A l’heure où tout le monde tape – à juste titre – sur le Président Sarkozy, on peut au moins mettre à son crédit la mise en place du dispositif qui permet aux producteurs étrangers désireux de tourner en France de bénéficier d’un abattement fiscal. Un dispositif qui a notamment permis à des auteurs tels que Clint Eastwood ou Martin Scorsese de poser leurs caméras dans l’hexagone.
Woody Allen aussi a enfin franchi le pas. On connaissait depuis longtemps l’affection du cinéaste new-yorkais pour notre pays et pour sa capitale (affection réciproque puisque tous ses films ont mieux marché en France que dans son pays d’origine) et on savait qu’il souhaitait venir y tourner un long-métrage. Cependant tous ses projets s’étaient jusque-là heurtés aux coûts de tournage élevés et à une fiscalité peu avantageuse. Woody Allen avait dû se rabattre sur des villes telles que Londres ou Barcelone, avec la réussite que l’on connaît.
Mais cette fois, c’est la bonne. Woody Allen a réalisé un film à Paris… Bon d’accord, au passage, il a été obligé d’embaucher la première dind… euh… dame de France. Mais dans un second rôle, ce qui est un moindre mal… Et pour un temps de présence à l’écran très restreint.
C’est le cas, d’ailleurs, pour les autres acteurs français de ce Minuit à Paris, exception faite de Marion Cotillard, qui héritent tous de rôles minuscules : Gad Elmaleh, Atmen Kelif, Guillaume Gouix, Catherine Benguigui…
Et heureusement, car disons-le tout de suite, si on n’avait qu’un reproche à faire au film, ce serait l’abondance de ces caméos un rien agaçants, tant les acteurs, trop contents d’avoir glané une apparition chez le maître new-yorkais, ont tendance à en faire un peu trop…
De toute façon, l’important, ici, c’est assurément le personnage principal, Gil. Une figure typiquement allenienne d’intello rêveur sensible à la beauté des choses et à l’art, mais incapable d’avoir du recul sur sa propre existence et sa vie sentimentale. Il y a quelques années, Woody Allen aurait joué lui-même le rôle, mais, désormais trop vieux pour incarner un jeune homme idéaliste, il s’est choisi un nouvel alter-ego en la personne d’Owen Wilson, sobre et aussi convaincant que chez Wes Anderson.
Gil est un scénariste hollywoodien à succès, mais il ne se satisfait pas de ce statut péjoratif. Il a une conception un peu plus noble de l’art de l’écriture et entend bien s’essayer à la rédaction d’un roman.
Il est venu passer quelques jours à Paris pour y trouver l’inspiration, à l’instar de ses idoles, Ernest Hemingway ou Francis Scott Fitzgerald… Il entend bien se laisser porter par la douceur de vie parisienne, se perdre dans les ruelles chargées d’histoire, d’art et de culture…
Mais il doit composer avec sa fiancée, Inez (Rachel McAdams), une fille jolie, mais froide et un peu snob, qui aurait probablement préféré passer ces quelques jours de vacances au soleil. Ainsi que les parents de celle-ci, des beaufs américains dans toute leur splendeur, ultra-conservateurs et prompts à critiquer tout ce qui n’appartient pas à leur sphère culturelle ou leur milieu social… Pas simple à gérer.
Et le séjour tourne au cauchemar quand apparaît subitement un vieil ami – ou vieil amant – de sa dulcinée, Paul (Michael Sheen) qui s’incruste, leur dicte leur programme de visites et les accompagne de son infâme pédanterie, sous le regard bienveillant d’Inez…
Gil cherche par tous les moyens à échapper à cette encombrante compagnie.
Sa grande chance, c’est qu’il aime bien marcher dans les rues de Paris, même – et surtout – sous la pluie. Et que ses compagnons de voyage, qui trouvent cette lubie aberrante, ne le suivent pas dans ces balades parisiennes.
Après une dégustation massive de grands vins, un peu ivre et peu enclin à continuer la soirée en boîte de nuit, il décide de rentrer à pied et se perd dans les rues de la ville lumière. Quand sonne minuit, une voiture vient le chercher et l’emmener dans une faille spatiotemporelle et le Paris des années folles.
Eh oui, pour sa première escapade française, Woody Allen renoue avec le merveilleux, le fantastique et la magie. Des genres qu’il a exploité avec bonheur par le passé. On se souvient du héros de La Rose pourpre du Caire, ce spectateur qui traversait l’écran pour pénétrer à l’intérieur du film, ou d’Alice et ses fugues oniriques…
Gil réalise lui aussi son plus grand fantasme. Evoluer dans ce qu’il considère comme l’âge d’or de la création artistique, dans tous les domaines.
Interloqué, il tombe nez à nez avec Francis Scott Fitzgerald et son épouse Zelda, discute de son roman avec un Ernest Hemingway déjà bien imbibé, puis le confie aux bons soins de Gertrud Stein, la grand prêtresse de l’édition de l’époque. Il croise Cole Porter ou Joséphine Baker, sympathise avec Salvador Dali (génial Adrien Brody…) et Luis Bunuel, à qui il inspire au passage, de façon très savoureuse, les trames de Un Chien andalou et de L’Ange exterminateur. Et il rencontre également le bouillonnant Pablo Picasso et surtout son égérie de l’époque, Adrianna (Marion Cotillard).
Il tombe instantanément sous le charme de la jeune femme. Elle est douce, calme, romantique et cultivée, et ouverte à l’aventure. Tout le contraire de la fiancée de Gil, mégère castratrice un peu snob et ne rêvant que d’une vie petit-bourgeois étriquée…
Mais l’amour entre Adrianna et Gil est-il possible? Lui a trouvé son idéal – amoureux et temporel – c’est certain… Et elle? Ne rêve-t-elle pas elle aussi d’un âge d’or, mais différent du sien, d’un autre temps, d’un autre type d’amants ?
La morale de cette histoire, c’est qu’il ne fait pas forcément bon s’enfermer dans le fantasme et l’illusion, que ce soit l’illusion d’un passé plus reluisant, pour Gil, ou celle d’un bonheur conjugal parfait, calibré, plannifié, décidé d’avance, pour Inez. Il vaut mieux vivre sa vie pleinement, selon son bon vouloir, profiter du temps présent et saisir chaque opportunité de trouver le bonheur…
D’ailleurs, cette histoire de fantasmes est le nerf du film, et permet de mieux appréhender certaines choses…
Par exemple, le choix de faire défiler, en introduction au récit, des instantanés de Paris, ses monuments, ses lieux les plus charmants. Certains n’ont pas manqué de critiquer cette façon de filmer la ville à la manière d’un guide touristique, avec les habituels clichés américains sur la capitale française – à l’exception du béret-baguette.
Justement, ils n’ont rien compris. Oui, Woody Allen montre Paris avec le regard d’un américain sous le charme de la ville. Le même que porte son personnage sur Paris… Et le même que portaient les deux américaines de Vicky Cristina Barcelona sur la cité catalane.
Dans les deux cas, il s’agit de versions fantasmées de ces villes, pour des films qui traitent tous deux des fantasmes et de leur assouvissement – ou non. Dans le cas de Vicky Cristina Barcelona, il explorait les fantasmes érotiques des deux héroïnes et filmait Barcelone comme une ville torride, bouillonnante, débordant de sensualité, de couleurs et de lumières. Ici, il filme Paris sous la pluie, de façon romantique. Il montre une ville chargée d’histoire et de culture. C’est un fantasme beaucoup plus spirituel et intellectuel. Mais un fantasme quand même…
Qu’on ne se fie pas à l’atmosphère insouciante, légère et optimiste qui se dégage du film de prime abord, Minuit à Paris possède bien les qualités des meilleurs Woody Allen : le charme, l’humour, le regard sans concession sur les relations humaines, et une belle pointe d’amertume pour relever l’ensemble.
Ah, et bien sûr, inutile de préciser que chaque plan est d’une élégance folle, avec un gros travail sur certains plans conçus comme des toiles de Maîtres français, que le rythme est comme toujours parfait, que la musique jazzy colle à merveille aux images et que les répliques sont parfaitement ciselées, du caviar pour les acteurs.
Du Woody Allen, quoi…
Evidemment, on peut préférer l’ambiguïté de Match point ou la perfection de Manhattan, mais ce cru parisien, raillé à l’avance par beaucoup – et pas seulement à cause de la présence de Carla S. – est une réussite.
On en redemande…
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Minuit à Paris
Midnight in Paris
Réalisateur : Woody Allen
Avec : Owen Wilson, Rachel McAdams, Michael Sheen, Marion Cotillard, Kathy Bates, Carla Bruni-Sarkozy, Adrien Brody, Léa Seydoux
Origine : Etats-Unis
Genre : Woody Allen cru 2011
Durée : 1h34
Date de sortie France : 11/05/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Critikat
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