Chalut à tous,
Certains de nos lecteurs canins s’inquiètent de l’absence notable de chiens dans les films de la compétition officielle. Et, en me lisant faire l’éloge d’un de mes congénères félins dans ma critique de Inside Llewyn Davis, ils commencent à s’inquiéter de voir leur précieuse Palme Dog, qui récompense le meilleur cabot du festival, décerné à un chat.
Hé, hé, j’avoue que l’idée ne serait pas pour me déplaire. Mais mes petits toutous, rassurez-vous, il y aura bien un de vos copains aboyeurs au palmarès.
Les performances canines sont rares cette année, mais il y en a quand même. Les deux lévriers infernaux de Borgman et le doberman abattu froidement dans Heli, par exemple. Ou, le caniche aveugle de Ma vie avec Liberace, qui pourrait, pourquoi pas, accompagner ses deux partenaires humains, Michael Douglas et Matt Damon, au palmarès du festival de Cannes 2013.
Ce casting, c’est l’un des points forts du nouveau film de Steven Soderbergh, qui s’intéresse aux dernières années de la vie du pianiste déjanté Walter “Lee” Liberace (Michael Douglas) et à sa relation amoureuse avec son chauffeur/secrétaire/ petit protégé, Scott Thorson (Matt Damon).
Pour ceux qui ne connaissent pas, Liberace est un musicien qui s’est fait connaître, dans les années 1940/1950, grâce à un style virtuose, reprenant à la sauce boogie-woogie des morceaux de musique classique ou des tubes à la mode, mais aussi et surtout grâce à des tenues excentriques. Son public? Essentiellement des ménagères, des mères de famille, et des grands-mères en manque de sensations fortes, séduites par cet homme charmeur et beau parleur, version kitsch du gendre idéal.
Elles ignoraient, alors, que leur idole était gay, et pas qu’un peu. Mais le musicien a toujours soutenu le contraire, attaquant en diffamation tous les journalistes qui prétendaient le contraire. Le secret a perduré jusqu’à sa mort, en 1987, quand il a été révélé que, contrairement à la version officielle – un régime à base de pastèque qui a mal tourné, n’importe nawak – l’homme était décédé des suites du SIDA considéré, à l’époque, comme une maladie purement homosexuelle.
Le livre de Scott Thorson, sorti un an après son décès, a fini de faire tomber le masque en dévoilant plusieurs détails de la relation de couple qui le liait à Liberace.
C’est ce livre qui a servi de base de travail à Steven Soderbergh, centré autour du personnage de Thorson.
Le jeune homme rencontre Liberace en 1977, par l’intermédiaire d’une connaissance commune. Entre les deux, c’est le coup de foudre. Le pianiste vire illico son ancien amant et secrétaire particulier et propose à Thorson de prendre sa place. C’est le début d’une relation de couple à la fois ordinaire, banale, avec ses hauts et ses bas, et extraordinaire, de par son cadre – une villa bling-bling saturée d’objets kitsch – et la personnalité atypique du musicien.
Ce qui semble avoir intéressé Steven Soderbergh, ici, c’est le décalage entre l’image publique du personnage – le showman de ces dames – et sa vie privée – l’amant fougueux de ces messieurs, mais aussi et surtout le côté ambigu de la relation entre Thorson et Liberace. Bien sûr, à la base de ce couple, il y a du désir, une attirance sexuelle. mais pas seulement. C’est aussi une relation amicale, chacun pouvant se confier à l’autre, une relation fraternelle et même une relation père-fils. Thorson voyait en Liberace une figure paternelle de substitution et Liberace voyait en Thorson le fils qu’il ne pourrait jamais avoir.
Le moment-clé est d’ailleurs celui où le musicien demande à son amant de subir une opération de chirurgie esthétique pour qu’il puisse lui ressembler, et que le jeune homme accepte. C’est à la fois le point culminant de leur relation, Thorson s’abandonnant totalement à son conjoint au point de perdre son identité et son visage, et le début de la fin. D’une part parce que cela traduit la folie de Liberace, sa mégalomanie, son narcissisme débordant. D’autre part car cela introduit un côté incestueux forcément toxique à leur relation amoureuse.
C’est cet aspect du film qui est le plus troublant, le plus intéressant, et qui justifie la place de l’oeuvre en compétition à Cannes. Car pour le reste, il s’agit d’une biographie assez classique, tant au niveau du découpage scénaristique que de la mise en scène, mais portée par des acteurs aux top.
Michael Douglas livre une performance impressionnante dans la peau de Liberace. Il est tour à tour charmeur et charismatique, puis inquiétant et dur quand il s’enferme dans son égocentrisme, et enfin bouleversant quand il accepte sa décrépitude physique, liée à l’âge et à la maladie pianiste. Son retour au premier plan pourrait bien lui valoir un prix d’interprétation masculine.
Son partenaire à l’écran, Matt Damon, est lui aussi impeccable, comme souvent sous la direction de Soderbergh. Avec une économie de mots et de gestes, il trouve immédiatement la bonne façon de jouer le personnage, loin des clichés qui caractérisent les personnages homosexuels dans le cinéma US.
Citons aussi les apparitions de Dan Aykroyd, qui incarne l’agent de Liberace, et de Rob Lowe, dans la peau du controversé chirurgien des stars Jack Startz.
Et le caniche aveugle dans tout ça? Eh bien lui aussi est très bon, dans une performance hautement lacrymale – il a les yeux qui coulent. C’est lui qui scelle la liaison entre les deux hommes. En voyant le pauvre animal, lors de sa première visite chez Liberace, Thorson, alors assistant vétérinaire, propose de lui apporter un collyre pour soulager son problème aux yeux. Un petit geste qui va l’introduire dans le cercle d’intimes du pianist. Alors hop, une potentielle palme dog pour ce Ray Charles canin?
Plein de ronrons depuis la Croisette,
Scaramouche
Notre note : ●●●●○○