– Hé t’as vu Robert Mitchum est mort ?
– Ouais ben merci, je sais… Ca fait même un bail… Bien longtemps avant que tu ne deviennes une boule de poils cinéphile…
– Pfff… T’es trop nul. Je te demande si tu as vu le film appelé Robert Mitchum est mort.
– Ah ouais… euh… Le film américain, là ? Euh…. Bien sûr…
– Pfff… T’es vraiment trop nul… Admets que tu ne sais pas et laisse s’exprimer ma supériorité féline!
Bon, chalut les humains,
Robert Mitchum est mort, donc, n’est pas un film américain puisqu’il est de nationalité franco-belge, et signé par deux jeunes réalisateurs, les prometteurs Fred Kihn et Olivier Babinet. Mais il aurait assurément pu l’être de par son cheminement narratif, sous forme de “road-movie”, un genre originellement lié au pays de l’Oncle Sam. Et il baigne dans une certaine nostalgie des films de l’âge d’or hollywoodien et des stars de l’époque, dont le grand Bob Mitchum.
Le héros de ce premier long-métrage, Franky Pastor, est comédien et fantasme sur les vieux films des années 1940 à 1960, notamment sur l’un d’entre eux, un film noir dont il connaît par coeur la moindre réplique…
Il rêve lui aussi de faire carrière à Hollywood.
D’accord, il n’a joué jusque-là que des petits rôles dans des sitcoms françaises débiles ou dans des publicités. Et il n’a pas beaucoup de talent…
D’accord, il n’a pas un physique facile – plutôt une “gueule” tout droit tirée d’un film de Michel Audiard…
D’accord, il ne parle pas anglais, ce qui, pour jouer aux States, est préjudiciable…
Et d’accord, le fait qu’il soit dépressif et un brin amorphe n’aide pas non plus à lui trouver des rôles…
Mais bon, il peut s’imposer dans un film américain et il va s’imposer dans un film américain. Son manager, Arsène, en est persuadé. Il croit au talent de son protégé et est prêt à remuer ciel et terre pour lui décrocher le rôle de sa vie.
Alors, il emmène son poulain dans un périple qui va les mener sur les routes de l’Europe du Nord, de la France à la Pologne, de la Pologne à la Norvège, jusqu’au cercle polaire arctique, lieu d’un improbable festival de cinéma (1)…
Leur objectif ? Y rencontrer un célèbre réalisateur américain sur le point de réaliser son nouveau projet, après des années d’absence. Un projet potentiellement capable de lancer la carrière américaine de Franky…
Comme dans tout bon road-movie, ce qui importe n’est pas ce qu’ils vont trouver au bout de la route, mais les rencontres qu’ils vont faire en chemin, dont un musicien noir étrange au look improbable, mi-gothique, mi-musicien de la Motown des 70’s, une polonaise désireuse de s’acoquiner avec des gangsters frenchy ou un producteur (très, très) fatigué…
En résultent des scènes surprenantes, poétiques, oniriques, drôles ou empreintes d’une certaine mélancolie…
– Bon d’accord, mais Robert Mitchum dans tout ça ?
– Pfff… Deux secondes, j’y viens. Robert Mitchum n’a rien à voir dans tout cela, parce qu’il est mort, justement, et avec lui tout une partie du rêve hollywoodien…
Le film commence par une de ses célèbres citations. ”Je suis devenu comédien parce qu’un jour j’ai vu les aventures du chien Rintintin à Télévision. Et je me suis dit, si lui peut le faire, je peux le faire. »
Pas faux, ça, il n’y a pas plus cabot que ce cabot de Rintintin…
Sauf que les temps ont changé…
Devenir acteur, scénariste, cinéaste ou artiste, tout simplement, est plus difficile aujourd’hui. Un simple quidam peut devenir célèbre en se contentant d’afficher son crétinisme auto-satisfait dans une émission de télé-réalité, mais un artiste de talent peut végéter à jamais dans l’antichambre de la gloire et de la reconnaissance…
Le cinéma aussi a changé. Avant, c’étaient les oeuvres hollywoodiennes qui faisaient rêver le monde entier. Les westerns en technicolor, les mélos flamboyants et surtout, les films noirs avec cigarettes et jolies pépées ont bercé l’enfance de Franky et d’Arsène… Mais ces oeuvres de l’âge d’or ont cédé la place à des films commerciaux sans âme (à quelques exceptions près, heureusement!).
Le salut, pour un artiste, passe peut-être par des chemins moins classiques, des coproductions européennes, des oeuvres totalement libres et atypiques, comme ce beau film à la tonalité douce-amère et nostalgique, peuplé de personnages eux-aussi atypiques et attachants…
Ah oui, car si Arsène et Franky sont des loosers au talent plus que douteux, ce n’est évidemment pas le cas de leurs interprètes. Le premier, rock n’roll et haut en couleurs, c’est Olivier Gourmet, égal à lui-même, donc excellent, Le second, plus lunaire et sensible, c’est Pablo Nicomedes. Un physique atypique à la Vincent Gallo, une “gueule”, comme on dit trivialement, et un charisme indéniable, qui laissent augurer d’une belle carrière…
Grâce à eux, grâce au talent singulier de ses jeunes cinéastes Fred Kihn et Olivier Babinet, Robert Mitchum est mort est assurément une belle surprise, et l’un des films les plus inclassables de l’année.
On se laisse emporter par sa liberté de ton, proche des films de la Nouvelle Vague, des oeuvres du finlandais Aki Kaurismäki (Leningrad cowboys go America) ou celles du duo Kervern/Delépine (Mammuth, Avida), et par les références à la culture américaine des années 1950/1960 – cinématographique et musicale…
Bon, il faut que je vous laisse, je dois me faire tatouer “love” et “hate” sur les pattes avant de me faire ma propre Nuit du chasseur…
Plein de ronrons,
Scaramouche.
(1) : Improbable, mais bien réel! Il s’agit du Festival Midnight Sun, organisé à Sodankylä, au coeur de la Laponie, par les frères Kaurismaki. Des projections non-stop, que l’on peut délaisser le temps d’aller boire quelques verres dans les bars locaux, ouverts toute la journée. Et comme là-bas, au mois de juin, le soleil ne se couche jamais, vous imaginez un peu l’ambiance…
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Robert Mitchum est mort
Robert Mitchum est mort
Réalisateurs : Olivier Babinet, Fred Kihn
Avec : Pablo Nicomedes, Olivier Gourmet, Bakary Sangare,Danuta Stenka, André Wilms
Origine : France, Belgique, Pologne, Norvège
Genre : road-movie européen à l’américaine
Durée : 1h31
Date de sortie France : 13/04/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Nouvel Obs
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