Dis-donc, dis-donc, ça ferait pas un peu longtemps qu’on n’a pas parlé des Editions Sarbacane par ici ?
Voilà pourtant une maison qui me tient à cœur, proposant des albums aussi beaux au dedans qu’au dehors, de jolis écrins pour de jolies histoires.
Dernièrement, trois de leurs productions m’ont particulièrement charmé.
La première, Totem, nous embarque pour un séjour sur un camp de scouts, mais loin du premier degré rigolo-franchouillard d’un Scout Toujours gérardjugnoèsque, c’est ici une histoire bien plus âpre et profonde que nous propose le duo Wouters & Ross.
En suivant le jeune Louis, 12 ans – un garçon timide, voire renfermé depuis l’accident de son frère l’ayant fortement secoué – les auteurs explorent les recoins les plus sombres, intrigants et inquiétants de la forêt où les scouts se sont installés, mais par ce biais, ce sont bien les recoins tout aussi sombres, intrigants et inquiétants de jeunes adolescents au tournant de leur vie qu’ils explorent en réalité.
Un récit initiatique où de grands garçons deviennent de petits hommes, parfois dur et violent – tant physiquement que psychologiquement – parfois fantastique et effrayant, mais toujours chargé d’émotion et de sensibilité. Une émotion et une sensibilité parfaitement retranscrites par le dessin envoûtant de Mickaël Ross, qui nous offre des pages magnifiques où son trait prend toute son ampleur lorsqu’il se substitue aux mots de son ami scénariste. Un subtil équilibre entre texte et image qui démontre la belle osmose entre les deux compères aux manettes de ce beau roman graphique.
Couleurs est un album en noir & blanc, comme son nom ne l’indique pas.
Un noir & blanc superbe, contrasté et intense, au blanc lumineux et au noir profond. A ce superbe noir & blanc, s’associe un trait à la fois souple et virtuose, rigoureux et mystérieux, pour un rendu à la croisée d’un Frederik Peeters et d’un Marc-Antoine Mathieu.
Mystérieux, comme cet étrange inconnu qui recueille ce pauvre hère – totalement amnésique suite à un violent choc cérébral – lui proposant gîte et couvert en échange de l’entretien de son jardin. Son mystérieux hôte étant peintre, notre jeune amnésique logera dans son atelier et trouvera donc à sa disposition tout le matériel nécessaire pour coucher sur la toile les souvenirs, émotions et émois qui le submergent chaque nuit dans ses rêves.
Et d’un coup, les couleurs apparaissent, telle une spirale envoûtante, enivrante, flippante…!
Des couleurs qui s’imprègnent en lui, et qu’il recrache sur les toiles, frénétiquement, dans une sorte de transe hypnotique, comme un besoin irrépressible, un exorcisme de son passé oublié… mais qui le dévore néanmoins. On ne sait vraiment si cet acte le soulage ou le torture, mais bien vite, on comprendra qu’il intéresse au plus haut point le vieux peintre… jusqu’à se demander à quel point cet étrange phénomène est réellement dû ou non au hasard !
Couleurs est donc un album en noir & blanc haut en couleurs, intrigant et captivant tant on prend plaisir à se faire balader par ce malin de Sylvain Escallon, maîtrisant son ouvrage de bout en bout, du concept à sa réalisation sans faute, aussi bien au niveau scénaristique que graphique.
Enfin, last but not least, penchons-nous sur Le cas Fodyl.
Dans un futur indéfini et plus ou moins proche, Fodyl travaille pour le Bureau de Gestion des Cas, une sorte de Pôle Emploi radical où l’on n’a aucun scrupule à envoyer les chômeurs aux travaux forcé. Dans ce futur – encore – aucun scrupule non plus à « gazer » les nids de goélands dans le but d’éradiquer purement et simplement ces « horribles » animaux sous prétexte qu’ils polluent les « magnifiques » blocs de bétons érigés par l’Homme. Dans ce futur – toujours – pas plus de scrupule ni même de remord lorsqu’il s’agit de dénoncer son voisin de palier aux milices prête à l’arracher du lit en pleine de nuit s’il se permet la moindre liberté… ne serait-ce que celle de rêver un peu trop fort !
Pourtant, comment aurions-nous pu imaginer que de telles infamies se cachaient derrière le trait souple et élégant de Lomig, sa bichromie douce et rassurante ?
Un livre que l’on craint de définir comme « d’anticipation » tant son contexte cruel, sans pitié et extrême semble faire écho à notre propre actualité en ces temps électoraux où, derrière de beaux atours et de belles paroles, se profilent l’individualisme et le travaillisme, l’intolérance et la haine… sans se soucier le moins du monde de l’écologie !
Un livre que l’on ne sait définir comme effrayant, visionnaire ou même utile, donc, mais comme prenant, brillant et intelligent, assurément !
– Totem, de Nicolas Wouters & Mikaël Ross (ed. Sarbacane)
– Couleurs, de Sylvain Escallon (ed. Sarbacane)
– Le cas Fodyl, de Lomig (ed. Sarbacane)
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