N’en déplaise à ses détracteurs, chaque film de Lars Von Trier est un évènement. Qu’il se livre à des expérimentations esthétiques (Element of crime, Europa), scénographiques (Dogville, Manderlay) ou scénaristiques (Le Direktor), qu’il dynamite les genres (Breaking the waves, Dancer in the dark) ou qu’il invente des courants  cinématographique (le Dogme 95), ses films ne laissent jamais indifférents, d’autant que le cinéaste danois sait créer le buzz autour de ses films ou de sa personne.
C’est encore plus vrai depuis Antichrist, qui avait fait scandale pour ses scènes érotiques et violentes, mais aussi pour son propos, que d’aucuns jugeaient confus. Plus soft, mais tout aussi complexe sur le fond, Melancholia avait surtout fait parler de lui pour les propos polémiques sur le nazisme, tenus par le cinéaste lors de la conférence de presse cannoise, qui lui avaient valu d’être déclaré persona non grata sur la Croisette et, probablement, de perdre une palme d’or qui lui semblait promise.
Et ce n’est pas avec son nouveau long-métrage, Nymphomaniac, que les choses vont s’arranger… Sujet sulfureux, autour de la vie d’une nymphomane, rumeurs dès la mise en route du projet, autour de scènes de sexe non-simulées et pornographiques, annonce de plusieurs versions du film, censurée et non-censurée, refus de Lars Von Trier d’assurer la promotion de l’oeuvre auprès des journalistes, le film a fait couler beaucoup d’encre avant même d’être présenté.

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Il y a aussi cet imbroglio autour des différents montages du film. La version initiale de l’oeuvre durait 5h30, en une seule partie. Trop long pour une exploitation en salle, d’après les investisseurs. Le cinéaste ayant refusé de couper dans son matériau, le producteur, Peter Aalbaek, a finalement récupéré le final cut et a scindé le film en deux parties de 2h chacune. Contre la volonté du cinéaste, mais avec son accord, car d’après Aalbek, Von Trier est conscient de la logique des financiers et de la problématique de la distribution des films en salle… Difficile de croire cela de la part d’un cinéaste qui a livré par le passé des oeuvres difficiles d’accès au grand public et qui a néanmoins toujours eu la totale mainmise sur ses films. D’autant que sa société, Zentropa, coproduit le film… Mais admettons…
Se pose alors la question de la censure. Il a un moment été question d’une version soft et d’une version plus hard non-censurée. Finalement, le producteur a annoncé qu’il avait renoncé à la version soft et que ce qui nous est proposé correspond à la version la plus explicite. Mais une version intégrale non-censurée de la première partie est annoncée à la Berlinale, à la fin du mois, en attendant la version director’s cut de 5h30, peut-être pour le festival de Cannes…
A quoi correspondent alors ces 90 minutes éliminées au montage? Des scènes érotiques? Des éléments de l’intrigue? Affaire à suivre…

Mais on peut se demander si toute cette histoire n’est pas juste une gigantesque manipulation destinée à faire du buzz autour du film. La polémique autour du montage, les rumeurs sulfureuses autour de scènes érotiques très chaudes, à la limite de la pornographie, ont attisé la curiosité des cinéphiles, des petits coquins, et surtout des cinéphiles coquins…  Il y a un côté un peu voyeuriste à vouloir découvrir des morceaux choisis de la vie d’une femme souffrant de nymphomanie, et il y a aussi un vrai désir de cinéma à vouloir découvrir la nouvelle réalisation du cinéaste danois.
Désir, voyeurisme… Finalement, on se retrouve avant même que le film ne commence dans la même situation que le personnage joué par Stellan Skarsgaard, Seligman, qui découvre une femme gisant dans la cour de son immeuble, le visage tuméfié (Charlotte Gainsbourg), la recueille chez lui, la soigne et écoute attentivement son histoire ou plutôt ses histoires, chapitres d’une vie de vice et de débauche, selon l’intéressée elle-même.

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Ce désir d’entendre les confidences croustillantes de la belle nymphomane débouche sur une certaine frustration. Car les scènes représentées à l’écran, bien que très explicites, restent relativement “chastes” – tout est relatif… Certes, on voit bien des ébats sexuels nombreux et variés, mais rien de pornographique ou de scandaleux par rapport à tout ce que l’on peut voir par ailleurs.  L’ensemble n’est d’ailleurs guère émoustillant. Le sexe y est assez mécanique, à l’instar de la scène du dépucelage, effrayante, et l’ambiance générale du film est grise, froide, assez austère.
La partie la plus sulfureuse est finalement la plus épurée, avec, sous-jacent, un fantasme incestueux entre la fille et son père agonisant.
Les petits cochons en seront pour leur frais. Mais cette frustration, là encore, est savamment orchestrée. Le spectateur, frustré dans son voyeurisme, se retrouve cette fois dans la même situation que le personnage de Charlotte Gainsbourg, en plein désarroi, confronté à un décalage entre ses attentes, ses désirs, et le plaisir éprouvé. Et la frustration est amplifiée par la nécessité d’attendre encore un mois pour découvrir la suite du récit. Du moins pour ceux qui ne décocheront pas en cours de route.

Au premier degré, Nymphomaniac est un objet filmique décevant, assez froid, finalement peu sexy, voire même ennuyeux. Mais avec Lars Von Trier, il faut toujours savoir lire entre les lignes et faire l’effort de décrypter un minimum le film pour qu’il livre tous ses secrets, toutes ses richesses. Car évidemment, il s’agit d’une oeuvre bien plus dense et complexe qu’il n’y paraît, abordant des thèmes complémentaires à ceux développés dans Antichrist ou Melancholia.
Adoptant la forme littéraire d’un récit initiatique pervers en huit chapitres, le cinéaste traite des notions de désir et de plaisir, de morale et de moralisme, dissèque les relations humaines et s’aventure dans des dimensions beaucoup plus métaphysiques. Il se livre également à un exercice introspectif sur les raisons de la profonde dépression qui l’a affecté il y a quelques années, alors qu’il écrivait Antichrist et sur ses relations tendues avec la presse.

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Le premier point à noter au sujet de Nymphomaniac est qu’il s’agit d’une confrontation entre deux personnages ayant des points de vue radicalement opposés, des philosophies de vie opposées. D’un côté Joe, qui se définit comme une nymphomane, une personne mauvaise, à l’âme noircie, méritant sa déchéance, de l’autre Seligman, homme mûr, très droit, très sage, constamment positif, cherchant à apaiser et rassurer son interlocutrice en toute circonstance. Par exemple avec ce passage très drôle où il trouve une analogie entre le comportement sexuel de Joe vis-à-vis des hommes et les techniques utilisées par les pêcheurs pour appâter le poisson. Presque une fable – le pêcheur et la pécheresse…
Cette opposition, qui débouche la plupart du temps sur une incompréhension mutuelle teintée de bienveillance, sert de fil conducteur au récit.
Elle est aussi présente dans le titre de l’oeuvre, du moins tel qu’il apparaît officiellement à l’écran au générique : NYMPH()MANIAC. Une nymphe et un maniaque, séparés par des parenthèses qui évoquent la forme des lèvres vaginales.

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La  nymphe, c’est Joe, bien sûr. Le mot latin désigne une jeune femme. Il désigne aussi les petites lèvres du vagin.
Dans la mythologie grecque, le terme désigne une forme de déesse subalterne, liée à la nature (qui, pour Von Trier, est associée au chaos, le fameux “Chaos reigns” prononcé par le renard dans Antichrist).
C’est aussi une phase de métamorphose de l’insecte, avant sa forme définitive. L’histoire racontée par Joe est aussi le récit d’une métamorphose. Celui d’une fillette innocente à une femme avide de sexe et de plaisir, avant, peut-être, d’atteindre enfin une forme d’épanouissement.
C’est encore un appât utilisé pour la pêche à la mouche chère à Seligman… Et c’est enfin une muse pour les créateurs.

Pour le maniaque, c’est plus flou.
Joe l’est un peu, de par ses pulsions érotiques perpétuelles. Seligman l’est aussi, avec son enthousiasme débordant, son optimisme de chaque instant, qui tranche avec son apparence austère, presque déprimante. Petite parenthèse : le nom de Seligman – “ridicule” pour Joe – n’est pas du tout fortuit. C’est le patronyme d’un psychologue à qui l’on doit l’idée de… “psychologie positive”.
La jovialité excessive du personnage cache-t-elle un comportement plus sombre? L’homme pourrait-il être un prédateur sexuel? Un satyre? Dans la mythologie grecque, les nymphes étaient fréquemment associées au satyres. Il est amusant de noter que les noms de ces deux créatures sont aujourd’hui associés à des termes à connotation sexuelle perverse… Alors, Seligman est-il moins sage qu’il n’y paraît?
Ou bien Joe est-elle aussi mauvaise qu’elle l’affirme et va chercher à prendre l’ascendant sur son interlocuteur?
Réponse dans le prochain épisode, en salles le 29 janvier…

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Une chose est déjà sûre : au vu du dénouement de la première partie et des premières images des chapitres suivants diffusées dans le générique de fin, le parcours de Joe a tendre de plus en pus vers des pratiques extrêmes et autodestructrices (humiliations, sado-masochisme,…). Une spirale infernale dont l’acte déclencheur est cette scène de dépucelage glaciale, résumée par Von Trier en un simple calcul : 3+5=8.
“3+5”, c’est donc la perte brutale de la virginité, un moment d’insatisfaction, d’humiliation, de grande détresse pour le personnage, et le début de sa nymphomanie.  “8”, c’est le symbole de l’infini, ici, une boucle mentale sans fin. La quête du plaisir de Joe est parasitée par sa première expérience, qui l’a brisée psychiquement. Elle se retrouve piégée dans un circuit bouclé totalement vicieux, où désir et avilissement se trouvent intimement liés.

Une approche d’analyse du film serait d’utiliser la symbolique traditionnelle des chiffres, ou leur utilisation dans le récit de Joe :
“3”, c’est le nombre de voix musicales employées dans la sonate de Bach, le nombre de catégories où Joe classe ses amants – l’amant doux-attentionné, l’animal et le grand amour – c’est le triangle d’or – le vagin. C’est aussi, d’une certaine façon, l’évocation de la Sainte Trinité chrétienne. La religion, le concept du “Bien”.
”5”, ce sont les cinq sens, le diagramme des éléments. C’est aussi le pentagramme, habituellement rattaché au “Mal”, au culte satanique.
”8”, c’est le nombre de chapitres qui constituent l’histoire de Joe. Le chiffre symbolise une sorte d’équilibre, de perfection.
En schématisant, on pourrait dire que “3+5=8” correspond à “Bien+Mal=Equilibre”. Là encore, il faudra attendre pour vérifier si Joe atteint enfin son équilibre avec ce schéma, et si Jérôme, son premier amant et son grand amour, qu’elle retrouve à différents moments de sa vie, est bien la clé de voûte de l’édifice.
Ce n’est ici qu’une lecture “simple” de l’oeuvre. Mais d’autres approches, plus complexes, sont possibles.

Suite fibonacci

En effet, “3+5=8”, comme avancé dans le film, fait également partie de la suite de Fibonacci :
0+1=1
1+1=2
1+2=3
2+3=5
3+5=8
5+8=13 …

Une suite qui est liée à ce que l’on appelle le “nombre d’or”. On ne va pas rentrer dans les détails, mais il se trouve que le rapport de deux nombres consécutifs de la suite est alternativement supérieur et inférieur au nombre d’or, un nombre qui vaut exactement 1.61803398, et qui est très répandu dans des structures naturelles – comme les arbres qu’étudie le père de Joe – et d’autres disciplines telles que la musique – celle de Bach, dont il est question au chapitre 5… Ou encore dans des constructions géométriques, comme le triangle d’or – évocateur du sexe féminin –  le pentagramme – figure mystique/maléfique utilisée dans Antichrist ou la… spirale d’or.
Une spirale sans fin, une suite exponentielle d’amants, d’expériences et de perversions, voilà qui semble être le destin de Joe, qui recherche le plaisir ultime, sans jamais le trouver….

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Le pentagramme, la spirale, sont deux motifs qui sont utilisés en numérologie vibratoire :

Dans ce schéma, “3” est le nombre de la création. En négatif, il caractérise la superficialité, l’extravagance, l’hypocrisie. Il est rattaché à Vénus et à la carte de tarot “l’impératrice”.
”5” symbolise la mobilité, la liberté, la sensualité. Il peut désigner une personnalité chaotique, instable. Il est rattaché au Taureau et à la carte de tarot “Le Pape”.
Et “8” signifie l’équilibre, l’autorité. En négatif, il peut désigner une personne violente, intolérante, fanatique. On l’associe au Lion et à la carte de tarot “La force”.
Là encore, on pourrait donc résumer la clé du film à l’équation : créativité + liberté = équilibre, ce qui semble nous entraîner, cette fois, dans les pensées de Lars Von Trier plutôt que dans celles de son personnage…

Toujours en numérologie, les chiffres sont associés à des lettres. Comme les initiales qui désignent les amants de Joe : F, l’attentionné, G, l’animal, H, le mari prêt à quitter sa femme pour elle… Et J, pour Jérôme, qui est associé au chiffre 1. Le début (le premier amant). L’unique (l’homme de sa vie). En numérologie, c’est un chiffre masculin, qui représente le père ou l’homme. D’ailleurs Joe porte elle-même un prénom masculin… Leur association tend-elle à illustrer les deux faces distinctes de leur relation, l’Amour et le sexe? A tendre vers le 11, maître nombre signifiant l’harmonie? Là encore, à voir…
Dans le même ordre d’idée, si on associe les nombres aux prénoms, on trouve : “Joe”= 3, “Jerome”=3, “Seligman”=8. Et “Lars”=5…
De ce fait, le sage et philosophe Seligman correspondrait à l’association de Lars Von Trier et de son héroïne.

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Théorie discutable, évidemment, mais intéressante, car elle présente l’intérêt d’inclure Lars Von Trier dans l’équation que constitue son film. Certains ont jugé un peu hâtivement qu’il se représentait dans le récit sous l’apparence de Seligman, alimentant ainsi la polémique sur la misogynie supposée du cinéaste.
Il se retrouve un peu dans le personnage, évidemment, comme il se retrouve aussi, d’une certaine façon, dans celui de Joe, puisque dans une oeuvre, le créateur se projette toujours, même partiellement, dans ses créatures.
Von Trier est à la fois un intellectuel analysant froidement les choses et un être porté vers des choses plus physiques, plus charnelles, comme en témoignent certains de ses longs-métrages (Les Idiots, Antichrist) et tous les films pornographiques qu’il produit via la filiale de sa société Zentropa. Il est posé et calme, et aime vivre en reclus, comme Seligman, et il se perd dans un bouillonnement émotionnel, cherchant le chaos, comme Joe.
Il est pragmatique, comme Seligman, et idéaliste, comme Joe. Perfectionniste, même.
A un moment, dans le film, l’héroïne dit “Peut-être que la seule différence entre moi et les autres est que j’en ai toujours demandé plus au soleil couchant. Des couleurs plus spectaculaires quand le soleil atteint l’horizon”.
Peut-être est-ce là la clé de la dépression de Lars Von Trier. Cette impossibilité d’être totalement satisfait, humainement ou artistiquement. Cette frustration.

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Or, c’est bien la frustration qui est au coeur de Nymp()maniac. On parlait plus tôt de celle du spectateur, mais toutes les parties de l’histoire de Joe sont imprégnées de cette insatisfaction. Et d’une autre donnée : le sentiment de culpabilité.
La première partie, “  The compleat angler” (du nom d’un manuel à l’usage du pêcheur à la mouche), comprend la frustration de la perte de la virginité et, dans le même temps, de l’illusion amoureuse. Et sa victoire sur sa camarade, dans le défi érotique qu’elles se lancent, est immédiatement terni par la certitude d’avoir gâché la vie d’un honnête homme.
La seconde, “Jérôme” parle de la frustration d’un possible amour qui se dérobe, et la culpabilité de l’héroïne par rapport à son manque d’audace avec celui qu’elle aime.
La troisième, “Mrs H” repose sur la frustration de ne pouvoir vivre sa vie comme elle l’entend, empoisonnée par les sentiments de ses nombreux amants, et sur la honte éprouvée face à l’épouse de H. (formidable Uma Thurman, au passage) femme trompée, trahie, animée par la colère de la dernière chance.
La quatrième, “Delirium”, repose sur la frustration de la perte du père, ainsi que sur celle de l’impossibilité de l’inceste. Et le sentiment de culpabilité tient évidemment à ce désir incestueux, qui se matérialise à un moment assez inopportun.
La cinquième, enfin, “The little organ school”, montre Joe frustrée de devoir se partager entre trois types d’amants pour trouver de la satisfaction dans les rapports sexuels. Et ce volume 1 se termine par une ultime frustration, qui marque le début d’une nouvelle phase de la vie de l’héroïne…

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Tout le film – du moins cette première partie – repose sur ce principe. Joe est en quête du plaisir ultime, mais il se dérobe un peu plus à chaque étape. Elle se hait un peu plus à chaque fois, car non seulement elle n’arrive pas à obtenir ce qu’elle cherche, mais en plus, elle a conscience qu’elle s’enfonce un peu plus dans la marge, loin des conventions morales et religieuses. Et cela ne fait qu’attiser un peu plus son sentiment de culpabilité, et sa haine d’elle-même. Cercle vicieux…

La frustration de Lars Von Trier est un peu différente, plutôt d’ordre artistique. Il est sans cesse insatisfait de son travail en raison des nombreux écueils auxquels il se heurte : compromis entre ses idées et les contraintes du tournage, de la production, de la distribution, nécessité de respecter les règles de base du langage cinématographique, les durées minimales et maximales des métrages, la morale et la bien-pensance, rejet du public, parfois désarçonné par ce qu’il voit, par la presse, qui ne comprend rien à son oeuvre et l’entraîne dans de vaines polémiques… Et son insatisfaction vient aussi du profond antagonisme entre ses deux influences majeures : le cinéma de genre hollywoodien (polar, film de guerre, mélo, ou même les comédies musicales auxquelles il rend hommage dans Dancer in the dark) et le cinéma d’art & essai européen, notamment les maîtres nordiques (Dreyer, Bergman), germaniques (Pabst) ou russes (Tarkovski).
C’est pour cela que son cinéma est toujours aussi chaotique. Il essaie toujours d’entremêler ces influences qui ont du mal à cohabiter, et de les faire coller à ses propres obsessions.
C’est aussi pour cela qu’il essaie sans cesse de bousculer les normes établies, de briser les tabous, de provoquer. Même quand il établit ses propres règles, c’est pour mieux les transgresser.
Tout cela fait que son cinéma, passionnant, est fait de contradictions et de confrontations.

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Dans Nymph()maniac, c’est manifeste.
L’ouverture, très lente, contemplative, et le chapitre 4, relativement sobre et épuré, tranchent avec le montage rapide d’autres chapitres. Le hard rock énervé de Ramstein y côtoie un morceau de Bach. Le huis-clos qui sert d’axe narratif est contrebalancé par les nombreux lieux filmés dans les différents chapitres, le format très littéraire s’oppose à cette équation mathématique qui se retrouve dans le film à tous les niveaux…
Ce film, c’est une sorte d’autoportrait en forme de puzzle, aux pièces éparpillées dans chaque recoin du film, chaque détail, chaque personnage.
L’artiste y parle de sa quête de perfection artistique, sa recherche de plaisir dans la création, dans le travail, et y hurle son besoin d’amour et de reconnaissance tout en affirmant son besoin de liberté et d’indépendance.
Il n’est pas dans une logique autodestructrice, mais dans une logique de re(construction) après son passage à vide. Et ce, même s’il ne fait rien pour plaire au plus grand nombre. Il est probable que ce film, comme Antichrist et (un peu) Melancholia, suscitera le rejet chez de nombreux spectateurs. Mais on espère avoir, à notre humble niveau, contribué à ouvrir les regards sur la profondeur de l’oeuvre et les différentes lectures qu’elle autorise.

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On attend désormais le second volume puis la version director’s cut avec impatience, afin de se forger une opinion définitive de l’oeuvre. Mais nous sommes d’ores et déjà persuadés que Nymph()maniac est une oeuvre brillante.
Déjà grâce à ses performances d’acteur, de Charlotte Gainsbourg à la jeune Stacy Martin, impressionnante, de Stellan Skarsgaard à Christian Slater, en passant par Uma Thurman. Même l’agaçant Shia LaBeouf est, pour une fois, impeccable.
Ensuite et surtout parce que c’est une de ces oeuvres qui vous hantent longtemps après la projection, et dont chaque visionnage permet d’en saisir la richesse.
Un grand film. Un film-somme, qui lance de manière fracassante l’année cinématographique 2014.

 

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Nymphomaniac Nymph()maniac
Nymph()maniac

Réalisateur : Lars Von Trier
Avec : Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Stacy Martin, Shia LaBeouf, Uma Thurman, Christian Slater
Origine : Danemark, Allemagne, France, Belgique
Genre : puzzle psychanalytique et érotique
Durée : 1h58
Date de sortie France : 01/01/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Télérama (Critique contre)

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1 COMMENT

  1. Antoine,
    WOW mon dieu, ta critique est plus qu’une critique. C’est une analyse personnelle, singulière et merveilleusement bien écrite et menée avec justesse. J’ai l’impression que le cinéma de L V Trier te touche, te parle, t’interroge alors pourquoi ne te lancerais-tu pas dans un dossier sur le cinéaste ?
    En tous cas, tes détails et tes réflexions ici sont passionnantes et fascinantes, alors je ne peux que te dire une chose : BRAVO.
    Tes écrits méritent sincèrement d’être connus et reconnus,
    M.

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