François Ozon nous avait laissé sur notre faim avec Le Refuge, film-concept bricolé dans l’urgence, assez creux et profondément ennuyeux.
Le revoilà, à peine dix mois après, avec déjà un nouveau film, Potiche, totalement différent du précédent. Radicalement opposé dans sa démarche, même : budget plus conséquent et casting plus prestigieux (1), autre style, autres thématiques, autre époque…

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Dès les premières images du générique, Ozon donne le ton. Image veloutée aux couleurs un peu passées, découpage en split screen façon L’Affaire Thomas Crown, police de caractères vintage en jaune sur fond noir : nous voilà de retour dans les années 1970, aux derniers feux de la décennie… Au choix, fin Giscard / début Mitterrand, si l’on considère l’époque d’un point de vue politique, ou fin De Funès / début Pierre Richard (2), si l’on considère l’époque d’un point de vue cinématographique…
Car oui, Potiche est une pure comédie, à l’ironie mordante et au kitsch assumé. Un hommage amusé et amusant à toutes ces comédies populaires pleines de charme, mêlant préoccupations sociales, vaudeville et burlesque, qui faisaient le bonheur des spectateurs de cette époque-là : La Zizanie, Le Distrait, Je ne sais rien mais je dirai tout

Le cinéaste se sert de la trame d’une pièce de boulevard de l’époque, signée par le duo Pierre Barillet/ Jean-Pierre Grédy (3), pour illustrer l’un de ses thèmes de prédilection  sur fond de guerre des sexes et de conflit social.
Il nous entraîne à la rencontre de Suzanne Pujol, héritière d’un grand magnat du parapluie et épouse de Robert Pujol, qui a repris les rênes de l’entreprise et la dirige d’une main de fer. Elle doit se contenter du rôle ingrat d’épouse-modèle, de mère aimante et de femme au foyer parfaite. Une potiche, en somme, comme le lui fait remarquer sa fille, une blondasse pimbêche au franc-parler redoutable…
De fait, Suzanne encaisse tout sans broncher : les critiques de ses enfants, les coucheries de son conjoint avec sa secrétaire et bien d’autres femmes, et surtout l’attitude hautaine du bonhomme à son égard dès qu’elle ose donner son opinion sur un problème donné.

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Mais voilà, Robert Pujol est tellement odieux avec son entourage qu’il finit assez logiquement à provoquer la révolte de ses employés : grève, manifestations devant l’usine, liste de revendications impressionnante…
La situation dégénère et l’industriel, victime de ses colères dantesques,  est contraint de prendre un peu de recul, le temps de se refaire une santé.
En son absence, il confie à sa femme la direction de l’usine et les négociations avec les syndicats. Suzanne, d’abord effrayée par cette tâche à laquelle elle ne connaît rien, finit par se laisser prendre au jeu, poussée par le député-maire Babin, un communiste, l’ennemi juré de son mari. Contre toute attente, la “potiche” se révèle plutôt douée pour gérer l’entreprise familiale, s’inspirant des méthodes paternalistes bienveillantes de son défunt père, qui n’avait pas connu un seul jour de grève – pas même en 1936. Les ouvriers retrouvent l’envie de travailler, les conditions de travail se modernisent, l’entreprise gagne des marchés,…

Tout irait pour le mieux si Robert ne revenait de sa cure de repos, plus réactionnaire et hautain que jamais, avec l’envie de reprendre son rôle de petit tyran industriel…
Entre Monsieur et Madame, la hiérarchie se retrouve un peu chamboulée. S’engage une lutte d’influence pour savoir qui des deux, désormais, doit se contenter du rôle de potiche…

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Misogynie à l’égard des femmes de pouvoir ou de caractère, misogynie tout court, climat économique délétère et troubles sociaux importants, opposant un patronat ultra-réactionnaire à des syndicats ultra-revendicatifs…
C’est bien la France des années 1970 qui est dépeinte là, entre révolution soixante-huitarde et crise pétrolière, entre conservatisme petit-bourgeois et idéaux hippies, entre hégémonie patriarcale et mouvements féministes…
Une époque agitée qui ressemble beaucoup à celle que nous vivons actuellement.
Difficile, en effet, de ne pas penser au climat social du moment, très tendu, alors que le pays bruisse du grondement de mécontentement du peuple, majoritairement hostile à la politique du gouvernement et à des réformes jugées injustes.
Ironie vacharde de la part de François Ozon, Robert Pujol adopte d’ailleurs un langage typiquement sarkozien : « S’ils veulent gagner plus, ils doivent travailler plus » ou « Casse-toi pôv’ con ! »… Toute ressemblance avec un personnage existant est délibérée et revendiquée… Ce décalage temporel permet au réalisateur de montrer que la situation n’a guère évolué en quarante ans – ou alors, qu’elle s’est dégradée – et de livrer une critique assez cinglante du monde actuel.

Bien sûr, les choses ont quand même un peu changé depuis les 70s’.
Les femmes sont certes plus émancipées qu’avant. Cela étant, la question de l’égalité des sexes n’est pas encore totalement réglée. Le monde des affaires et celui de la politique, par exemples, restent profondément misogynes et fermés aux femmes.
Le cinéaste avoue d’ailleurs avoir eu envie de réaliser ce film au moment de la dernière présidentielle, pendant laquelle Ségolène Royal a dû affronter des attaques machistes assez rudes et grossière de la part de ses opposants, y compris dans son propre camp…

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Bon, attention, ce n’est pas un film politique au sens strict. A travers ce film, et la façon dont il dépeint les hommes politiques ou les syndicalistes, on sent bien que les querelles partisanes autour d’idées pré-formatées ne l’intéressent guère. Il regrette que les hommes de pouvoir défendent leurs intérêts personnels plutôt que l’intérêt général. Babin, engoncé dans ses dogmes politiques rigides – le communisme pro-URSS des années Marchais – et les vieux rêves révolutionnaires, a peu à peu perdu de vue l’essence de sa mission : rendre service au peuple, organiser la société pour que chacun puisse y trouver sa place et être heureux.
Suzanne, elle, réussit à fédérer tout le monde autour de sa personne, car, en plus de son charisme, elle manifeste un intérêt sincère pour tous les gens qui l’entourent, du plus petit ouvrier de son usine jusqu’aux notables de la ville, avec une égale considération.  Elle est pour l’égalité des sexes et des classes, pour le bonheur et la liberté de chacune des personnes qui l’entourent. Son courant à elle ne se nommerait ni libéralisme, ni centrisme, ni socialisme, ni communisme ou écologisme, mais humanisme…
Mine de rien, cette comédie légère à l’ancienne instille discrètement un esprit de révolte, une envie de se battre pour un idéal de justice et d’équité sociale, et il dresse le portrait cinglant de notre société contemporaine. Et finalement, il est bien plus convaincant, plus subtil, que certains films à thèse très sérieux…

Mais le principal plaisir de cette Potiche vient quand même de son aspect comique.
Ozon annonce d’emblée la couleur : son film est kitsch, théâtral, outrancier… et délectable car tous ces qualificatifs que l’on cite habituellement comme des défauts sont, une fois combinés par le cinéaste, une force comique irrésistible.
Et puisque l’on est dans la caricature et l’hommage iconoclaste, autant y aller franco, en offrant aux acteurs l’opportunité de se livrer à de savoureux numéros – de cabotinages grandioses en joutes verbales fracassantes.

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Fabrice Luchini semble beaucoup s’amuser dans le rôle de Robert Pujol, chef d’entreprise colérique, lubrique et odieux. Dans sa bouche, les répliques fusent comme des missiles destructeurs. Judith Godrèche est également parfaitement à l’aise dans le rôle de la fille des Pujol, une peste qui balance vacherie sur vacherie avec toujours un éclatant sourire et un brushing impeccable façon Farrah Fawcett. Dans le rayon des délires capillaires et vestimentaires qui touche tous les acteurs du film – ah! les looks incroyables des années 70… – Jérémie Renier est le plus gâté : coupe à la Cloclo, pantalon pattes d’eph’ et pull en laine orange à motifs bariolés.
Karin Viard réussit le miracle de donner à la fois de l’épaisseur et de la démesure à son personnage de secrétaire godiche – pourtant très secondaire dans la pièce d’origine – avec un minimum de gestes et d’effets de jeu. Il est vrai qu’elle brille dans tous les registres, mais que la comédie est un genre qui lui va à merveille…

Quant à Gérard Depardieu, il est également très bien en vieux politicien coco un rien désabusé et romantique. Alors qu’on aurait pu craindre, au vu de l’aspect volontairement déjanté du film, un de ces numéros de cabotinages lourdingues dans lesquels il ne s’est pas toujours montré à son avantage (tenez, par exemple : Disco…), il fait preuve ici de plus de retenue que ses petits camarades.
Ce qui ne l’empêche pas d’être drôle, bien au contraire. Notamment quand il évoque les grands révolutionnaires du siècle, avec le plus grand sérieux “Che Guevarra, Kandinsky, Georges Marchais…”.

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Et pour le rôle principal, celui de Suzanne Pujol, il fallait une actrice capable d’être aussi crédible en bourgeoise nunuche, la potiche en question, qu’en femme d’affaires charismatique et déterminée. Dans la pièce d’origine, c’est Jacqueline Maillan, La Maillan, qui tenait ce rôle, calibré pour elle et son exubérance.
A l’écran, Ozon a choisi de faire confiance à Catherine Deneuve, qu’il avait déjà dirigé dans une autre adaptation théâtrale – celle de 8 femmes – et a arrangé le personnage pour qu’il colle un peu plus à la personnalité de son actrice.
On sait depuis longtemps que celle-ci avait un vrai talent pour la comédie, malgré son aura de superstar française et d’égérie de bien des auteurs sérieux. Mais sous la direction de François Ozon, elle se lâche complètement, pour le meilleur.
Qu’elle fasse du jogging en draguant les écureuils ou en tombant en pâmoison devant une biche – Blanche Neige, sors de ce corps ! – qu’elle assiste à un conseil syndical en portant ses plus beaux bijoux, qu’elle danse le disco avec Depardieu sur “Viens faire un tour sous la pluie” ou qu’elle tape le cul des vaches comme le Chirac de la grande époque, elle est absolument irrésistible de fantaisie et de classe.
Et, contrairement à l’époque des films de Demy, elle n’hésite plus à pousser la chansonnette. Deux fois pour le prix d’une, ici ! Elle reprend le tube de Michèle Torr, “Emmène-moi danser ce soir” et boucle le film sur une chanson de Ferrat, “Que c’est beau la vie”… Gonflé…

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Dernière bonne raison pour aller voir cette comédie étincelante : la façon dont le cinéaste greffe ses thèmes de prédilection – le rapport conflictuel à un père dépassé par les événements, le rôle protecteur de la mère, l’éclatement de la cellule familiale, la face cachée de la bourgeoisie, la place de la femme dans la société… – sur la pièce d’origine, modernisant cette dernière au passage. Et le regard à la fois moqueur et respectueux, plein de tendresse, que François Ozon porte sur une époque, celle de son enfance. A travers ses choix de costumes, de musiques, de chansons d’époque, d’extrait de vieilles émissions de télé (Aujourd’hui Madame) ou de références cinématographiques discrètes…

Bref, c’est une oeuvre très personnelle, doublée d’une réjouissante critique sociale, que nous offre François Ozon, derrière l’adaptation théâtrale, derrière l’aimable comédie à l’ancienne et le kitsch des années 1970. Délectable…
Oui, vraiment, c’est dans les vieilles soupes qu’on fait les meilleures Potiche(s).
(1) : sans vouloir faire offense à Isabelle Carré et Melvil Poupaud, à l’affiche du refuge, ils ne sont pas aussi reconnus que Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu et Karin Viard… Ce qui n’enlève rien à leur talent.
(2) : Ce n’est pas tout à fait exact… Pierre Richard a connu le succès au tout début des années 1970 et est resté au top du box-office français jusqu’au milieu des années 1980.

(3) : le duo a signé quelques pièces mémorables, comme “Folle Amanda”, “Lily et Lily” ou “Peau de vache”

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Potiche

Réalisateur : François Ozon
Avec : Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Judith Godrèche, Jérémie Renier, Karin Viard
Origine : France
Genre : adaptation théâtrale très 70’s
Durée : 1h43
Date de sortie France : 11/11/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Bakchich info

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