L’été est généralement l’une des périodes plus creuses de l’année cinématographique. Il est dédié aux blockbusters hollywoodiens, aux films familiaux et aux petits films d’art et essai difficile à caser dans des plannings chargés… C’est aussi le moment où les distributeurs ont le plus l’occasion de caser quelques reprises fort sympathiques, histoire de faire découvrir ou redécouvrir en salle quelques fleurons du patrimoine culturel mondial.
Cette année, nous sommes particulièrement ravis de pouvoir enfin admirer sur grand écran l’intégrale d’un auteur que nous apprécions énormément : Pierre Etaix. Car cette ressortie attendue de bon nombre de cinéphiles a failli ne jamais se produire, pour d’ennuyeuses question de droits et d’immobilisation des copies
Etaix était, dans les années 1960, un de nos cinéastes les plus prometteurs. Ses premiers films, dont le ton gentiment burlesque et poétique évoquaient autant son ami et mentor Jacques Tati (1) que son idole, Buster Keaton, ont connu de jolis succès : oscar du court-métrage pour Heureux anniversaire, prix Louis Delluc pour Le Soupirant.
Mais malgré cela, lui et son complice Jean-Claude Carrière ont toujours eu du mal à monter leurs projets de longs-métrage.
La faute à la frilosité des producteurs, à l’hostilité de bon nombre des gens du métier vis-à-vis de cet artiste iconoclaste, parfois critique vis-à-vis de ceux qui le financent ou le diffusent mais aussi et surtout à l’absence de plan de carrière tout tracé, l’homme étant avant tout un saltimbanque, un clown, un comédien de théâtre et de cirque et délaissant volontiers le cinéma pour retourner à ses premières amours.
Après ses trois courts et cinq longs-métrages, il a choisi d’interrompre provisoirement sa carrière cinématographique pendant environ cinq ans. Une période d’activité intense, pendant laquelle il a effectué une tournée avec le cirque Pinder, joué dans une pièce de théâtre et fondé l’école du cirque avec sa femme Annie Fratellini – rien que ça !
Cependant, en cinq ans, les choses ont changé, les goûts du public aussi… Etaix n’a trouvé personne pour financer tous les projets qu’il a écrits avec Jean-Claude Carrière.
Et, peu à peu, il a été oublié par le grand public… D’autant plus que ses anciens films n’ont pas vraiment été mis en valeur par la société qui en détenait les droits.
Bien sûr, cela n’a pas empêché Pierre Etaix de s’épanouir par ailleurs, en exploitant bien d’autres facettes de son talent : dessin, écriture, scène, petits rôles dans les films des copains… (2) Mais il a toujours nourri le regret de ne pas avoir eu l’occasion de faire connaître son travail de cinéaste.
Alors, en 1996, il décide de ne pas renouveler le contrat qui confiait les droits de ses oeuvres à la société CAPAC, afin de trouver un distributeur plus efficace. Problème, il ne se concerte pas avec Jean-Claude Carrière qui, lui, resigne avec CAPAC. C’est le début d’un incroyable imbroglio juridique…
Les négatifs des films sont bloqués pour une durée de dix ans. Trop long pour des vieux films qui ont besoin d’être restaurés pour survivre aux ravages du temps, et ne pas risquer de disparaître à tout jamais.
Au terme d’un premier combat juridique, Etaix et Carrière obtiennent gain de cause et ont le droit de restaurer les films à leurs frais.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là… Evidemment, la restauration est onéreuse, trop pour que les deux hommes la supportent seuls.
Ils se laissent embobiner par leur avocate, qui leur propose l’aide de la société de son frère, dans laquelle elle a des parts, Gavroche productions, en échange de la cession des droits des oeuvres à restaurer.
En deux ans, rien ne se passe, et pour cause : Gavroche est une société factice qui n’a jamais rien produit… Etaix et Carrière avaient signé un projet de contrat, mais n’ont jamais reçu de réponse. Alors ils se sont sentis parfaitement libres de signer avec la Fondation Gan un accord de restauration du film Yoyo, en vue d’une projection dans le cadre de Cannes Classiques. Et bing, le dirigeant / escroc de Gavroche sort curieusement sa copie du contrat lui octroyant les droits d’exploitation du film, réclamant son dû et bloquant au passage la ressortie programmée du film.
Seconde bataille juridique acharnée, qui a fait perdre encore deux précieuses années.
Finalement, de tribunal en tribunal, Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière ont fini, très récemment, par récupérer intégralement leurs droits et lancer la restauration des films, avec l’aide inestimable de la Fondation Groupama Gan, de la fondation technicolor pour le patrimoine cinématographique et de Studio 37, qui ont offert appui logistique, technique et juridique pour les aider dans leur longue quête… Il était temps, car les négatifs originaux commençaient à se détériorer…
C’est donc un vrai bonheur de voir l’ami Pierrot, enfin débarrassé de ses soucis juridiques, nous présenter l’intégrale de ses films (3), ses “bébés”…
Il est aujourd’hui possible, dans certaines salles de Paris ou de Province, de voir ou revoir les réalisations de Monsieur Pierre Etaix, ses courts-métrages (Rupture, Heureux anniversaire, En pleine forme) et ses longs-métrages (Le Soupirant, Yoyo, Tant qu’on a la santé, Le Grand amour, Pays de Cocagne).
Des films qui, avouons-le, ont un peu vieilli (4), mais qui conservent malgré tout beaucoup de leur superbe : élégance, humour raffiné et ironie mordante, poésie d’une exquise légèreté… De quoi faire passer de doux moments dans les salles obscures, loin du stress du bureau ou de la folie du monde qui nous entoure. C’est aussi cela, les vacances…
Si vous passez près des quelques salles – essentiellement parisiennes, hélas – qui diffusent cette belle rétrospective, n’hésitez pas à faire connaissance avec cet univers très singulier et attachant. Et dépêchez-vous, car les films ne devraient pas – encore hélas – être maintenus pendant des mois à l’affiche…
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Pierre Etaix sera à l’affiche du prochain film d’Otar Iosseliani, Chantrapas, et, à plus de 80 ans, remonte sur les planches pour un spectacle intitulé “Miouzik Papillon”. Et des rumeurs laissent entendre qu’il pourrait reprendre prochainement la caméra pour tourner un nouveau film… A prendre avec caution… Espérons seulement que ces nouveaux projets n’empêcheront pas l’homme, par ailleurs charmant et d’une extrême courtoisie, de continuer d’honorer de sa présence de nombreuses manifestations axées autour du septième art, comme la Foire des Cinglés du Cinéma d’Argenteuil (5) dont il est l’un des plus fidèles chineurs…
En tout cas, nous sommes ravis qu’il ait enfin obtenu gain de cause dans cette bataille juridique absurde, durant laquelle des escrocs et des commerciaux indélicats ont bien failli faire sombrer dans l’oubli des petites pépites de septième art… Ils ont perdu : les clowns sont éternels…
(1) : Il a collaboré avec lui sur Mon Oncle, en tant qu’assistant réalisateur, dessinateur et gagman.
(2) : Parmi ses dernières oeuvres, “Il faut appeler un clown un clown” (ed. Séguier), “Textes et textes Etaix” (ed. Cherche Midi), “Etaix dessine Tati” (ed. ACR). Et bien d’autres beaux livres, autrefois publiés aux éditions Gilbert Salachas, et aujourd’hui épuisés, peuvent encore se trouver sur le net…
(3) : A l’exception de J’écris dans l’espace, son film réalisé en IMAX, dans les années 1980…
(4) : Il faut dire qu’ils étaient déjà très rétro pour l’époque, avec leur côté référentiel aux burlesques d’autrefois…
(5) : On en reparlera, mais les dates sont fixées du 24 au 26 septembre prochains…
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