L’invasion a déjà commencé…
Les premiers signes détectables du phénomène ont été quelques news annonçant un projet hollywoodien un peu fou, une histoire de science-fiction dans laquelle des robots géants pilotés par des humains affrontent des monstres géants venus d’un autre univers, le long des villes côtières de notre planète.
La rumeur a pris de l’ampleur quand Guillermo Del Toro a annoncé qu’il prenait en charge la réalisation du film. Les geeks de tous poils se sont illico mis à rêver de ce qu’allait donner un tel projet, avec aux manettes ce cinéaste chevronné, déjà responsable du diptyque Hellboy et du Labyrinthe de Pan et habitué aux films visuellement amples.
A l’approche des premières projections, des tweets impatients ont commencé à émerger d’un peu partout, générant un certain buzz autour du phénomène de l’été 2013.
Et maintenant que Pacific Rim a enfin été montré à quelques privilégiés, la folie se propage rapidement. Les réseaux sociaux s’enflamment. La blogosphère se déchire. Les critiques s’opposent. Partisans et détracteurs du film se rendent coup pour coup avec la même intensité que les Jaegers et les Kaijus, les antagonistes de l’intrigue. Les premiers, dithyrambiques, louent un film visuellement splendide, qui entraîne le spectateur au coeur d’un récit complètement fou, un véritable orgasme filmique pour geeks biberonnés aux films de monstres japonais, aux mechas type Robotech/Macross et autres sentaï. Les seconds fustigent la stupidité du concept, le manque d’enjeux artistiques du projet ou, parmi les enthousiastes de la première heure, affichent leur déception face à la pauvreté du scénario et le manque de finesse des personnages.
Alors? Pacific dream, Pacific frime ou Pacific crime contre le 7ème Art? Que vaut vraiment Pacific Rim?
Sans vouloir forcément ménager la chèvre et le chou, ou le mechwarrior et l’alien aquatique, les arguments des deux camps sont recevables.
Commençons déjà par le premier argument “contre” : la stupidité du concept. Ah, ça c’est sûr, ce n’est pas de l’Art & essai… En même temps, vous avouerez que le concept “robots versus monsters”, la sortie au coeur de l’été, l’affiche, etc… laissait plus présager un bon vieux blockbuster d’action qu’un film philosophico-intello profond et subtil. Non?
Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Pacific Rim est un film d’aventures et d’action futuriste, dans lequel l’humanité est menacée par une attaque extra-terrestre venant non pas de l’espace, mais du fond des océans, via un portail alien envoyant à intervalles réguliers de grosses créatures monstrueuses attaquer les villes côtières de la planète. Comme ces Kaiju – “bête gigantesque” en japonais – sont des mastodontes de 3000 tonnes environ, entre le dinosaure et le monstre aquatique, et crachent un acide capable de faire fondre n’importe quel building en moins de deux secondes, la tâche est évidemment compliquée pour les pauvres humains que nous sommes. Aussi, les forces armées du monde entier ont uni leurs force pour créer un nouveau type d’arme : les Jaeger – “Chasseur”, en allemand – des robots grands comme un immeuble de 25 étages, piloté simultanément par deux pilotes reliés à la machine et entre eux par une connexion neuronale. Seulement voilà, les armes s’avérant insuffisante pour détruire le portail, les attaques ne cessent pas. Pire, leur nombre augmente, et les monstres qui sont envoyés sont chaque fois plus grands, plus puissants, plus intelligents et plus vicieux, causant des pertes matérielles et humaines considérables.
Alors que la défaite semble inéluctable, l’armée rassemble ses dernières force pour préparer une opération commando de la dernière chance. Les Jaegers encore en état de fonctionner vont tenter d’aller faire exploser le portail à coups d’ogives nucléaires et refermer la brèche. Seuls quatre robots sont encore aptes au service : un robot australien, dernier cri technologique, un Jaeger russe particulièrement robuste, un appareil chinois présentant la particularité d’être piloté par trois hommes et un modèle ancienne génération, analogique, au coeur nucléaire. Les pilotes capables de diriger un tel engin n’étant plus légion, le chef d’état major convoque Raleigh Becket (Charlie Hunnam) , un vétéran traumatisé par la mort de son copilote de frère, et lui adjoint une rookie aux nerfs fragiles, Mako Mori (Rinko Kikuchi). Ces deux-là sont loin de se douter qu’ils constituent le dernier espoir de l’humanité…
A la lecture de cette trame narrative, vous vous dites sûrement que tout ça ne sent pas très bon, qu’on peut craindre un dénouement sacrificiel façon Independance day et le mélo tire-larmes qui va avec. Et que du coup, le second argument des détracteurs du film – la pauvreté de son scénario – est parfaitement recevable.
C’est vrai, le scénario de Pacific Rim manque cruellement de subtilité, se contentant d’empiler les péripéties convenues, bien trop prévisibles.
Par exemple, on se doute bien que Mako Mori va devenir l’équipière de Becket, que leur duo ne va pas fonctionner tout de suite, puis que ce sont eux qui vont sauver le monde à bord de leur Jaeger “archaïque”.
On se doute bien, également, que les monstres à affronter vont présenter une difficulté croissante. D’ailleurs, ils sont déjà catalogués par “niveaux”. Les monstres de niveau 1 étaient abattus, non sans mal, par les avions. Les niveaux 2 pouvaient être vaincus par les Jaegers. Les niveaux trois ne parvenaient pas à franchir les immenses murailles de défense érigées par les hommes le long des côtes. Les niveaux 4, les actuels, le peuvent. En attendant les monstres de niveau 5, qui pourraient arriver, pourquoi pas, en toute fin de film. Ô surprise!
Cela dit, ce n’est ni le premier, ni le dernier, film d’action obéissant à ce schéma narratif.
Ce qui est plus embêtant, c’est que rien ne vient vraiment masquer ces ficelles dramatiques trop (pré)visibles. Le scénario de Travis Beacham essaie bien de mettre en place quelques intrigues secondaires, comme la rivalité entre Raleigh et Chuck Hansen (Rob Kazinsky), l’arrogant pilote australien, les rapports ambigus entre le commandant Pentecost (Idris Elba) et Mako, ou encore les péripéties vécues par deux chercheurs un peu fous (Charlie Day et Burn Gorman) spécialistes de l’étude des Kaiju, mais elles sont trop peu développées et cela s’avère insuffisant pour donner de l’ampleur au récit.
Il faut dire que 1h50 de métrage, ça passe vite, surtout qu’il faut expliciter rapidement le background de l’histoire, présenter les héros et les enjeux, filmer des scènes de batailles dantesques, parce qu’on est quand même là pour ça, et donner au récit un dénouement.
C’est peut-être là l’erreur. Vouloir absolument faire tenir tout cela dans un seul film, plutôt que de laisser des zones d’ombres, et de laisser la fin ouverte en vue de suites éventuelles. Avoir plus de temps, cela aurait permis à Del Toro de développer un peu plus la relation entre Raleigh et Mako, par exemple, un lien important puisque, on a oublié de le signaler, la compatibilité émotionnelle et la complicité sont primordiaux pour piloter correctement les Jaegers.
Maintenant, même si le scénario manque un peu de consistance, il faut bien reconnaître que la narration est sacrément efficace.
Del Toro ne s’embarrasse pas de trop de blabla introductif. Sa séquence pré-générique nous plonge illico dans le vif du sujet. En quelques plans, on comprend tous les enjeux politiques et humains du scénario, on fait la connaissance du héros et on a droit, en prime, à une première bataille ébouriffante entre un alien et un robot. Difficile de faire mieux…
Même chose pour le fameux lien entre les deux personnages principaux. Il suffit d’une scène au cinéaste pour nous faire accepter l’idée que Mako et Raleigh sont complémentaires. Une silhouette tenant un parapluie sur le tarmac d’un aéroport, un regard, un trouble, et le tour est joué…
Et surtout, malgré le côté prévisible du récit, malgré les figures imposées, malgré le formatage dicté par les studios, l’essentiel est préservé : que ce soit au niveau des scènes humoristiques, des moments de suspense, des séquences dramatiques, les émotions sont là.
On vibre pour les personnages, on partage ces quelques moments de tension avec eux…
L’autre point intéressant, c’est que si Pacific Rim obéit au cahier des charges d’un blockbuster hollywoodien formaté, il porte clairement la patte de son réalisateur. Thématiquement, déjà, avec des sujets déjà présent dans ses précédentes oeuvres : l’obsession du temps (Cronos), la fascination vis-à-vis des monstres (Mimic, Hellboy, Le Labyrinthe de Pan), les traumas enfantins… Narrativement ensuite, avec ce découpage très précis des scènes, y compris des scènes d’action. Puisqu’on a cité Independance day un peu plus haut, on ne peut que rectifier le malentendu. Pacific Rim le surpasse en tous points, tout comme Del Toro surpasse sans peine le tâcheron Roland Emmerich. Lui, au moins, n’a pas besoin d’appuyer lourdement ses effets pour émouvoir, et encore moins de les draper dans le traditionnel patriotisme américain pour faire plaisir aux spectateurs outre-atlantique.
Et visuellement, enfin, Pacific Rim présente cette esthétique particulière que l’on retrouve dans tous les films du cinéaste mexicain, en plus beau, plus ample, plus impressionnant.
Le terme est souvent galvaudé, mais ici il est employé à bon escient : Pacific Rim est vraiment un film “à grand spectacle”.
C’est bien simple, on s’en prend plein les mirettes pendant près de deux heures, sans interruption. Destructions massives de villes – de Los Angeles à Hong-Kong, en passant par Sidney ou Tokyo, combats titanesques sur mer ou sur terre entre les Jaeger et les Kaiju, affrontements sous-marins… Le tout chorégraphié à la perfection, découpé avec une précision extrême et pensé en 3D pour un relief qui apporte une réelle plus-value – c’est assez rare pour être souligné.
Le même soin a été apporté aux décors, grandioses – de la base de la résistance au chantier du Mur du Pacifique – aux combinaison des personnages, aux design des Jaeger et des Kaiju, à l’animation de ces créatures…
Et puis, bien sûr, il y a le formidable travail de Guillermo Navarro, le directeur de la photographie et vieux complice de Del Toro. On retrouve là les jeux d’ombres de de lumières, l’étalonnage si particulier des couleurs qui faisaient le charme de L’échine du Diable, Hellboy I & II et Le Labyrinthe de Pan.
La partie visuelle du film est un véritable enchantement, qui fait que l’on pardonne très vite à Pacific Rim ses faiblesses scénaristiques et que l’on se range à l’avis des ses adorateurs.
On comprend que les amateurs de kaiju-ega et de mecha soient aux anges. Chaque combat, chaque péripétie, est un morceau de bravoure, truffé de trouvailles jouissives – Ah! l’épée-tronçonneuse – qui génère spontanément des applaudissements dans la salle.
Le cinéaste n’oublie pas de se faire plaisir, en glissant des clins d’oeil à ses propres films, ou à des classiques tels que Godzilla, Jurassic Park, Les envahisseurs attaquent, The Host. Et même, c’est plus surprenant, à… Chinatown, à travers une scène de gangsters qui donne à Ron Perlman, lui aussi fidèle du cinéaste, l’occasion de briller.
Ah, tant qu’on y pense, ne quittez pas la salle trop vite à la fin du film. Le générique réserve une ultime séquence amusante – on n’en dira pas plus…
Vous l’aurez compris, si nous ne sommes pas sourds aux critiques énoncées contre le film, et notamment ses faiblesses scénaristiques, nous nous rangeons néanmoins du côté des enthousiastes, vaincus par la splendeur visuelle du film, et mis KO par la maîtrise technique déployée.
Pacific Rim rime avec “Fantastic film”!
Pas le film de l’année, d’accord, mais c’est assurément le blockbuster de l’été, tant les affrontements entre Jaeger et Kaiju surpassent en intensité les énièmes aventures du Super-mec ou les escarmouches spatiales entre humains et Klingons.
On espère que le film va trouver son public et engranger des recettes suffisamment probantes pour inciter les studios à financer les autres projets de Guillermo Del Toro, plus adultes et plus proches, dans l’esprit, de L’échine du Diable ou du Labyrinthe de Pan, qui restent ses chefs d’oeuvres.
On pense notamment à son adaptation de Lovecraft, Les Montagnes hallucinées, qui a été refusée par des producteurs hollywoodiens trop frileux…
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Pacific Rim Pacific Rim Réalisateur : Guillermo Del Toro Avec : Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi, Idris Elba, Charlie Day, Rob Kazinsky, Max Martini Origine : Etats-Unis Genre : Robots vs Monsters Durée : 1h50 Date de sortie France : 17/07/2013 Note pour ce film : ●●●●●○ Contrepoint critique : Ciné club movies |
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