Pour la septième soirée de L’Etrange Festival cru 2010, on passe aux choses “sérieuses” avec la venue de l’invité vedette de cette 16ème édition : Tobe Hooper.
Est-il besoin de présenter le bonhomme, auteur de l’un des plus grands chefs-d’oeuvres du cinéma horrifique, Massacre à la tronçonneuse ? Un film-culte qui a traumatisé plus d’une génération, et dont l’interdiction dans de nombreux pays du globe, pendant de longues années, n’a fait qu’accentuer le mythe.
Evidemment, pour la venue de ce maître du genre, les organisateurs ne pouvaient pas ne pas passer ce long-métrage incontournable. Le choix d’une copie apparemment en VF, est en revanche plus discutable… Peut-être était-ce la seule copie 35mm de bonne qualité disponible, mais bon, le Forum des images étant équipé de projecteurs vidéo de qualité, la version DVD intégrale restaurée et remasterisée aurait pu faire l’affaire…
Si tout le monde connaît, ne serait-ce que de nom, Massacre à la tronçonneuse, peu de gens connaissent Eggshells, tourné cinq ans auparavant. Et pour cause! : ce film de jeunesse de Tobe Hooper a longtemps été considéré comme perdu à jamais, jusqu’à ce que l’on retrouve par miracle une copie, qui a permis sa restauration en 2009 et sa nouvelle carrière, de festival en festival.
Il s’agit d’une oeuvre très différente de tout ce que Hooper a pu faire par la suite. Un film psychédélique qui joue sur toutes les techniques expérimentales de l’époque – kaléidoscopes, stroboscopes, surimpressions, filmage continu accéléré,… – et qui se situe à la frontière du documentaire – plongée dans une petite communauté hippie, à la veille du mariage de deux de ses membres – du manifeste engagé – nous sommes dans l’Amérique contestataire de 1968 – et du fantastique – avec une histoire assez absconse de maison hantée et de fantôme, rien à voir avec Poltergeist…
Parabole sur la fin de la “parenthèse enchantée” que furent les mouvement hippies et le retour au conformisme (symbolisé par le mariage)? Métaphore sur les effets de la guerre du Vietnam sur le pays? Symbole d’une Amérique hantée par de vieux démons? Difficile à dire…
Le cinéaste a bien tenté une amorce d’explication, mais tellement confuse que le mad critique Rurik Sallé, qui animait le débat, n’a pas su traduire ses propos.
On sort de là un peu perplexe face à cet objet pour le coup très étrange dont la quasi-absence de trame narrative rend difficile – pour ne pas dire impossible – la compréhension.
Cela dit, le film n’en est pas moins intéressant.
Déjà parce que ce film peut être vu comme un document historique. Hooper y capte assez bien “l’air du temps” et restitue les rêves et les interrogations de la jeunesse américaine des années 1960, ainsi que les tendances artistiques de l’époque – “cinéma-vérité”, expérimentations visuelles, bouleversement des codes narratifs et esthétique inspirés de la Nouvelle Vague française et des films de Godard, ou, côtés US, des premiers films de Cassavetes.
Ensuite parce que certaines séquences dégagent une certaine force poétique, une beauté hypnotique – la scène des ballons, par exemple – et portent la patte d’un véritable metteur en scène.
Si Massacre à la tronçonneuse a autant marqué les esprits, c’est qu’il est l’oeuvre d’un auteur au sens noble du terme. Il ne s’agit pas, contrairement à la légende, d’un “shocker” gore sanglant à la violence gratuite, mais d’un film assez suggestif, où l’ambiance, la force de la mise en scène, le soin apporté à l’image et au son suscitent la peur. Et, surtout, il véhicule un message politique assez fort, à remettre dans le contexte de l’époque…
Dans Eggshells, on trouve déjà, dans certains plan, le rythme cinématographique, la force brute, la poésie noire qui porteront ce classique du film d’horreur…
Difficile de comprendre pourquoi après deux premiers films aussi ambitieux artistiquement, sa carrière se soit orientée vers des films plus commerciaux, plus médiocres. Il est évident que l’échec commercial prévisible de Eggshells a poussé Hooper à signer Massacre à la tronçonneuse, dernière chance pour lui de pouvoir gagner sa vie en tant que cinéaste. Et, évidemment, la réputation de ce dernier a rendu Hooper “prisonnier” d’un genre.
Mais quand même, il y a une sacrée différence de niveau entre ces premiers films et les autres films de sa carrière – L’invasion vient de Mars, Lifeforce ou The Mangler ce n’est quand même pas terrible…
Dans cette filmographie, Poltergeist et Les vampires de Salem, réalisé pour la télévision, sont les seules réussites notables du bonhomme, qui a quand même signé quelques sympathiques films d’horreur décomplexés, dont Le Crocodile de la mort, The toolbox murders ou Massacre dans le train fantôme, qui était également programmé ce soir.
En tout cas, les festivaliers ont pu découvrir un homme chaleureux, très accessible, qui est venu rencontrer le public et débattre de ses films à l’issue de chaque projection. C’est ce qui s’appelle une véritable rencontre, et c’est ce qui fait le charme des “petits” festivals…
Autre gloire du cinéma d’horreur, contemporain de Hooper, George Romero n’était, lui, pas présent pour défendre son nouveau film, Survival of the dead. Bien lui en a pris, car l’accueil du public s’est avéré assez mitigé, aussi bien pour cette séance que celle de dimanche dernier.
Nombreux sont ceux qui ont détesté ce sixième volet de la saga des morts-vivants initiée il y a plus de quarante ans avec La Nuit des morts-vivants, regrettant justement que l’esprit de ce premier film se retrouve “trahi” par cette “espèce de parodie fauchée”.
N’exagérons rien : le film est tout à fait regardable, comme une bonne petite série B réalisée avec les moyens du bord. Il y a quand même plus de talent ici que dans la majeure partie des films de genre produits aux Etats-Unis.
La déception vient sans doute du fait qu’ici, les morts-vivants ne sont qu’un élément assez secondaire de l’intrigue. L’épidémie de zombification ne sert que de toile de fond au récit et de point de cristallisation d’un conflit entre deux personnages, deux vieux cowboys rivaux, chefs des deux clans familiaux se partageant une petite île de la côte atlantique.
Leur différent aurait pu porter sur une femme, une récolte agricole, un bout de terrain, mais comme on n’est plus vraiment à l’époque du far west, ils s’affrontent sur le traitement à réserver aux zombies. Les enfermer et les éduquer – car qui sait s’ils ne sont pas simplement malades ? – ou les abattre froidement, sans pitié – après tout, les morts sont déjà morts, non?…
Evidemment, tout cela n’est qu’un prétexte à un constat très misanthrope sur le genre humain, finalement plus dangereux pour lui-même que ne le sont les zombies.
Et si la charge sociale est moins enthousiasmante que dans les subtils brûlots contestataires que sont La nuit des morts-vivant ou Zombie, Romero a au moins le mérite d’essayer de proposer quelque chose de différent à chaque film, de ne pas reproduire encore et encore le même schéma.
Il semble s’être fait plaisir avec ce faux western épousant aussi bien les conventions du règlement de comptes à OK Corral que celles du film de zombie, telles qu’il les a édictées…
Maintenant, il est également de fait que ce film est, de loin, le moins intéressant de la saga, plombé par quelques idées scénaristiques fumeuses (les jumelles, était-ce bien nécessaire ?), des aberrations (si les zombis sont également actifs sous l’eau, qu’est-ce qui fait de l’île un “havre de paix”?) un jeu d’acteurs des plus inégaux et un humour parfois assez malvenu, qui fait regretter l’aspect très premier degré des premiers films…
Ce qui est dommage, c’est que Romero s’obstine à décliner sa saga de zombies sur tous les modes, y compris et surtout mineurs, alors qu’il a prouvé qu’il avait le talent pour réaliser des oeuvres autrement plus ambitieuses, comme Incidents de parcours, La part des ténèbres ou même Bruiser. Peut-être est-il temps pour lui de dire adieu à ses “bébés” et tenter de se renouveler avec d’autres projets. [A priori, c’est le cas, puisqu’il travaillerait sur le remake, en 3D, des Frissons de l’angoisse de son ami Dario Argento. Pari risqué…]
En avant-programme était présenté un court-métrage d’animation amusant, qui sert de trait d’union entre les oeuvres du jour : Chainsaw Maid est un film de zombies en pâte à modeler (on est loin de Wallace & Gromit) où une domestique, comme le titre l’indique, s’empare d’une tronçonneuse (hé oui!) pour se débarrasser des créatures avide de chair humaine qui s’incrustent dans la maison de ses patrons…
Transition toute trouvée pour parler de l’avant-première du jour, The Housemaid, remake d’un classique du cinéma coréen de Kim Ki-young, daté de 1960.
Ce film, signé par Im Sang-soo, a été remarqué, lors du dernier festival de Cannes, pour ses qualités esthétiques – la photo de Lee Hyung-deok est sublime – le jeu des comédiens, dont l’excellente Jeon Do-yeon – primée à Cannes pour Secret Sunshine – et les aspects cruels et vénéneux de cette fable violente et érotique sur l’argent, le pouvoir et les rapports de classe.
Le résultat est toutefois moins fort que certaines oeuvres antérieures du cinéaste, dont l’excellent Le vieux jardin…
Egalement au programme, deux curiosités : Le manuel d’un jeune empoisonneur, petite pépite d’humour noir et d’originalité signée par le britannique Benjamin Ross et Paul, drame post soixante-huitard avec Bernadette Lafont, Jean-Pierre Léaud et Jean-Pierre Kalfon, signé par un cinéaste alors prometteur, Diourka Medveczky.
Et la suite de l’hommage à Mimsy Farmer, avec deux films très différents : Le parfum de la dame en noir, un giallo sans aucun lien avec l’univers de Gaston Leroux et Le Maître & Marguerite, un drame faustien signé Aleksandar Petrovic…
A demain pour la suite de ce beau voyage dans le fascinant monde de l’étrange…
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