Denis a un bon boulot. En plus, il est sur le point de décrocher un contrat en or.
Denis a une gentille femme, elle l’aime et il le lui rend bien.
Denis a un joli appart’, avec une salle de bain toute neuve.
Denis a une petite cicatrice sur les côtes. Rien de bien méchant, juste quelques centimètres.
Après, faut être réaliste : son boulot, même si c’est un bon taf, c’est pas de tout repos non plus, hein ?
Faut dire que ce gros contrat qui se profile, ça lui met quand-même une putain de pression.
Et puis bon, les bouchons pour rentrer à la maison, c’est pas forcément ce qu’il y a de mieux pour décompresser.
A la rigueur, ce qui lui ferait du bien, ce serait de se prélasser sous une bonne douche bien chaude, mais là, ça va être un peu short niveau timing, parce qu’il y a les parents de sa femme qui sont sur le point de débarquer… une énième fois !
Et puis, cette cicatrice, elle vient d’où déjà ?
C’est vrai ça, d’ailleurs, d’où elle sort cette cicatrice ?
Il demanderait bien sa femme si elle s’en souvient, mais bon, encore faudrait-il qu’il puisse placer un mot entre les longues tirades de belle- maman et les sempiternelles questions de beau-papa.
Ses vieux potes d’enfance, peut-être ? Mouais, si c’est pour qu’ils lui rabâchent qu’il les calcule plus depuis qu’il s’embourgeoise…
Y a bien ses parents, évidemment, mais avec le père qui se tape sa crise d’adolescence à 50 piges, et sa mère qui n’en finit plus de se lamenter depuis que ledit père a mis les voiles, il reste peu de place pour s’occuper des problèmes du fiston.
Pourtant, cette putain de cicatrice, elle vient bien de quelque part, merde !
Pour le coup, avec tout ça, on aimerait bien la connaître, nous aussi, l’origine de cette cicatrice.
Surtout qu’avec le dessin, de Gilles Rochier – loin des canons du genre, fort de ses petites imperfections qui le rendent si personnel – on ne peut que s’attacher au bonhomme, être touché par sa déconvenue face à cette cicatrice inconnue.
Ceci-dit, ce dessin – riche en hachures, en petits traits, et onomatopées de plus en plus envahissantes – parvient également à nous mettre le stress : toujours plus oppressés par ces pollutions visuelles qui traduisent si bien les pollutions que subit lui-même Denis : des gaz d’échappements au brouhaha des discours incessants, en passant par les mauvaises ondes, les mauvaises humeurs, et tous ces gens bien intentionnés qui ne font finalement preuve que de peu d’attention… à part pour leur nombril, peut-être.
A part pour leur nombril, ça oui, mais jamais – ô grand jamais – pour cette maudite cicatrice !
Cette cicatrice, encore et toujours, qui s’affiche régulièrement – en chaque case, en pleine page, en bichromie, en noir et blanc, en blanc sur noir, en bleu sur blanc – de plus en plus présente jusqu’à l’omniprésence, jusqu’à l’obsession, plus que de raison… jusqu’à perdre raison !
La cicatrice, de Gilles Rochier (ed. Six Pieds Sous Terre).
* A lire également : T.M.L.P. (Ta Mère La Pute), de Gilles Rochier.
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