On peut aimer Jeanne Balibar actrice, dans les films d’Arnaud Desplechin, d’Ilan Duran Cohen, de Laurence Ferreira Barbossa et tous les autres, où elle promène sa silhouette atypique et use de son jeu élégant, sous lequel perce une pointe de fantaisie…
On peut aussi l’aimer en tant que chanteuse, la jeune femme ayant un joli brin de voix qui lui permet de s’illustrer aussi bien dans la variété que dans l’art lyrique classique…
Mais même si on apprécie Jeanne Balibar pour toutes ces qualités, il faudra en être particulièrement fan pour réussir à supporter Ne change rien, le documentaire que le cinéaste portugais Pedro Costa lui a consacré, suivant la préparation conjointe de son album (1) et d’un spectacle inspiré de La Périchole d’Offenbach (2).
Le film n’est rien d’autre qu’une succession de loooooooongs plans fixes, dans un noir & blanc très obscur, où l’on distingue plus qu’on ne voit Jeanne Balibar faire ses vocalises et répéter ses chansons jusqu’à obtention de la tonalité voulue, de l’accord parfait,…
Bon, il n’est évidemment pas inintéressant de voir un processus artistique à l’oeuvre, de constater la précision que demande chaque morceau, de voir ce que l’interprète apporte au texte des chansons et à la musicalité de l’ensemble. Bref, comment l’artiste exigeant travaille les moindres détails, imperceptible à l’oeil nu/ l’oreille nue, mais qui ont un impact décisif sur la qualité de l’oeuvre.
Pedro Costa est lui aussi un artiste exigeant. Un cinéaste exigeant qui pratique une forme assez radicale de mise en scène, étirant la durée des plans au maximum pour tenter d’en extraire quelque chose. C’était sa méthode dans ses films précédents, de Dans la chambre de Vanda à En avant jeunesse. Ca l’est encore dans ce documentaire, où il se contente de poser sa caméra et d’attendre que Jeanne Balibar et son compositeur/arrangeur Rodolphe Burger parviennent au résultat qu’ils souhaitaient obtenir, captant sur les visages les tensions, les efforts, la fatigue puis la satisfaction de la création achevée.
Pourquoi pas, mais l’idée a déjà été maintes et maintes fois utilisée par d’autres – par exemple, par Wim Wenders dans Buena Vista Social Club, en plus rythmé, ou par Pascale Ferran dans 4 jours à Ocoee… Alors l’intérêt d’un tel film, qui n’apporte aucun point de vue novateur ou personnel, est loin d’être évident, à moins comme précisé plus haut, d’être un amateur inconditionnel de Jeanne Balibar…
Bon, soyons francs, la mise en scène très épurée de Pedro Costa et ses partis-pris esthétiques confèrent globalement à Ne change rien une beauté envoûtante, hypnotisante.Mais la forme épurée à l’extrême, l’ambiance nocturne intimiste et la répétition en boucle des mêmes phrases musicales – pas spécialement rock’n roll – finit par avoir des propriétés hautement lénifiantes.
Si on n’aime ni le style de musique, ni la voix de Balibar, c’est l’agacement assuré au bout de dix minutes chrono. Si on les tolère ou on les aime, on peut tenir jusqu’à une trentaine de minutes, voire trois quarts d’heures. Guère plus… Après, le film devient vite répétitif et ennuyeux et ne laisse que deux options : lutter contre le sommeil ou de s’y abandonner…
On conseillerait plutôt la seconde solution, car le film dure quand même 1h45, et c’est looooong quand on s’ennuie.
Le sujet n’a rien de passionnant, la mise en scène semble paresseuse et n’a rien d’excitant. En tant qu’objet cinématographique, Ne change rien n’a donc que très peu d’intérêt. Alors que comme somnifère, il est au contraire d’une efficacité redoutable… Voilà un film à conseiller d’urgence aux insomniaques désireux de trouver enfin le sommeil…
Pour les autres cinéphiles, il faudra peut-être attendre le prochain film du cinéaste portugais, en espérant qu’il n’ait pas pris au pied de la lettre le titre de son long-métrage et qu’il ait décidé de redynamiser son style, un peu lassant à la longue…
(2) : « L’Histoire vraie de La Périchole » opéra de Jacques Offenbach, mis en scène par Julie Brochen, créé au Théâtre de l’Aquarium en 2006.
Réalisateur : Pedro Costa
Avec : Jeanne Balibar, Rodolphe Burger
Origine : Portugal, France
Genre : berceuse pour cinéphiles insomniaques
Durée : 1h45
Date de sortie France : 27/01/2010
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : àVoir àLire
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