S’attaquer à l’adaptation cinématographique du roman d’Alexandre Dumas père, Les Trois mousquetaires, c’est forcément prendre le risque d’être comparé à d’autres tentatives. Car, avant Martin Bourboulon, de nombreux réalisateurs se sont essayés à l’exercice. On trouve des versions datant du muet et du parlant, des films isolés, des diptyques, trilogies ou séries, un opus en relief et d’autres sans aucun relief, des films français, des films hollywoodiens (Fred Niblo, Allan Dwan, Richard Lester, Stephen Herek…) ou d’origine plus exotique (Mexique, Argentine, Italie et même une série télévisée coréenne). On compte aussi des versions animées, dont un fameux épisode de Tom & Jerry, un film de marionnettes et une série animée japonaise que tous les gamins des années 1970/1990 connaissent, avec des personnages animaliers en personnages principaux. Sans oublier des adaptations assez inclassables, comme la version western-spaghetti parodique de Bruno Corbucci, Les Rangers défient les karatékas, la parodie de Max Linder, L’Etroit mousquetaire, ou la version des Charlots, Les Quatre Charlots mousquetaires. Il est fort probable qu’un spectateur adulte ait déjà vu au moins l’une de ces nombreuses adaptations, sur grand ou sur petit écran et en garde un souvenir plus ou moins ému. Evidemment, tout est question de goût, mais parmi les versions les plus réussies, beaucoup citent volontiers la version de 1973 signée Richard Lester, avec Michael York en d’Artagnan et Charlton Heston en Richelieu, celle de 1953 par André Hunebelle, avec George Marchal en protagoniste principal et Bourvil en véritable star du film, dans le rôle de Planchet, ou celle de Bernard Borderie, sortie en 1961. De notre côté, c’est plutôt la version de George Sidney, datée de 1948, qui hante nos souvenirs de cinéphiles : Gene Kelly en d’Artagnan bondissant, Van Heflin en Athos, Vincent Price en Richelieu et Lana Turner en Milady, filmés dans un technicolor flamboyant et en cinémascope. Pas la version la plus fidèle, certes, mais la plus mémorable.
A l’inverse, on jettera volontiers aux oubliettes les versions de Stephen Herek (1993) et Paul W.S.Anderson (2011), blockbusters indigestes et sans âme.
Où le film de Martin Bourboulon se situe-t-il par rapport à ses prédécesseurs? Eh bien, évidemment sans préjuger de ce que donnera la seconde partie, il faut bien reconnaître qu’il se situe plutôt dans le haut du panier. Pas au niveau du chef d’oeuvre de George Sidney, d’accord, mais soutenant aisément la comparaison avec les versions de Hunebelle et Borderie, et les surpassant même, sur bien des points. Le scénario est plutôt bien ficelé, à la fois fidèle au roman et s’en éloignant pour mieux en retrouver l’esprit et lui apporter un peu de modernité. Il développe particulièrement le contexte politique de l’époque, exposant les différents camps intriguant pour prendre le pouvoir ou orienter la gouvernance du pays. Ceci donne au film une dimension particulière, un peu plus sombre et politique, qui constitue un bel écrin aux aventures de d’Artagnan et ses compagnons d’arme.
Ce premier chapitre reprend l’intrigue la plus souvent portée à l’écran, l’affaire des Ferrets de le Reine. Il est axé autour de l’arrivée de d’Artagnan, jeune homme qui quitte sa Gascogne natale pour Paris, dans le but d’intégrer les mousquetaires du roi. En chemin, il assiste à l’attaque d’une calèche, orchestrée par Milady et son acolyte, Rochefort, se fait tirer dessus et est laissé pour mort, mais il parvient à reprendre sa route. A peine à Paris, il rejoint les cadets et, par orgueil autant que par maladresse, trouve le moyen de défier Athos, Porthos et Aramis au combat singulier. Mais le duel est interrompu par les gardes de Richelieu et donne lieu à une bataille épique qui scelle l’amitié des quatre hommes. La fête célébrant leur victoire tourne court quand Athos est accusé d’un meurtre et condamné à mort. Pour sauver leur ami, les trois hommes enquêtent sur la supposée victime et se retrouvent mêlés à un complot visant à piéger la Reine et provoquer une guerre entre la France et l’Angleterre. Pas encore officiellement mousquetaire, d’Artagnan va avoir l’occasion de prouver sa valeur en récupérant les ferrets que la Reine a donnés, en gage d’amour, à son amant, le duc de Buckingham, et les ramener en France à temps pour qu’elle puisse les porter lors d’une cérémonie officielle et dissiper les soupçons du Roi. Mais évidemment, Milady de Winter et Rochefort sont dans le coup, comme leur mentor, le Cardinal de Richelieu et ils n’entendent pas laisser les mousquetaires gâcher leurs plans.
Le cinéaste trouve un bon équilibre entre scènes d’action, interactions entre les personnages principaux, touches d’humour, moments intimistes et scènes permettant de comprendre les enjeux historiques et politiques. Il est bien aidé par un casting plutôt bien choisi. François Civil apporte au bretteur gascon sa fraîcheur et son charme insolent. Vincent Cassel campe un Athos vieillissant, hanté par ses choix et tiraillé entre sa vocation et sa religion, et signe une performance intéressante. Romain Duris et Pio Marmaï sont un peu plus effacés dans cet épisode, mais sont crédibles en soldats charmeurs mais redoutables. Eva Green possède la beauté vénéneuse qui sied pour incarner la terrifiante Milady de Winter et camper la parfaite némésis de d’Artagnan. Lyna Khoudri, délicieuse Constance Bonacieux, Louis Garrel, parfait en Louis XIII dépassé par les évènements, Vicky Krieps, royale en Anne d’Autriche, Eric Ruf (Mazarin) et Marc Barbé ( De Tréville), viennent joliment compléter la distribution.
Côté mise en scène, c’est un peu moins emballant. Martin Bourboulon se contente d’une mise en scène assez sage, assez efficace, mais sans génie. Sauf pour les scènes d’action. Là, c’est l’excès inverse. Le cinéaste est inspiré et sa caméra a la bougeotte, voulant donner aux combats un souffle épique en virevoltant d’un bretteur à l’autre, ou en tournant autour des personnages pour amplifier le suspense. Mais ce n’est pas l’idée du siècle, car cela rend la lecture de l’action un peu confuse, d’autant que le chef-opérateur, Nicolas Bolduc, pour renforcer le côté sombre et l’ambiance intrigante, privilégie les clairs-obscurs. Difficile de distinguer les personnages dans cette pénombre et cette agitation… Heureusement, cela ne réussit pas à nuire au bon déroulement du récit et à casser son rythme entraînant.
Cette version 2023 des Trois Mousquetaires s’impose comme un divertissement efficace et l’adaptation globalement réussie d’un grand récit populaire, capable de séduire un large public. Il faudra attendre un peu (jusqu’à décembre) pour connaître la suite et vérifier cette première impression Et il faudra patienter davantage pour voir si le film de Martin Bourboulon creusera son sillon dans nos mémoires de cinéphiles, à l’instar de celle de George Sidney.
Les Trois mousquetaires : d’Artagnan
Les Trois mousquetaires : d’Artagnan
Réalisateur : Martin Bourboulon
Avec : François Civil, Lyna Khoudri, Eva Green, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Vicky Krieps, Louis Garrel, Eric Ruf, Marc Barbé, Patrick Mille, Jacob Fortune-Lloyd
Genre : Adaptation plutôt réussie d’un grand roman populaire
Origine : France
Durée : 2h01
Date de sortie France : 05/04/2023
Contrepoints critiques :
”Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, nouveau Cyrano de Bergerac ? Sire Seydoux nous donne son pardon. Il quarte du pied, escarmouche, il coupe, il feinte, mais hélas donc : la fin de l’envoi point ne touche.”
(Lino Cassinat – Ecran Large)
”Martin Bourboulon signe une nouvelle adaptation nerveuse à souhait du roman de Dumas. Il intronise, dans ce premier volet, une pléiade de héros bondissants et de seconds rôles réjouissants.”
(Eric Neuhoff – Le Figaro)
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