Stéphane Brizé nous avait laissé sur un chef d’oeuvre, Mademoiselle Chambon, un film d’une finesse et d’une profondeur rares, tout en retenue et en délicatesse, véritable petit bijou qui prouvait qu’il était possible de restituer à l’écran les émotions les plus intimes, les variations les plus infimes de l’âme humaine. On attendait donc avec beaucoup d’espoir son nouveau long-métrage, mais aussi une pointe d’appréhension.  Le cinéaste allait-il pouvoir réitérer cette prouesse et nous offrir les mêmes sensations cinématographiques?

De fait, Quelques heures de printemps est d’un abord un peu plus difficile que les oeuvres précédentes du cinéaste. Sans doute parce que, cette fois, il ne raconte plus seulement des rencontres amoureuses – bien qu’empreintes d’une certaine amertume –  mais traite de choses autrement plus lourdes et plus périlleuses à aborder à l’écran : la maladie, la mort, le droit de choisir sa propre fin et met en scène des protagonistes moins aimables.

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Son personnage principal, Alain (Vincent Lindon), sort de prison, où il a passé dix-huit mois pour une bêtise. Une de plus dans un parcours que l’on devine cahoteux. Sauf que celle-ci a été un peu plus lourde de conséquences. Avec son incarcération, il a perdu bien plus que sa liberté : son emploi, son domicile et une partie de sa dignité. Pas sa petite amie. Leur relation était déjà finie avant son séjour en prison. En fait, Alain semble avoir du mal à entretenir des relations durables avec les femmes. Sans doute trop colérique, trop taciturne, trop replié sur lui-même.
Et voilà qu’à quarante-huit ans, il se retrouve dans une situation difficile. A son âge, en temps de crise et après son séjour à l’ombre, il va probablement avoir peine à retrouver un emploi du niveau de ce qu’il occupait précédemment. Et donc, de retrouver un logement. Ses rares amis ne peuvent pas le dépanner et il est donc obligé de se tourner vers sa seule famille, sa mère, Yvette (Hélène Vincent), avec qui il entretient aussi des rapports complexes, pour ne pas dire conflictuels.
Evidemment, la cohabitation ne tarde pas à être pesante pour les deux êtres, aussi solitaires et torturés l’un que l’autre, et leurs relations oscillent alors entre froide indifférence et engueulades homériques. Mais un nouveau  paramètre vient se glisser entre les données du problème : la découverte de la maladie d’Yvette, que les médecins annoncent incurable et fatale à plus ou moins brève échéance.

Tout l’enjeu du film repose sur l’évolution des rapports entre le fils et sa mère. Pourront-ils se réconcilier avant l’ultime séparation? Pourront-ils seulement réussir à se parler, à exprimer leurs sentiments?
Pas si simple…
Les deux personnages sont aussi bornés l’un que l’autre. Aussi froids, aussi rudes, aussi mutiques… Ils semblent presque incapables d’aimer, incapables d’éprouver quoi que ce soit envers les autres. Yvette semble garder à distance les sentiments de son voisin, Monsieur Lalouette (Olivier Perrier), qui recherche pourtant fortement sa compagnie, voire un peu plus. Alain, lui, commence une relation avec la belle Clémence (Emmanuelle Seigner), rencontrée lors d’une sortie au bowling local, mais se renferme dès que les choses deviennent plus sérieuses. Et entre la mère et le fils, l’affection est encore moins perceptible, car parasitée par d’autres sentiments, d’autres éléments.

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D’un côté, il y a la frustration d’Alain qui, à l’aube de la cinquantaine, ne supporte pas de dépendre financièrement de sa mère. Il éprouve de la honte et de la colère contre lui-même et contre les autres. Et il éprouve une certaine rancoeur contre cette mère qui n’est allée le voir que deux fois au cours de l’année et demie qu’il a passée en prison, qui, selon lui, passe son temps à le juger, à le critiquer, à le mépriser…
De l’autre, il y a le dépit d’Yvette, qui voit son fils unique perdre pied à cause d’un comportement parfois immature et d’un tempérament trop sanguin. Elle essaie de le faire réagir en lui balançant des piques acerbes, mais évidemment, ce n’est pas à son âge que le garçon va changer. Alors elle aussi éprouve une certaine honte. Elle s’estime responsable de l’échec de son fils, qu’elle n’a pas su éduquer correctement et qui, du coup, ressemble de plus en plus à son défunt mari. On ne saura jamais vraiment quel douloureux passé familial pèse sur les rapports entretenus par la mère et le fils, mais entre les lignes, on devine que le père était un individu colérique et violent, qui battait probablement sa femme et peut-être son enfant. En tout cas, l’ombre de ce père est toujours là, bien présente.

Dans cette famille, le dialogue est rare. Chacun traîne sa souffrance et ses frustrations en silence, et accepte le malheur comme une fatalité. Ou, du moins, ne le montre pas. Même quand Yvette apprend que sa maladie est incurable, elle encaisse le coup sans broncher. C’est comme ça et puis c’est tout. C’est que sa vie se termine, comme ce puzzle géant qu’elle a entrepris et qui occupe ses après-midis. Plus que deux ou trois pièces et ce sera terminé. Deux ou trois métastases au cerveau et hop, elle prendra rendez-vous en Suisse pour une euthanasie volontaire. Pas question de souffrir ou de se voir décrépir. Elle choisira sa mort, à défaut d’avoir pu choisir sa vie…
Le fiston, lui, ne semble pas plus ému que cela non plus. Il se contente d’enregistrer la nouvelle et de reprocher à sa mère de n’avoir pas pris au sérieux plus tôt son état de santé. Engueulade… Le dialogue est rare, mais quand il a lieu, il est marqué par des échanges violents…

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Ceci occasionne des scènes très dures, comme celle où Alain balance à sa mère un tonitruant “Dépêche toi de crever!” ou celle où la maman en question, trop fière pour aller au devant de son garçon, trouve un stratagème franchement tordu pour l’obliger à revenir vers elle.
La façon clinique, sèche et glaciale, de décrire cette relation très rude et complexe, alliée aux sujets abordés par le cinéaste, encore tabous, va sans doute faire fuir plus d’un spectateur. Il est vrai que le film est souvent éprouvant et menace de bout en bout de sombrer dans le sordide.
Seulement voilà, Stéphane Brizé possède ce don rare de raconter les histoires entre les lignes, de rendre les silences éloquents, de faire passer les émotions en un simple regard, un simple geste, en dirigeant à merveille ses comédiens.

Evidemment qu’il y a de l’affection, et même de l’amour, dans la relation entre Yvette et Alain. Ils ont beau se montrer distants l’un envers l’autre, se balancer des horreurs à la figure, on parvient à les percer à jour à travers leurs attitudes et les regards qu’ils s’échangent. On attend juste qu’ils parviennent à se lâcher, à mettre de côté leur fierté, à ranger leurs petits différents et, enfin, à exprimer cet amour.
Pendant tout le film, on en vient à douter qu’ils y parviennent vraiment. Mais ils arrivent d’abord à s’ouvrir aux autres. Yvette en faisant d’émouvants et tendres adieux à son charmant voisin,  Alain en réussissant à se montrer tel qu’il est vraiment à Camille.
Et puis, finalement, la réconciliation entre le fils et sa mère aura bien lieu au cours d’une scène bouleversante, d’autant plus réussie qu’elle évite de se vautrer dans le pathos inhérent à ce genre d’histoire. Une libération, un apaisement qui permet à ce film triste de se boucler sur un moment lumineux.

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Mais avant ce grand moment d’émotion, le film est parsemé d’autres scènes magnifiques, tout en retenue et en subtilité, morceaux de temps suspendu, moments de grâce pure ou de tristesse infinie dans lesquels le cinéaste nous entraîne, avec l’aide, bien sûr, de ses acteurs, tous impeccables.
Les personnages ne sont pas simples d’accès, avec leur caractère de chien et leur rudesse naturelle, mais on finit quand même par s’attacher à eux grâce aux performances des deux comédiens principaux : Hélène Vincent, formidable en vieille femme blessée par la vie, mais forte face à l’adversité, et Vincent Lindon, toujours parfait quand il s’agit d’incarner les personnages “simples”, les types ordinaires englués dans les petits problèmes du quotidien.
Les seconds rôles sont eux aussi épatants, que ce soit Emmanuelle Seigner en amoureuse déçue ou Sylvia Kahn en médecin compatissante, Ludovic Berthillot en bon copain trop occupé par son rôle de père de famille ou Olivier Perrier, voisin sympathique essayant de préserver le lien entre le fils et sa mère.

Grâce à ces performances toujours justes, grâce à la mise en scène élégante de Stéphane Brizé et son sens du tempo, grâce à la vague d’émotion qui finit par nous emporter, ces Quelques heures de printemps équivalent à un peu moins de deux heures de plaisir cinématographique, et constituent un des grands films de cette rentrée cinématographique, si toutefois vous êtes capables de surmonter l’âpreté de ses thématiques et de son traitement…

 

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Quelques heures de printempsQuelques heures de printemps
Quelques heures de printemps

Réalisateur : Stéphane Brizé
Avec : Hélène Vincent, Vincent Lindon, Olivier Perrier, Emmanuelle Seigner, Sylvia Kahn, Ludovic Berthillot
Origine : France
Genre : requiem silencieux
Durée : 1h48

Date de sortie France : 19/09/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles
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