Mother commence par une séquence étonnante : une femme d’une soixantaine d’années marche au milieu d’un champ, l’air perdu, puis se met à danser, comme pour évacuer son mal-être, pour faire disparaître sa peine.
Elle est le personnage principal du nouveau film de Bong Joon-Ho, une mère dont le fils handicapé mental se trouve accusé du meurtre d’une jeune lycéenne, dans une petite ville de province en Corée du Sud.
Toutes les évidences sont contre le jeune homme. La nuit du crime, des témoins l’ont vu sortir du bar où il avait passé la soirée, ivre et passablement lubrique, suivre la victime, et on a retrouvé sur le lieu du crime un objet lui appartenant. Pendant sa garde à vue, Do-Joon signe des aveux et la police classe l’affaire.
Mais sa mère reste persuadée qu’il n’a pas pu commettre un tel acte. Il était le coupable idéal, grand dadais un peu simplet, soumis à des troubles de l’attention et de la mémoire, et très facilement manipulable, comme l’a montré une autre affaire. Elle tente de discuter avec les policiers, engage, malgré ses faibles ressources, un grand avocat spécialisé dans les affaires criminelles, rien n’y fait… Alors, pour faire sortir Do-Joon de prison, elle n’a d’autre solution que de mener l’enquête elle-même, et de retrouver le véritable assassin.
Les investigations vont l’amener à découvrir la vérité sur l’affaire, mais aussi à découvrir le monde qui l’entoure et que, toute dévouée à l’éducation de son fils, elle ne voyait pas, et enfin, à se découvrir elle-même.
Avec ce crime, c’est toute son existence qui vacille.
Elle se retrouve séparée de ce fils qu’elle couvait un peu trop, s’inquiétant du moindre de ses faits et gestes au détriment de son propre bien-être, doit faire face à l’hostilité des proches de la victime qui eux, jugent au contraire qu’elle a totalement raté l’éducation de Do-Joon, ou qu’elle a engendré un monstre. Elle doit abandonner toute dignité pour obtenir un peu d’attention de la part des policiers, des avocats, des juges ou de l’unique ami de son fils, un voyou peu scrupuleux. Puis affronter aussi l’attitude hostile de son propre fils, dont elle essaie d’extirper quelques souvenirs utiles, mais qui ne parvient à faire émerger que quelques vieilles rancoeurs et un passé douloureux. Et enfin à se dépouiller progressivement de sa raison et de son sens moral, en s’abandonnant à des instincts primaux dont elle ne soupçonnait pas l’existence.
La transformation de cette femme, cette mère courage est éprouvante, douloureuse. Mais cela était peut-être nécessaire pour défaire le lien trop fusionnel qui l’attachait à son fils. Il fallait cela pour qu’elle se libère de ce fardeau et pense enfin à vivre par et pour elle-même.
C’est ainsi que l’on peut interpréter la fin du film, qui fait écho à la séquence inaugurale. A moins qu’on ne l’aborde par le versant pessimiste et qu’on la considère comme la métaphore d’un suicide libérateur… Ou qu’on ne décide de croire à ce point d’acupuncture miracle qui permet d’oublier toutes ses peines, toutes ses mauvaises actions, le thème de la mémoire étant un des thèmes principaux du film, et de l’œuvre du cinéaste.
Pour incarner ce personnage fort, il fallait une actrice à la fois touchante et froide, vulnérable et inquiétante. Bong Joon-Ho l’a trouvée en la personne de Kim Hye-Ja, qui livre ici une performance vertigineuse.
La comédienne, connue en Corée pour ses rôles de mères-modèles et vertueuses, ne manque pas l’occasion de se jouer de cette image, en explorant le versant obscur de la maternité. D’icône de la bienveillance maternelle, elle devient emblématique du lien viscéral, quasi-inaltérable et parfois déchirant, qui unit une mère à son enfant.
Elle fait plus qu’incarner un personnage, elle devient symbolique de toutes les mères, relevant ainsi ce qui était sans aucun doute l’un des défis d’un scénario, qui justement veille bien à ne jamais nommer le personnage, juste caractérisé par son statut de « mère ».
En s’appuyant simplement sur cette performance d’actrice, Mother aurait déjà été un bon film. Mais le cinéaste ne se contente pas de cela.
Comme à son habitude, Bong Joon-Ho marie une histoire intimiste à une trame de film de genre, ici un thriller mâtiné de comédie noire, joue sur les ruptures de tons, mélange les ambiances avec une science de la narration qui émerveille de film en film. Le cinéaste coréen fait preuve de beaucoup de talent dans la composition de ses plans, tous empreints d’une certaine poésie, et d’intelligence dans son propos, qui part toujours d’une histoire simple pour se transformer en réflexion plus universelle et en critique sociale décapante.
C’était le cas dans Memories of murder et The host, un polar et un « film de monstres » qui débouchaient respectivement sur une critique de la Corée des années 1980, alors en pleine dictature, et sur la société contemporaine, subissant l’influence de la culture occidentale.
C’est encore le cas dans Mother, dont l’intrigue permet de fustiger l’attitude laxiste de la police, la vénalité des avocats, la corruptibilité des juges, la dépravation de la jeunesse… Avec au centre des problèmes, l’argent, qui crée un véritable fossé entre les classes sociales, mettant les puissants à l’abri et contraignant les plus pauvres à lutter pour leur survie, quitte à s’entredéchirer les uns les autres…
A la fois beau portrait de femme et fine critique sociale, Mother est un très bon film qui confirme, s’il en était besoin, le talent singulier de Bong Joon-Ho. On attend maintenant avec impatience l’adaptation de la bande-dessinée d’anticipation « Le Transperceneige » qu’il est en train de finaliser…
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Réalisateur : Bong Joon-Ho
Avec : Kim Hye-Ja, Won Bin, Jin Ku, Je Mun
Origine : Corée du Sud
Genre : thriller social, portrait de femme
Durée : 2h10
Date de sortie France : 27/01/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Studio Ciné Live
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