Retour, aujourd’hui, sur deux livres très particuliers parus cet été, deux récits un peu fous et un peu flous, jouant moins sur l’histoire et sur les faits que sur le ressenti et les sentiments.
Le premier – Le cahier des tourmentes – nous emmène sur les pas d’un auteur victime de la page blanche qui décide de partir chercher l’inspiration à Ville-Effroi, dernier refuge des trépassés, des âmes perdues. Au cours de son périple, il traversera divers lieux hauts en couleurs – même si la dominante restera le rouge sang – tout aussi envoûtants qu’effrayants ; et y croisera des êtres étranges et hybrides, plus tout à fait humains, pas vraiment encore fantômes, pas tout à fait monstres non plus. Ces contrées terribles et ces rencontres étranges, il les compilera dans son carnet des tourmentes avec une poésie inversement proportionnelle à la tragédie qu’ils véhiculent, son alter ego de chair et de sang – le génial auteur espagnol David Rubin – lui offrant des textes dont le lyrisme n’a pour égal que la virtuosité de son trait ; épais, libre et suave, sublimé par une colorisation profonde et ensorcelante.
Le second livre – Après le monde – nous entraîne aux côtés de Héli et Sélen, deux jeunes adolescents, seuls « survivants » dans un monde où tout être à mystérieusement disparu, comme ça, sans crier gare, du jour au lendemain et sans explication aucune. Totalement paumés et désemparés, ils décident de quitter leurs foyers désertés et de se diriger vers ces mystérieuses tours apparues comme par magie, pile quand les gens disparurent comme par magie ! S’ensuit alors une expédition à travers les villes abandonnées où la nature reprend ses droits… la nature, et une pointe de surnaturel aussi ! Et pour dessiner ces deux ados, leur trip à travers ces villes recouvertes de végétation et peuplées de fantômes, le dessin de Thimothée Leman fait des merveilles. Un dessin non sans rappeler l’univers de Tony Sandoval, fin et puissant à la fois, plein de sensibilité et de douceur tout en se teintant néanmoins d’une certaine noirceur et d’une profonde mélancolie ; tant dans les grands yeux de ses personnages que dans les teintes dominant sa palette, un impressionnant nuancier de gris profonds et de blanc lumineux au milieu desquels apparaîtra parfois une simple touche de couleur…
Deux albums aux thèmes assez proches, finalement – le manque, le deuil, la solitude, l’errance – et qui se rejoignent également sur la forme, ou du moins, sur la trame générale : une longue déambulation, sans ligne directrice claire ni réel but, tenant plus de l’introspection que du voyage. Une introspection au cours de laquelle le lecteur pourrait parfois se sentir perdu, largué, comme abandonné sur le bord du chemin. Et pourtant, ce chemin, il le continue tant ses yeux son charmés par leur époustouflant visuel, envoûté par la sombre poésie qui en émane… et si à la fin du récit, il finit avec plus de questions que de réponses, à lui d’imaginer le destin qui sierra le mieux aux personnages.
* Cahier des tourmentes, de David Rubin (Ed. Rackham)
* Après le monde, de Timothée Leman (Ed. Sarbacane)