Si le terme OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) ne vous semble pas vraiment familier, sûrement avez-vous déjà entendu parler de La Disparition, ce roman pour lequel Georges Perec s’est contraint / amusé à ne jamais employer la lettre « E ».
Hé bien, ce roman s’inscrit justement parmi les œuvres de l’OuLiPo, dont le principe est de s’imposer une ou plusieurs contraintes – histoire en palindrome, utilisation d’itérations, d’anagrammes – préalablement à l’écriture d’un texte.
Dans le sillage, d’autres « ouvroirs » ont été créés, concernant d’autres activités telles que la musique (OuMuPo), le cinéma (OuCiPo), ou encore la Bande Dessinée avec l’OuBaPo.
L’OuBaPo dont fait d’ailleurs partie François Ayroles, ayant participé à l’aventure des ses premières heures, et même publié un court album entièrement sous le joug d’une contrainte « oubapienne » (Jean qui rit et Jean qui pleure, ed. l’Association).
Avec Une affaire de caractères, même s’il ne revendique pas clairement l’appartenance de cet album au mouvement « oubapien », François Ayroles s’en rapproche fortement… et peut-être même de l’originel OuLiPo, chacun de ses personnages s’exprimant selon une contrainte linguistique.
Faut dire qu’en plaçant son intrigue dans un village peuplé uniquement d’écrivains, il ne pouvait que donner la part-belle aux belles lettres !
Ainsi, on assistera à des joutes verbales entre protagonistes ne s’exprimant qu’en vers (envers et contre tout), on déchiffrera les anagrammes de ces joueurs de scrabble aux bulles emplies de lettres comme piochées au hasard, on applaudira face aux restrictions acrobatiques que s’imposent les membres de cette famille oubliant 5 voyelles sur 6 pour n’user que celle leur servant d’initiale, ou on sourira à chaque intervention de cet inspecteur très terre-à-terre, perdu dans l’imaginaire de ces littéraires, accompagné de sa sempiternelle case explicative décrivant le moindre de ses faits et gestes !
Mais ce qui est très fort, c’est qu’Ayroles n’enchaine pas lesdites contraintes dans le but de nous imposer une démonstration de son (grand) talent, mais bien au service d’une histoire.
En effet, nous suivrons en ces pages une enquête policière à propos d’une série de crimes eux-mêmes commis et orchestrés selon toute vraisemblance suivant une contrainte littéraire… A l’inspecteur, alors, de s’inspirer et d’apprendre auprès de ces villageois amoureux du verbe pour enfin percer le mystère de ces meurtres et écrouer le serial killer lettré !
Un habile mélange d’OuLiPo et d’OuBaPo mâtiné d’OuMePo (Ouvroir de Meurtre Potentiel, ou comment assassiner avec classe et originalité), où chaque détail est réflechi, soigné, et extrêmement maîtrisé, pour un résultat intelligent, drôle, et hautement réjouissant !
Une affaire de caractères, de François Ayroles (ed. Delcourt).