Alors comme ça, vous n’avez pas peur des monstres qui sont tapis sous votre lit… Et vous ne craignez pas non plus ceux qui attendent la nuit pour sortir de vos armoires… Mouais, attendez un peu de rencontrer Mister Babadook, et alors vous changerez probablement d’avis…
Tenez, prenez l’exemple d’Amelia (Essie Davis). Cette quadragénaire, aide-soignante dans une maison de retraite et maman dévouée, n’est pas du genre à avoir peur du noir ou à se laisser impressionner par des contes à dormir debout. Et pourtant, elle sera vite prise de terreur quand elle sera confrontée au maléfique Babadook qui hante sa maison.
Bon d’accord, on triche un peu, là. Il faut bien reconnaître qu’Amelia est un peu fragile psychologiquement. Elle ne s’est jamais vraiment remise de la disparition de son mari, décédé dans un accident de la route alors qu’il l’accompagnait à la maternité, et elle s’use à essayer d’éduquer son fils, Samuel, un garçon de six ans particulièrement agité. Cependant, la découverte de la présence du Babadook va s’avérer particulièrement traumatisante pour elle et pour son fils.
C’est ce dernier qui est confronté en premier au terrible monstre. Il découvre par hasard, dans sa bibliothèque, un livre pour enfants intitulé “Mister Babadook” et demande à sa maman de lui raconter l’histoire avant de se coucher. Mauvaise idée… Le livre en question, que la mère ne se souvient pas avoir acheté, est une histoire absolument cauchemardesque. Il parle d’une créature monstrueuse qui terrorise les enfants à la nuit tombée. Une ombre noire gigantesque, qui semble porter un haut-de-forme et une redingote, et possède de longues griffes. Maman a beau refermer tout de suite le livre et rassurer le gamin, le mal est fait. Samuel est traumatisé par cette histoire et est persuadé que le monstre va s’attaquer prochainement à sa famille. Son comportement est alors de plus en plus violent et imprévisible, à tel point que l’école ou sa tante, la soeur d’Amelia, refusent désormais de s’occuper de lui tant qu’il n’a pas vu un pédopsychiatre…
Amelia doit donc gérer seule les angoisses nocturnes de son enfant, et cela finit aussi par la mettre à bout de nerfs. Mais le cauchemar ne fait que commencer, car Amelia se met elle aussi à voir la sombre silhouette du Babadook dans sa maison, et aussi à entendre son cri effrayant “Babadook, dook, dook…”. De quoi se poser de sérieuses questions… Et si le monstre existait vraiment? Et s’il était là pour contrôler son corps, et, par son intermédiaire, faire du mal à son fils?
Ah, là, vous faites moins les malins, hein… Et vous serez encore plus traumatisés quand vous aurez découvert Mister Babadook, le premier long-métrage de l’australienne Jennifer Kent. Une variation sur le thème de la maison hantée, très subtilement réalisée.
La cinéaste maîtrise totalement les codes de ce genre de film. Elle soigne l’atmosphère, pesante à souhait, joue sur les peurs primales enfantines (peur du noir, du monstre tapi dans l’ombre, du parricide…) et orchestre quelques belles montées de tension, ponctuées d’effets visuels bien flippants.
Mais la grande force du récit, c’est de laisser planer constamment le doute sur l’existence du monstre, en restant centré exclusivement sur la mère et son fils. Certes, on voit des ombres effrayantes se mouvoir le long des murs de leur maison, et on entend les bruits signalant la présence hostile du monstre, mais puisque les personnages principaux, à bout de nerfs, sont susceptibles de faire des cauchemars et d’avoir des hallucinations, on peut très bien penser que tout cela n’est que le fruit de l’imagination perturbée d’Amelia et Samuel.
Dans l’idée, on est assez proche de films comme Les Innocents de Jack Clayton, La Maison du Diable de Robert Wise ou Le Cercle infernal de Richard Loncraine, qui jouaient sur cette ambigüité, offrant au spectateur le droit d’opter pour l’explication qui lui convient le mieux.
Présence démoniaque avérée? Hallucination collective initiée par le petit garçon? Par sa mère, soudain tentée par l’infanticide? A vous de trancher…
Mais quelque soit l’option choisie, une chose est certaine : l’enjeu de cette histoire est ailleurs. Les personnages doivent à tout prix se débarrasser d’un autre fantôme – réel ou symbolique, au choix –, celui du père de famille défunt. Un spectre du passé qui leur empoisonne l’existence depuis six ans, altérant la relation mère-fils et les empêchant d’aller de l’avant et de vivre une vie ordinaire.
La perte de son mari et la naissance de son fils étant survenus le même jour, Amelia a du mal à faire la part des choses. Inconsciemment, elle rend le petit garçon responsable de la tragédie. Cela l’empêche de l’aimer pleinement et de lui apporter toute l’attention qu’il exige.
Samuel ressent tout cela et en souffre. Il est écrasé par l’ombre que le père défunt fait régner sur la maison. Amelia conserve soigneusement toutes ses affaires au sous-sol (dont un ensemble de vêtements qui ressemble étrangement à la silhouette de Mister Babadook, tiens tiens…) et manque de défaillir à chaque fois que quelqu’un évoque le tragique accident dont son conjoint a été victime. Sans qu’il s’en rendent compte, tout tourne toujours autour de l’absent.
C’est d’ailleurs au moment où l’héroïne commence à envisager de combler le vide, en sympathisant avec un de ses collègues de travail, qu’apparaît le Babadook… Est-ce vraiment un hasard? On peut voir le monstre comme la manifestation d’un sentiment de culpabilité à l’idée d’être infidèle à son mari, ou comme une façon de rester aliénée au passé de manière permanente.
Cet environnement psychologique extrêmement soigné, porté par des comédiens formidables (Essie Davis et le jeune Noah Wiseman), hisse Mister Babadook bien au-delà de la banale histoire de fantômes et de maison hantée qui semblait se dessiner.
Le thème n’est pas follement original, mais la cinéaste parvient à maintenir son cap jusqu’au bout, sans jamais céder à des facilités d’écriture et sans avoir recours à des déluges d’effets horrifiques. Et elle parvient à imposer une patte singulière, en faisant preuve, notamment, d’un talent certain pour créer un climat angoissant et malsain.
Pour une première réalisation, le résultat est donc plus que probant. Les différents jurys du Festival de Gerardmer 2014 ne s’y sont pas trompés, puisque Mister Babadook a été auréolé de quatre trophées (prix du Jury, Prix du Public, Prix de la Critique et Prix du Jury Jeunes).
Si vous êtes amateur de cinéma fantastique, vous pouvez vous précipiter au cinéma pour découvrir cette oeuvre qui vous réjouira, sans l’ombre d’un doute, et vous hantera pendant quelques temps. Car, comme précisé sur l’affiche: “un mot, un regard ne suffiront pas. Le Babadook jamais ne partira ”.
Babadook, dook, doooooook…
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Mister Babadook The Babadook Réalisatrice : Jennifer Kent Avec : Essie Davis, Noah Wiseman, Daniel Henshall, Hayley McElhinney, Barbara West, Ben Winspear Genre : film fantastique intelligent Origine : Australie Durée : 1h34 Date de sortie France : 30/07/2014 Note : ●●●●●○ Contrepoint critique : Télérama |
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