Tout le monde se souvient du discours prononcé par Dominique De Villepin, alors Ministre des Affaires Etrangères, devant les Nations-Unies, quand la France s’est opposée aux Etats-Unis concernant l’entrée en guerre contre l’Iraq, en février 2003. Quelle que soit sa sensibilité politique, force est de reconnaître la prestance de l’orateur et le souffle de son texte, entre formules fortes et esprit frondeur.
Avec Quai d’Orsay, Bertrand Tavernier nous propose de découvrir la genèse de ce grand moment de diplomatie internationale en nous entraînant dans les bureaux du Ministère des Affaires Etrangères.
Pour ce faire, il s’appuie sur la bande-dessinée éponyme de Christophe Blain et Abel Lanzac (1), elle-même architecturée autour des souvenirs de ce dernier, de son vrai nom Antonin Baudry, qui a officié pendant quelques années au Quai d’Orsay, en tant que conseiller responsable du “langage”, c’est-à-dire le responsable de la rédaction des discours.
Comme dans l’oeuvre originale, les noms des vrais diplomates ont été changés, tout comme ceux des pays concernés par les crises internationales traitées.
Pas de Dominique de Villepin, donc, mais son clone, Alexandre Taillard de Worms (Thierry Lhermitte). Un politicien pur et dur, constamment soucieux de son image et de sa communication, parfois brouillon et versatile, mais portant sa vision et ses idées avec fougue et panache.
Le film commence avec l’entretien d’embauche du jeune Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), jeune diplômé de l’école Normale Supérieure. Le garçon n’a pas vraiment l’allure d’un diplomate, avec ses chaussures usées, à bout carrés, son costume bon marché et sa cravate fantaisie. Et il n’est pas du tout du même bord politique que le ministre. Mais il est lettré, intelligent et pas encore contaminé par les tics de langage des politiciens. Taillard de Worms veut du sang-neuf. Il veut des discours qui sortent des sentiers battus et marquent les esprits. Il veut des collaborateurs dynamiques, ouverts d’esprit, prêts à l’aider à porter sa vision pour la France. Vlaminck est parfait pour cela.
Le jeune homme est embauché et immédiatement pris en charge par les équipes du directeur de cabinet, Claude Maupas (Niels Arestrup). Il découvre en même temps que nous l’organisation du ministère des Affaires Etrangères. Une ruche constamment en état d’alerte, attentive aux soubresauts du Monde 24h/24 et 7 jours/7, malgré un manque de moyens flagrant (bureaux exigus, système de communication obsolète, manque de personnel…).
Il réalise peu à peu la complexité de la tâche qui l’attend, entre les sautes d’humeur du ministre, ses demandes saugrenues et ses grands concepts oratoires, l’obligation de glisser à tout bout de champ des citations de Héraclite ou de composer avec les amis écrivains de Taillard de Worms chargés de réécrire certains passages de ses compositions. Il lui faut aussi collaborer avec les différents experts qui entourent le directeur de cabinet : Stéphane Cahut (Bruno Raffaelli), Valérie Dumontheil (Julie Gayet), Sylvain Marquet (Thomas Chabrol), Guillaume Van Effenthem (Thierry Frémont) ou Bertrand Castella (Jean-Marc Roulot). Chacun essaie d’abattre ses cartes pour être bien vu par le ministre, quitte à mettre des bâtons dans les roues des collègues.
La satire se veut parfois féroce. Les auteurs décrivent sans ménagement les travers du ministre et de ses collaborateurs, abordent des points peu connus du grand public, comme celui des questions des députés, à l’Assemblée Nationale, qui sont rédigées à l’avance par l’équipe du ministère. Ils montrent aussi l’absurdité de certaines joutes diplomatiques, dignes de bagarres de cour de récréation à la maternelle et l’art du politicien, qui essaie toujours d’attirer la couverture à lui, pour être le nombril du monde. Mais ce n’est pas un brûlot contre la politique en général, ni une oeuvre au vitriol sur les puissants de ce monde.
Les personnages ont leurs petits travers et c’est justement ce qui les humanise. Ce ne sont ni des truands de haut-vol, ni des super-héros invincibles, ni de froides machines administratives. Juste des hommes et des femmes qui font leur travail, qui assument des responsabilités souvent lourdes avec beaucoup d’abnégation. Et si l’ambitieux ministre essaie de briller médiatiquement et de voler la vedette à ses confrères de l’Intérieur ou de la Défense, il a aussi une véritable envie de servir son pays, de mettre ses idées au service du peuple. On est loin, ici, du cliché un peu rance qui veut que les hommes politiques soient “tous pourris”. Ce sont des fonctionnaires de haut niveau, qui essaient de servir leurs intérêts personnels, d’accord, mais qui effectuent aussi une vraie mission de service public.
C’est sûrement cela qui a intéressé Bertrand Tavernier dans la bande-dessinée originale. Le cinéaste adore emmener ses spectateurs dans le sillage d’hommes et de femmes qui exercent leur profession avec enthousiasme et dévouement, montrer les rouages d’un corps de métier.
Il nous avait décrit le quotidien de policiers dans L.627, d’enseignants dans Ca commence aujourd’hui, de soldats dans Capitaine Conan. Logique qu’il se soit passionné pour ce ballet de diplomates émérites. Un travail usant, où il faut rester sans cesse en alerte puisque avec le décalage horaire, il y a toujours des crises à régler à un endroit ou un autre du globe. Un travail ingrat, également, pour ceux qui travaillent dans l’ombre pendant que leur chef parade sous la lumière des projecteurs.
On sent, par exemple, que Bertrand Tavernier éprouve beaucoup d’affection pour Claude Maupas, le directeur de cabinet. Un vrai petit soldat au service de l’état, travailleur infatigable qui passe sa vie dans son bureau minuscule, enchaînant les migraines au même rythme que les gestions de situations d’urgence. C’est lui, plus que le ministre, qui fait tourner la boutique, comme on dit. Il aime ce métier. C’est sa vie, sa vocation… Alors tant pis si la tâche est ingrate, si l’agacement peut poindre, parfois, face à l’incompétence de tel subordonné ou le tempérament frondeur de tel autre, ou face aux priorités farfelues de ses supérieurs hiérarchiques – son ministre, qui préfère déjeuner avec un prix Nobel de Littérature plutôt que préparer un important meeting de l’OTAN, ou le Président de la République, qui est plus obsédé par les fugues de l’ourse Cannelle que par le prestige de la nation…- il est là pour accomplir sa mission au service de son pays.
Nul doute que le cinéaste se reconnaît un peu en lui. Finalement, il occupe un peu le même poste de superviseur général au service d’une entité suprême : le film. C’est lui qui prend les décisions, dirige les techniciens, les acteurs, qui coordonne toutes les étapes importantes pour que l’oeuvre ainsi créée puisse briller de mille feux. Comme Maupas avec ses conseillers, secrétaires, attachés de presse… Dans les deux cas, il y a une force collective à l’ouvrage, dirigée de main de maître.
Il se reconnaît aussi un peu, sans doute, dans le personnage de Taillard de Worms. Un homme excessif, un peu foufou, mais doté d’un véritable talent pour transfigurer n’importe quel texte en prouesse oratoire. Le fameux discours devant l’ONU doit beaucoup à Arthur et aux différents conseillers géopolitiques, mais aussi aux conseillers littéraires et à Héraclite. Mais il le doit aussi aux inspirations géniales du trépidant ministre, clé de voûte du discours.
Un grand cinéaste, c’est cela, un mélange de Maupas et de Taillard de Worms. Un homme humble, simple, capable de gérer une équipe, de coordonner les efforts de chacun, mais aussi un leader charismatique, apte à motiver les troupes ou à gueuler quand ça ne va pas. Un chef de groupe qui s’appuie sur les compétences de chacun et est aussi capable de trouvailles personnelles magnifiques…
Bertrand Tavernier est un grand cinéaste, c’est indéniable, et il le prouve une fois de plus avec Quai d’Orsay. Une jolie comédie, drôle, fine et intelligente sur les coulisses d’un ministère, que l’on suit avec autant de plaisir que In the loop, autre comédie grinçante, britannique celle-là, consacrée aux coulisses diplomatiques de l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Iraq…
En s’appuyant sur le texte original et sur un gros travail préparatoire, mais aussi en optant pour une mise en scène très sobre, privilégiant le rythme à la virtuosité, le cinéaste peut prendre le temps de diriger ses comédiens. On voit le résultat : tous sont impeccables. Niels Arestrup est magnifique, à contre-emploi, dans la peau du placide Maupas. Raphaël Personnaz incarne avec talent le jeune héros fraîchement débarqué dans cet établissement de fous furieux. Et Thierry Lhermitte est étincelant dans le rôle du ministre. Il s’agit d’une de ses plus belles performances d’acteur, à n’en pas douter.
Mais tous sont très bons, des acteurs principaux aux seconds rôles. Mention spéciale à Julie Gayet, en garce arriviste et Anaïs Demoustier, qui joue la compagne enseignante d’Arthur. Une femme solide, qui a les pieds sur terre, loin des labyrinthe de mots et de phrases dans lesquels se perd son conjoint au ministère.
Allez! Trêve de long discours de notre part! Allez plutôt redécouvrir celui que Dominique de Villepin avait déclamé face à l’ONU, il y a dix ans, revu et corrigé par l’humour de Christophe Blain et Abel Lanzac et la finesse artistique de Bertrand Tavernier. Bon moment garanti, sans langue de bois…
(1) : “Quai d’Orsay – chroniques diplomatiques” de Christophe Blain (dessin) et Abel Lanzac (scénario) – 2 tomes – éd. Dargaud
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Quai d’Orsay Quai d’Orsay Réalisateur : Bertrand Tavernier Avec : Raphaël Personnaz, Thierry Lhermitte, Niels Arestrup, Bruno Raffelli, Julie Gayet, Anaïs Demoustier Origine : France Genre : Ces étranges Affaires Etrangères… Durée : 1h53 Date de sortie France : 06/11/2013 Note pour ce film : :●●●●●○ Contrepoint critique : No Popcorn |
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photos : © Pathé Distribution