Quand on pense à Buenos Aires, on s’imagine une de ces villes d’Amérique du Sud au climat plus que clément, ensoleillé et sec. Mais en fait, non, pas toujours.
La capitale argentine a un climat subtropical humide, ce qui signifie que quand il pleut là-bas, ça ne fait pas semblant… Nuages noirs, averses diluviennes, grosses perles de pluie ruisselant sur des vitres embuées…
Un temps aussi maussade que l’humeur des deux personnages principaux de Lluvia, Alma et Roberto, deux âmes en peine qui vont se rencontrer fortuitement, un soir de pluie et d’embouteillage monstre, dans les rues de Buenos Aires.
Elle ne sait pas où elle va. Il ne sait pas, ou plus, d’où il vient… Ils sont tous deux à un moment charnière de leur existence, en plein doute ou en pleine réflexion sur leurs passés et leurs avenirs respectifs, leurs vies…
Alma vient de quitter le domicile conjugal. Elle se sent étrangère dans sa propre maison, son mari ne faisant pas attention à elle… En attendant d’avoir fait le point sur sa vie, elle erre dans les rues de la ville au volant de sa voiture, qui lui sert d’hébergement provisoire.
Roberto, lui, est de passage. Il vient d’Espagne où il est marié et heureux papa d’une petite fille. Mais il est né à Buenos-Aires, d’un père argentin qui a fait le choix de les abandonner, sa mère et lui, alors qu’il était encore un garçonnet…
S’il revient sur les lieux de sa petite enfance, c’est justement que ce père vient de mourir, et qu’il a été appelé pour s’occuper de la succession.
Ce brusque retour vers le passé, allié à la séparation forcée, pour quelques jours, d’avec sa femme et sa fille, rouvre de vieilles blessures mal cicatrisées, et le fait s’interroger sur son rôle de père de famille…
En l’espace de quelques jours, quelques brefs moments suspendus, ils vont apprendre à se connaitre, s’apprécier, se confier l’un à l’autre et, peut-être, s’aimer… Ils en sortiront en tout cas grandis, apaisés, enrichis de cet échange…
Le film ne repose “que” sur l’évolution de cette relation et la lente levée du voile de mystère enveloppant chacun de ces deux personnages, aussi secrets et taiseux l’un que l’autre. Des choses délicates, fragiles, immatérielles… Du coup, il ne se passe pas grand chose d’un point de vue purement narratif, le rythme du film s’en ressent parfois et il est à craindre que bon nombre de spectateurs jugeront le film de Paula Hernandez un peu ennuyeux, trop long et trop “froid”.
Mais, pour qui saura passer outre cette lenteur et se laisser porter par les émotions, Lluvia possède un charme certain.
Le rythme lancinant permet à la cinéaste de prendre son temps pour imposer une ambiance très particulière, très “aqueuse”. De très nombreux éléments du film font en effet référence à l’eau : outre cette pluie incessante qui s’abat, trois jours durant, sur la capitale argentine, l’eau est présente dans les larmes d’Alma ou l’oeil humide de Roberto, dans la mer au bord de laquelle les personnages vont déjeuner, un après-midi, ou au bord de la piscine de l’hôtel, petit havre de paix au coeur de la ville…
Roberto évoque fièrement sa capacité à réaliser de jolis bateaux en papier pour épater sa petite fille, Alma s’achète une flasque de whisky pour noyer ses doutes dans l’alcool, et on l’imagine volontiers jeter ensuite la bouteille à la mer, comme un appel au secours…
Mais l’eau n’est pas juste emblématique d’une certaine tristesse. C’est aussi l’élément de vie par excellence, constituant principal du liquide amniotique qui entoure le foetus qu’Alma porte en elle…
… ou pas…
On la voit acheter un test de grossesse au début du film, et plusieurs indices tendent à démontrer qu’elle est bien enceinte, mais le sujet ne sera jamais abordé frontalement dans le film, et, quand Alma finit par effectuer le test, on ne saura rien du résultat…
La cinéaste maintient le mystère, l’ambiguïté, jusqu’au bout, ce qui permet de considérer le film sous deux angles différents.
Alma a-t-elle quitté son conjoint parce qu’elle désirait ardemment un enfant et qu’il n’était pas sur la même longueur d’onde? Ou bien s’est-elle enfuie parce que c’est elle qui est effrayée par l’idée de devenir mère, de changer radicalement de vie ou au contraire de s’enfoncer encore plus dans une vie de couple aliénante ?
Les deux possibilités se valent, mais on serait très tenté d’opter pour cette seconde version, de voir le script comme l’histoire d’une femme qui apprend à devenir mère et d’un homme qui se redécouvre enfant.
Quoi qu’il en soit, l’intérêt du film repose sur cette confrontation de personnages aux parcours inverses. On devine qu’Alma et Roberto voient en l’autre ce qu’ils aimeraient être, ou ce qu’ils aimeraient avoir le courage d’être.
Elle l’envie d’éprouver tant de tendresse pour sa fille. Elle aimerait, selon le point de vue, être à sa place, ou être capable, comme les gens “normaux”, d’éprouver ce besoin de maternité…
De son côté, il envie sa liberté, le courage qu’elle a eu de tout plaquer, sans scrupules. Peut-être aimerait-il faire la même chose – le film laisse aussi planer le doute sur son bonheur conjugal/familial… Peut-être, au contraire, a-t-il peur d’être séduit par cette idée et ressembler à ce père à qui il n’a jamais pardonné…
En fait chacun trouve en l’autre des similitudes et des traits de caractère radicalement opposés. Ils s’attirent et se repoussent, se complètent bien ou s’annulent…
Oui, le film entier tient sur ces beaux personnages, plus subtils qu’ils n’y paraissent. Pour les incarner, la cinéaste a choisi deux acteurs attachants : Valeria Bertuccelli, déjà vue dans Extraño, XXY ou Telepolis, et Ernesto Alterio, remarqué dans La Méthode de Marcello Pineyro.
Leur belle entente à l’écran tire évidemment le film vers le haut, nous permettant immédiatement de croire à cette rencontre improbable et d’avoir envie d’en savoir plus sur leurs personnages.
Sans être un grand film, Lluvia s’avère une oeuvre touchante et intéressante de par son jeu d’acteurs et sa mise en scène…
On est heureux de voir que la cinéaste Paula Hernandez est toujours en activité, alors qu’on était sans nouvelles d’elle depuis la sortie de son premier film, Héritage, excellente comédie hélas passée inaperçue en France.
On est d’autant plus heureux que la jeune cinéaste n’a rien perdu de son style particulier, original et inspiré, et de sa façon de tordre le cou aux stéréotypes du cinéma hollywoodien…
Son film et elle viennent s’ajouter aux réussites récentes d’un cinéma argentin qui a décidément le vent en poupe cette année…
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Réalisateur : Paula Hernandez
Avec : Valeria Bertuccelli, Ernesto Alterio,
Matias Umpierrez, Osvaldo Djeredjian, Alejo Mango
Origine : Argentine
Genre : brève rencontre
Durée : 1h50
Date de sortie France : 21/07/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : In the mood for cinema
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