C’est l’histoire d’Abel, un vieux monsieur vivant seul avec son vieux chien, s’occupant de ses deux vieilles vaches et de son vieux troupeau de biquettes dans une vieille ferme, paumée au fin fond d’un vieux village d’une campagne très vieille France. Entre deux traites, il laboure ses terres avec son vieux tacot de tracteur, et parfois, il traîne sa vieille carne jusqu’au vieux troquet du coin pour s’envoyer une bonne vieille mousse entouré des vieux piliers de comptoir… sans pour autant leur échanger un mot ! Au premier abord, on pourrait qualifier Abel de vieux sauvage ou de vieil aigri, mais Abel bénéficie de circonstances atténuantes : à la base, lui, il en voulait pas de cette vieille vie ! Abel, lui, il voulait voyager, parcourir le monde et naviguer sur les sept mers… c’est même pour ça qu’il a jamais avoué son amour à la p’tite Adeline, persuadé qu’il décamperait bien vite de ce morne trou ! Sauf que quand les frangins ont déguerpi, il fallait bien que quelqu’un se sacrifie pour reprendre la ferme familiale… et s’est sur sa vieille pomme que c’est tombé.
Alors pour s’évader, Abel lit des grands romans d’aventures, s’achète tout plein de guides de voyage, ou écoute les souvenirs de l’exotique Mme Huong, une jolie petite vietnamienne que ce vieux briscard de boulanger – bien incapable de dégoter l’amour – a été se chercher directement au pays !
Pourtant, c’est sûr, Abel finira pas ses vieux jours ici, ça non ! Abel, aussi vieux soit-il, c’est un aventurier, et sa pipe, il la cassera au bout du monde ! D’ailleurs, sa valise est déjà prête… depuis bien longtemps… mais d’abord, faut qu’il ramène ses biquettes au bercail !
Alors, partira ou partira pas, l’Abel ? Au fond, on s’en balance, non ? Son village, le Vietnam, l’Ethiopie… qu’importe la destination tant que le voyage est beau !? Et j’peux vous dire qu’avec ces deux auteurs, putain, il est beau, le voyage ! Un voyage que Sivan décrit avec une telle subtilité et justesse qu’on se laisse doucement cueillir par tant d’émotions, touchés et le cœur serré par ce vieil ermite, qui, derrière sa carapace cache un bon bonhomme… bon comme le bon pain, comme qui dirait ! Un voyage que Duhamel illustre avec tout autant de talent, son trait si particulier – habile mixe de ce qui se fait de mieux en ligne claire et en indé’ – tout en rondeur et en finesse offre un charme fou à ce récit doux-amer, une douceur emplie de mélancolie encore plus appuyée par cette bichromie au bleu pâle qui tire vers le gris délavé, passé… au cœur de laquelle viennent pourtant fleurir quelques touches de couleur pleines de chaleur, de vie et d’espoir !
Vous l’aurez compris, ce Voyage d’Abel est un véritable coup de cœur ; un véritable un coup au cœur, même, décoché par ce vieil Abel, Abel et son monde, Abel et ses mondes, Abel et ses envies de voir le monde…
Le voyage d’Abel, de Sivan & Duhamel (Ed. Grand Angle).