de Jordi Lafebre –

« Il y a très longtemps, la lune et la Terre suivaient chacune leur trajectoire. Un jour, elles se sont croisées et se sont attirées mutuellement, mais ni l’une ni l’autre n’est parvenue à s’arrêter.
Elles ont poursuivi leur course, chacune exerçant une attraction sur l’autre, et les forces se sont conjuguées, si bien que la lune s’est mise à tourner autour de la Terre, encore et encore… Même si elles n’ont pas réussi à s’accrocher, leurs trajectoires sont à jamais liées. »

A l’image de la lune et de la Terre, Ana et Zino se sont croisés, se sont attirés, n’ont pu s’arrêter, ont continué leur course, mais ce, sans cesser de se tourner autour, leurs trajectoires à jamais liées…
…jusqu’à ce jour où, au crépuscule de leur vie, ils se retrouvent enfin et échangent ce baiser tant espéré.

Non ! Ne fuyez pas : aucun spoil de ma part dans la phrase ci-dessus ! Le livre débute, bien par ce baiser échangé entre Ana et Zino, ce baiser tant espéré, échangé après 37 ans à se tourner autour !

Et après ce baiser, qu’adviendra-t-il ? Aucune idée, car l’histoire finit bel et bien ainsi, ce chapitre numéroté « 20 » marquant la conclusion de l’album… mais également son point de départ ; les chapitres suivants s’avérant être le 19, le 18, le 17 et ainsi de suite jusqu’au chapitre 1, exposant ainsi « à rebours » les étapes clés de l’histoire d’amour de Ana et Zino. Ainsi au fil des pages nous remonterons le fil du temps, les voyant rajeunir tout en se croisant, se fuyant, s’écrivant, se perdant, se cherchant… s’aimant, à chaque instant, mais ne parvenant à s’adonner l’un à l’autre : elle, coincée dans sa ville natale entre sa vie de mère et sa vie de maire ; lui, vivant une vie de plaisirs éphémères et voguant sur les sept mers… Elle, trop terre à terre ; lui, toujours dans la lune…
La Terre et la lune, toujours… La Terre et la lune, jamais… La Terre et la lune, à jamais…

Et si toute la malice de cette énième histoire d’amour résulte des contretemps de cette course à contre-temps, ce magnifique album ne se résume pas qu’à cela, un charme sans pareil opérant également par son visuel enchanteur ! Jordi Lafebre nous offre ici des planches fabuleuses ; son trait libre, élancé et élégant faisant des merveilles tant sur les décors que sur les personnages, des décors devenant parfois des personnages à part entière, des personnages exprimant mille et une émotions. Des émotions intenses qu’ils laisseront transparaître tant via leurs regards – leurs yeux pleins de tendresse, d’amour et de complicité – que par leur gestuelle et leurs postures, parfois à la limite de l’expression corporelle ou de la danse… Une danse dans laquelle la couleur n’est pas à part, une myriade de teintes pastelles nous entrainant dans une valse de douceur et de poésie enivrante et envoutante…

Normalement, les chroniques se finissent par une conclusion, mais la conclusion ayant été ici abordée dès les premières lignes, je finirai cet article en me remémorant ce sentiment d’ébahissement qui m’a saisi en ouvrant et album… et qui ne m’a jamais lâché tout du long.

* Malgré tout, de Jordi Lafebre (Ed. Dargaud)