Au début du nouveau film de Jonathan Nossiter, il faut s’accrocher au branches du récit…
On commence par une tribu d’indiens amazoniens déambulant à moitié nus dans la jungle sous le regard ébahi (ou libidineux, au choix) de Fisher Stevens. Puis, sans transition, on passe à Charlotte Rampling esquissant quelques pas de danse avant d’aller donner une conférence sur la chirurgie esthétique dans une université de médecine de Rio de Janeiro, prenant pour modèle une jeune femme au corps très masculin…
On continue avec une documentariste française (Irène Jacob) en train de réaliser un film sur la condition sociale des femmes de ménage au Brésil et les potentielles velléités révolutionnaires des classes populaires.
Et enfin on s’attache à un ambassadeur américain (Bill Pullman) parachuté au Brésil contre son gré et qui, pour se soustraire à sa tâche, court se cacher dans la favela la plus dangereuse du Brésil…
On fait connaissance avec ces personnages totalement différents les uns des autres, sans point commun les uns avec les autres, mais évoluant dans un même lieu : Rio de Janeiro.
Une ville justement riche de sa diversité. Sa population est très mixte, tant sur le plan racial (blancs, noirs, asiatiques, amérindiens, métisses,…) que religieux (polythéistes païens, catholiques, protestants,…) ou social (on y trouve les gens les plus démunis et les plus riches du Brésil). Ses paysages sont aussi multiples, gratte-ciel huppés et bidonvilles, jungle végétale ou urbaine, mer, montagne,…
Rio de Janeiro, c’est à la fois un lieu profondément ancré dans le réel, idéal pour tourner un documentaire sur la misère du monde – comme le fait le personnage joué par Irène Jacob – et une cité de fantasmes, un rêve d’exotisme et d’érotisme.
La métropole brésilienne est ambivalente : elle est masculine de par sa violence, son aspect massif, son bouillonnement interne, mais elle est aussi féminine de par sa beauté idyllique, sa sensualité, ses formes voluptueuses.
Oui, Rio de Janeiro est plurielle et paradoxale, mais l’assemblage des différentes composantes de son caractère, apparemment très hétéroclites, forme finalement un ensemble cohérent, et sa complexité est responsable de son charme.
C’est exactement à l’image du film de Jonathan Nossiter. Les différentes histoires amorcées, initialement disparates et assemblées à la va comme je te pousse – en apparence – finissent par former un tout parfaitement cohérent, intelligemment construit derrière son apparente légèreté.
Car qu’on ne s’y trompe pas, si le film donne une impression de gigantesque bazar, il s’agit d’un bazar soigneusement organisé. Ce côté bigarré est volontaire, tout étant mis en place pour jouer sur les contrastes, les associations audacieuses.
Il n’y a qu’à voir le casting pour s’en convaincre : on ne compte que des acteurs atypiques dont les filmographies alternent les oeuvres de genres très différents. Charlotte Rampling a souvent joué les femmes fatales dans des polars plutôt grand public (pour Sidney Lumet, Alan Parker, Jacques Deray,…) mais elle a aussi travaillé avec quelques-uns des ténors du cinéma d’art & essai mondial (Visconti, Oshima, Chéreau, Ozon…) dans des rôles étranges. Irène Jacob est connue pour avoir été l’égérie de Krysztof Kieslowski avant de jouer dans des comédies. Fisher Stevens, second couteau apprécié du cinéma américain joue lui aussi sur plusieurs registres.
Et Bill Pullman, s’il a joué dans de charmantes comédies romantiques (L’Amour à tout prix) ou des blockbusters lourdingues (Independance day) s’est distingué dans des rôles plus “fous”, chez les Lynch père et fille (Surveillance et surtout Lost Highway) ou chez Wenders, Vinterberg ou Jake Kasdan.
On salue aussi les performances des actrices brésiliennes Daniela Dams (“la Veronica Lake de l’Amazonie” selon Nossiter) et Mary Sheila (vue dans La Cité de Dieu).
Le côté cosmopolite de cette distribution est amplifié par l’usage de trois langues différentes : portugais, anglais et français.
Trois langues, trois cultures, trois mots dans le titre : Rio Sex Comedy qui, du coup, résume bien le concept du film.
Rio de Janeiro sert de trait d’union entre les différentes intrigues, devenant presque un protagoniste à part entière du récit.
La plupart des petits récits traitent effectivement de “sexe”, dans tous les sens du terme : coucheries adultérines, quête de plaisir(s), confusion des genres, greffes anatomiques, ou guerre des sexes, sexe fort et beau sexe…
Et il s’agit bien d’une comédie, ou plutôt d’une “comedy” à l’américaine, et plus spécifiquement à la mode new-yorkaise…
Difficile, en effet, de ne pas penser à Woody Allen et à son Manhattan. Ce dernier était une ode somptueuse à la ville de New York. Rio sex comedy est une véritable déclaration d’amour à la ville de Rio, où Jonathan Nossiter vit depuis plusieurs années. Bon, attention, loin de nous l’idée d’entraîner les deux films dans une comparaison qui serait écrasante pour le film de Nossiter. Mais il convient de remarquer que, si les styles narratifs et esthétiques sont différents, les thèmes abordés dans les deux films, autour des états d’âme de quadragénaires tourmentés par l’amour et le désir, sont finalement assez similaires et universels.
On s’attache à ces personnages pétris de défauts, aux liens complexes qui se nouent entre eux. On se laisse gagner par les “messages” philosophiques du film qui peuvent se résumer en deux phrases : “il faut s’accepter tel que l’on est” et “il faut parfois se perdre pour mieux se retrouver”.
Tous les protagonistes se remettent en question, s’interrogent sur leur vie amoureuse, leur âge, leurs envies profondes. Ils se perdent autant dans les ruelles des favelas que dans leurs propres pensées. Ce n’est qu’en se confrontant aux autres, qu’ils peuvent envisager les solutions à leurs problèmes et leurs angoisses, et trouver leur place dans ce monde.
Pour certains, la prise de conscience est amère, pour d’autres, légère et savoureuse. On assiste même à une transformation brutale et radicale : celle de l’ambassadeur américain lisse et crispé en véritable VRP humanitaire illuminé. Hilarante séquence que celle où Bill Pullman, grimé comme Bono, le chanteur de U2, tente de convaincre des investisseurs de financer une ONG ayant l’ambition d’éliminer tous les chiens des beaux quartiers de Rio pour que les riches soient obligés d’adopter… des enfants pauvres en guise de compagnon! Une façon d’ouvrir les regards par le biais de l’humour absurde…
Le cinéaste distille un message politique et politiquement incorrect, dénonçant aussi bien le manque de moyens accordés par la communauté internationale à ces pays en développement que le paternalisme et le misérabilisme de certaines âmes bien-pensantes à leur égard. Le film traite, mine de rien, de sujets très contemporains – les rapports de classe, l’argent corrupteur, la mondialisation, la condition féminine, le rapport au corps et à l’apparence – avec une ironie mordante et une fantaisie burlesque appréciable.
Le film est aussi un acte politique par la nature même de son système de production. Jonathan Nossiter, ses acteurs, ses techniciens se sont tous associés en une sorte de coopérative pour financer le film et lui permettre de voir le jour. Une initiative intéressante qui rappelle que le cinéma est une aventure collective et artistique avant d’être motivé par l’appât du gain…
Finalement, Rio sex comedy ressemble beaucoup à son auteur. Intellectuel mais pas prétentieux, drôle et sympathique, un peu foufou, à la trajectoire imprévisible, mélangeant les genres et les influences.
Jonathan Nossiter aurait pu devenir l’un des fers de lance de la nouvelle vague indie américaine des années 1990, grâce à son film primé à Sundance, Sunday.
Mais il a préféré partir pour l’Europe, et la Grèce, pour tourner Signs & wonders, encensé par la presse cinéma européenne, dont Les Cahiers du cinéma. Une façon de s’imposer comme référence du cinéma art & essai ? Non, car, hop, nouveau virage, il se fait documentariste avec l’excellent Mondovino, film-fleuve sur la vigne et le vin, sur ceux qui le produisent avec passion ou pour des intérêts bassement commerciaux.
Et on le retrouve encore une fois où on ne l’attend pas, avec cette comédie originale et gentiment décalée, bien plus personnelle et fine qu’il n’y paraît.
Du fait de sa nature hybride et sa construction un rien bordélique, Rio sex comedy semble avoir un peu effrayé les exploitants de salles et retrouve cantonné, hélas, à un circuit de distribution assez restreint. Il s’agit pourtant d’un film-choral dynamique et cohérent – chose assez rare pour être signalée - et d’une comédie drôle et légère, traitant de sexe sans vulgarité – c’est aussi assez rare pour être signalé.
Si vous êtes en quête d’un peu de finesse dans un monde de brutes, et si vous avez envie d’un peu de dépaysement à moindre frais, vous pouvez vous laisser tenter par ce sympathique long-métrage.
Découvrez aussi les secrets du tournage sur le blog du réalisateur
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Rio sex comedy
Rio sex comedy
Réalisateur : Jonathan Nossiter
Avec : Charlotte Rampling, Irène Jacob, Fisher Stevens, Bill Pullman, Jérôme Kircher, Daniela Dams, Mary Sheila
Origine : Brésil, Etats-Unis, France
Genre : comédie carioca
Durée : 1h51
Date de sortie France : 24/02/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Monde
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