Lorsque Ryan Gosling est venu à Cannes présenter Lost River, son premier long-métrage en tant que réalisateur, on a frôlé l’émeute. De nombreuses jeunes spectatrices hystériques étaient prêtes à se damner pour entrer dans la salle , tandis qu’une cohorte de festivaliers pas encore remis de Drive attendaient tout aussi fébrilement de rencontrer leur idole en chair et en cure-dent. L’ambiance était électrique. Du moins, avant la projection. Parce qu’après, ce fut une autre paire de manches… Non pas que Lost River soit un navet, loin de là. Mais c’est un film qui est tout sauf facile d’accès, les choix narratifs et les partis-pris esthétiques de Ryan Gosling risquant fort de dérouter le grand public.
Déjà, il y a de quoi être surpris par le sujet central du film. Lost River traite en effet de l’Amérique d’aujourd’hui, sinistrée par la crise des prêts hypothécaires et le manque de perspectives d’avenir dans des régions qui furent jadis le fleuron de l’industrie américaine. Pas vraiment le thème le plus drôle ou le plus glamour… Mais Ryan Gosling assume pleinement son choix. Pour lui, un film ne doit pas être qu’un bel objet creux. il faut du fond, du sens.
Le récit se déroule dans une ville en train de disparaître. Beaucoup d’habitants ont déjà été expulsés ou sont partis d’eux-mêmes. Les rues sont quasi-désertes, des bâtiments tombent en ruine. Dans ce chaos, Billy (Christina Hendricks), une mère célibataire qui vit avec ses deux fils, essaie vaille que vaille de conserver sa maison et de faire vivre les siens, malgré l’insécurité grandissante, malgré le manque d’emplois, malgré les pressions des banquiers véreux… Pour s’accrocher au seul bien qu’elle possède encore, elle va devoir accepter un job dans le seul endroit qui en propose encore, un lieu de vice et de perdition…
La deuxième surprise du film vient de son traitement narratif atypique. Sur une telle trame dramatique, on aurait pu s’attendre à une chronique sociale brute et sèche, dans la lignée de cinéastes comme Ken Loach, Mike Leigh ou les frères Dardenne. Mais les “cinéastes de chevet” de Ryan Gosling sont tout autres. Il s’agit de Nicolas Winding Refn, David Lynch, Alejandro Jodorowsky ou les maîtres du cinéma fantastique italien, de Bava à Argento. Alors, la “simple” chronique sociale se transforme en oeuvre étrange, entre mélodrame, film noir et conte fantastique cauchemardesque, truffé d’images insolites, de lieux inquiétants et de personnages fous. Les esprits purement cartésiens trouveront sans doute cela insupportable. Les autres se laisseront sans peine hypnotiser par ce curieux mélange de genres.
Mais là encore, le film va diviser. Certains vont sûrement faire la fine bouche et reprocher au jeune cinéaste de faire du sous-Winding Refn, du sous-Lynch,… Ils n’ont pas tout à fait tort, car Ryan Gosling ne possède pas encore le génie des quelques figures tutélaires dont il s’inspire. En même temps, ils n’ont pas tout à fait raison puisque le vrai défaut de Lost River, ce n’est pas son manque d’ampleur mais, au contraire, son côté “trop plein”. Trop plein d’influences. Trop plein d’images fortes. Trop plein de vieilles chansons pour illustrer le film… La forme finit par étouffer un peu le fond. Le déluge de visions cauchemardesque, d’abord impressionnant, finit par lasser et nous empêcher d’éprouver de l’empathie pour les personnages.
Mais rappelons qu’il ne s’agit que d’un premier film. Il faut appréhender comme tel, avec ses défauts de jeunesse et ses belles promesses, car il ne fait nul doute que Ryan Gosling possède une sacrée marge de progression.
Même si on n’adhère pas totalement à Lost river, on ne peut qu’être admiratif de l’esthétique globale du film, de ses décors hors normes, de ses images léchées, de son environnement sonore impressionnant. Ce long-métrage contient plus de Cinéma, avec un grand C, que la plupart des premiers films réalisés l’an passé. Il est porté par une vision d’artiste singulière, un vent de fraîcheur dans un cinéma américain qui ne se renouvèle pas assez.
Et on ne peut que saluer les ambitions artistiques de Ryan Gosling. Vu son degré de notoriété, il aurait pu faire le choix de la facilité et signer un banal polar de série B dont il aurait pu jouer le premier rôle. Les producteurs l’auraient suivi aveuglément. Mais il a choisi de marcher sur les traces de cinéastes audacieux et avant-gardistes plutôt que sur celles de sombres tâcherons hollywoodiens. Il a pris le risque de s’aventurer sur ce terrain glissant, comme il a pris le risque de s’appuyer sur un casting hétéroclite, composé de stars du petit écran (Christina Hendricks, Iain de Caestecker, Matt Smith), d’acteurs confirmés (Eva Mendes, Saoirse Ronan, Reda Kateb, Ben Mendelsohn) et de vieilles gloires du 7ème Art (Barbara Steele).
On peut trouver le résultat déroutant, inabouti, décevant, comme on peut s’enthousiasmer devant ce premier film hypnotique. En tout cas, Ryan Gosling s’impose comme un jeune cinéaste à suivre attentivement et on a très hâte de découvrir son prochain long-métrage.
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Réalisateur : Ryan Gosling
Avec : Christina Hendricks, Iain De Caestecker, Saoirse Ronan, Reda Kateb, Ben Mendelsohn, Matt Smith, Barbara Steele
Origine : Etats-Unis
Genre : fable noire sous influence(s)
Durée : 1h35
date de sortie France : 08/04/2015
Note : ●●●●●