On avait quitté l’univers du cinéaste autrichien Ulrich Seidl sur le plan final de Import-Export, une scène magistrale montrant la détresse d’une personne âgée grabataire enfermée dans un hospice sordide et répétant en boucle le mot “Tot” (“Mort”).
Le début de Paradis : Amour est tout aussi remarquable. Avec un sens du cadre époustouflant, Seidl nous montre un groupe d’handicapés mentaux s’affrontant dans une bataille d’autos tamponneuses. Autour d’eux, des murs peints représentant des vues de New-York ou de plages exotiques. Avec cette simple scène, tout est dit : le cinéaste compare la vie quotidienne à un tumulte où des débiles mentaux entrent en collision les uns avec les autres avant de partir en vacances pour se reposer dans des paradis en trompe-l’oeil, pour quelques jours d’un bonheur factice.
Le plan suivant montre d’ailleurs la gérante du manège sur le point de partir en vacances au Kenya. Stressante, ultra-maniaque, elle sermonne son adolescente de fille pour sa nonchalance et son manque d’implication dans le rangement de la maison qu’elles occupent toutes les deux. Elle ne réalise pas vraiment que la gamine  est plutôt contente de se débarrasser d’elle pendant les vacances…

Paradis amour - 6

La mégère se prénomme Teresa. C’est une quinquagénaire obèse mal dans sa peau et souffrant de solitude.
Elle débarque finalement en Afrique, en compagnie d’autres vieilles peaux venues se faire carboniser au soleil, et plus si affinités avec les indigènes, ces “Nègres” à la peau parfumée, aux muscles saillants, aux dents d’une blancheur immaculée.
Et des affinités, il y en a forcément dès lors que ces blondes teutonnes ont de l’argent à distribuer. Dans ces pays pauvres, tout est bon pour faire du business en satisfaisant les besoins des touristes.
Un souvenir? Pas de problème, il y a toujours une quinzaine de vendeurs à la sauvette qui essaient de vous vendre un collier, un bracelet, une statuette…
Un guide? Pas de problème, hakuna matata! Il y a toujours une quinzaine de transporteurs en scooter ou en tuk-tuk  prêts à vous emmener quelque part.
Un gros besoin d’amour? Pas de problème, hakuna matata! Contre quelques billets ou de petits cadeaux, ces messieurs sont prêts à vous malaxer les seins et vous chevaucher de leurs “sexes immenses”.

Paradis - amour - 5

Le cinéaste décrit avec distance et humour caustique ce jeu de dupes. Il montre clairement la ligne de séparation entre les blancs et les noirs, toujours face-à-face, ou côte-à-côte, comme les rayures de zèbre qui décorent un peu tous les lieux de ce paradis africain. Qui sont les proies? Qui sont les prédateurs? Ils le sont autant les uns que les autres, puisque les femmes veulent utiliser ces “sauvages” comme esclaves sexuels personnels et que les kenyans voient les touristes comme des pigeons à plumer entièrement…

Paradis amour - 9

L’héroïne du film – un bien grand mot pour une personne aussi méprisable – tente de se persuader qu’elle n’est pas comme les autres, qu’elle cherche, elle, de l’Amour avec un grand A et non pas des étreintes fougueuses. Pfff… De l’amour… Il n’est aucunement question d’amour ici. C’est bien de commerce du sexe dont il s’agit, juste dissimulé sous une fine couche de sable caressé par le soleil, pour le rendre plus exotique et moins honteux.
Teresa, qui, derrière ses beaux discours, fait montre d’une attitude néocolonialiste méprisante et d’un racisme éhonté,  n’a aucune intention de faire sa vie avec un Noir. Ils sont juste bons à lui procurer un peu de plaisir charnel et à lui servir de souffre-douleur…

Car en plus de servir de sex toys vivants, les indigènes se font aussi humilier par ces touristes qui paient pour leur “amour”.
Le point culminant de cette humiliation, dans le film, est l’orgie organisée par les vieilles peaux pour l’anniversaire de leur copine, avec un stripteaseur local en guise de quatre heures Une scène qui présente pas mal de similitudes avec cette scène choc d’Import-Export, dans laquelle deux businessmen autrichiens humiliaient des prostituées ukrainiennes en les dressant comme des chiennes.

Paradis amour - 7

Difficile de ne pas ressentir de la colère face à ce spectacle désolant, où des femmes dites “civilisées” se comportent comme les pires des sauvages, faisant fi du respect de la dignité humaine… Pourtant, le choc ressenti n’est pas aussi fort que prévu.
Peut-être parce que Ulrich Seidl joue un peu trop sur la répétition des scènes. Au bout du troisième amant essayé par l’opulente Teresa, on a bien compris le principe, totalement misanthrope : Les sauvages sont des brutes épaisses qui ne connaissent rien à la délicatesse, ni à la sensualité, et ne cherchent qu’à  soutirer de l’argent à la femme blanche pour aider – soi-disant – un neveu malade ou un père accidenté. Et la “cliente” est une garce déguisée en femme prude et romantique, avide comme les autres de sexe et de pouvoir et prompte à retrouver les vieux réflexes de colon dominant.
Les scènes se répètent, s’étirent un peu trop, et, plutôt que de choquer, perdent ainsi de leur force.

Peut-être était-ce là le véritable objectif de Seidl, habituer le spectateur à des scènes dérangeantes, banaliser la violence des scènes et mettre le spectateur face à son côté voyeuriste. Mais l’ennui finit quand même par s’installer, trahissant les espoirs placés dans cette introduction gonflée et pleine de cynisme, portée par le style si singulier du cinéaste autrichien. On sort du film un peu frustrés, sur notre faim…

Paradis - amour - 4

Cela dit,  Paradis : amour reste un très beau moment de Cinéma. Le film aborde des sujets généralement peu traités à l’écran, comme le tourisme sexuel, le racisme, le comportement colonialiste des occidentaux, sans tabous, sans retenue. Il est joué avec conviction par la courageuse Margarethe Tiesel, qui se met à nu dans tous les sens du terme, et par des acteurs amateurs kenyans, véritables “beachboys” dans la vie, qui ont accepté de rejouer leur quotidien pour les besoins du film (1). Et il est surtout mis en scène avec une maestria technique indéniable, griffe d’un véritable auteur. Ses images fortes, qui impriment durablement la rétine, sont de nature à nous hanter durablement une fois la projection terminée.
Quant au dénouement, qui a la bonne idée de se terminer sur une note amère bienvenue – la touriste, prenant brusquement conscience de son âge et de sa beauté déclinante, se confronte à l’absurdité de sa quête – il ouvre sur d’autres questionnements, notamment autour du sort de la fille de Teresa, confiée à la soeur de cette dernière, et donne envie de découvrir très vite les deux autres épisodes de ce qui constituera une trilogie : Paradis : Foi (2) et Paradis : Espoir (3).

(1) : L’acteur masculin principal, Peter Kuzungu, qui joue l’un des amants de Teresa, avait même épousé une femme allemande, une “sugar mama” rencontrée sur une plages kenyanes. Elle l’a quitté au bout de trois ans, lui reprenant tout ce qu’elle lui avait donné…
(2) : Présenté à la Mostra de Venise en septembre dernier, où il a glané le Prix spécial du Jury, le deuxième épisode devrait sortir sur les écrans français le 13 mars 2013. Il tourne autour de la soeur de Teresa et d’une foi un peu trop dévorante.
(3) : Le dernier volet de la trilogie sera présenté à la Berlinale 2013. Réussir à placer les trois volets d’une trilogie cinématographique dans les trois festivals majeurs est, à notre connaissance, un exploit unique en son genre, qui vient couronner l’audace du projet. La date de sortie française n’est pas encore connue.

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Paradis amour Paradis : Amour
Paradies : Liebe

Réalisateur : Ulrich Seidl
Avec : Margarethe Tiesel, Peter Kuzungu, Inge Maux, Dunja Sowinetz, Helen Brugat, Gabriel Nguma Mwarua
Origine : Autriche, Allemagne, France
Genre : Paradis artificiels et paradis perdu
Durée : 2h00
Date de sortie France : 09/01/2013
Note pour ce film :  ●●●●●
Contrepoint critique : Le Nouvel Observateur

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