En 2009, Larcenet marquait un tournant dans sa carrière en publiant Blast, une œuvre dense, violente et radicale, sorte d’exutoire lui permettant de traiter ses obsessions les plus profondes et les plus sombres : la mort, la maladie, la dépression, la haine de soi, la haine de l’autre, la haine contre notre société et ses injustices…
Ce premier tome mettait en scène Polza Mancini, un écrivain obèse menotté dans une minuscule salle d’interrogatoire face à deux flics malingres tentant de lui tirer des aveux à propos de l’agression d’une femme qu’il aurait laissée entre la vie et la mort.
L’accusé, arguant que les policiers ne pourraient comprendre la teneur de ses actes qu’en connaissance des épreuves qu’il avait traversées, se lance alors dans le long récit de sa vie ; de la mort de son père à la longue errance qui s’en suivit, en passant par les traumas de son enfance dus à son obésité, sa clochardise volontaire, et bien sûr, ce fameux Blast : un état indescriptible, entre état de choc et plénitude absolue, sorte d’implosion l’ayant frappé soudainement et brutalement, provoquant une déferlante de sentiments de bien être, de perception accrue du monde alentour, de libération totale des contraintes physiques et morales…
Il n’aura alors de cesse de retrouver cet état de grâce, s’abandonnant totalement, retournant quasiment à l’état d’animal, vivant moitié nu au cœur de la forêt, dans un état d’ébriété constant, se nourrissant de charognes et ingurgitant des litres et des litres d’alcool.
Un éprouvant voyage au cœur de la déchéance humaine que Larcenet illustrait en oubliant un temps ce style léger qui l’avait fait connaître chez Fluide Glacial ou Poisson Pilote pour un trait plus grave, plus torturé, à l’image de son personnage qu’il fera évoluer dans un univers sombre et poisseux, trainant sa grasse carcasse sous de lourds ciels orageux et menaçants, magistralement dépeints par des lavis au noirs profonds et à l’hallucinante palette de gris… les seules touches de couleurs allégeant cet album oppressant étant accordées aux pages dédiées au fameux blast libérateur.
Une claque, donc, que cet album déjà considéré comme une œuvre majeure du bonhomme, si ce n’est carrément son chef d’œuvre !
Mais si cette somptueuse descente aux enfers s’étalait sur quelques 200 pages, à la fin de ce premier tome, tout comme les deux policiers menant ce duel psychologique contre Polza, nous n’étions pas beaucoup plus avancés quant à la réelle personnalité du spécimen ni sur ce qu’il fit subir à sa victime présumée.
Quel bonheur alors de tenir aujourd’hui entre mes mains la tant attendue suite de ce monument !
Dès les premières pages de ce second pavé, nous apprenons que Carole Oudinot, la femme agressée, n’a finalement pas survécu aux blessures infligées. Mais pas question d’en informer Mancini : il est maintenant le seul à pouvoir nous éclairer sur ce qu’il s’est vraiment passé et son témoignage n’en est que plus important. Les deux flics s’arment donc de patience et se replongent dans le récit fleuve de l’accusé.
Celui-ci reprend après son été de vagabondage.
L’arrivée de l’automne, de la pluie et du froid, le force à quitter sa forêt pour revenir vers la civilisation. Retour à une vie normale ? Pas le moins du monde : même si Polza se rapproche de la société, il s’évertuera d’en rester toujours en marge. Quand il aura besoin de vêtements pour passer inaperçu, il en volera ; quand il aura besoin d’un toit pour passer la nuit, il fracturera une maison…
Et sa rencontre avec Saint Jacky n’arrangera en rien les choses. Vieil SDF à la fois cultivé et primaire, bonne patte et violent, Jacky accueillera notre bonhomme à ses côtés et tous deux vivront un hiver empli de littérature et d’échange, mais aussi de violence pure et de drogue dure… jusqu’à l’apocalypse.
Mais comment discerner le vrai du faux dans les dires de cet esprit torturé et dérangé ? Où s’arrêtent la réalité et les faits, où commencent le délire psychotique et la manipulation ?
Telles sont les questions que se posent les inspecteurs…
Telles sont les questions que se posent les lecteurs…
Car plus il nous livre de détails sur son personnage, plus Larcenet le nimbe de mystères, étoffant son image d’être complexe, dangereux et inquiétant mais ô combien fascinant !
L’auteur confirme ici la direction prise au premier tome, celle d’un trhiller psychologique hypnotique et effrayant, à la réalisation parfaite, et nous entrainant toujours plus profond dans les tréfonds de l’être humain…
…une seconde claque, le prochain tome sera-t-il un coup de poing ?
Blast, Tome 2, de Manu Larcenet (ed. Dargaud)
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Argggggggggggggggg trop dur d’attendre encore jusque vendredi pour l’acheter !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Trop beau !!!
J’avais déjà sur-kiffé le tome 1, donc je ne me fais pas trop de souci pour le tome 2 !!!
@ Lulu : Il est encore mieux que le un, on en apprend bcp plus sur Polza… et en même temps, on est encore plus paumés ! Malin le Manu !
Tu vas kiffer, c’est sûr ;o)
violent , genial , inaccessible , Manu Larcenet Champion du monde !
C’est clair : on en apprend plus, mais en même temps on n’est pas plus avancé !!!!!!!!! Trop fort ce Larcenet !!!!!
Et effectivement, j’ai bien kiffé !!
Et le truc de dingue, c’est que malgré le côté « glauque » du personnage & de son environnement, chaque image, chaque page reste magnifique !!!!!
J’adore le dessin et cette palette de gris dont tu parles !!!
Entre folie pure et étincelles de génie…le personnage de Mancini me dégoûte et m’attendrit à la fois. Je suis impressionnée par cette descente aux enfers poétique. Tout est gris, triste, terrifiant….mais reste terriblement humain. Manu, merci!