Chalut les humains,
Normalement, c’est mon maître bien-aimé qui aurait dû vous parler des Tribulations d’une caissière, pas moi… Parce que franchement, moi, les supermarchés, c’est pas mon truc. Ben oui quoi, vous n’avez pas vu le sketch de Les Nuls? Les chats, ils achèteraient Kwiskas, mais ils préfèrent rester à glander dans le canapé, fumer des pétards, jouer au baby avec les copains… Pourquoi s’user les royaux coussinets quand on a un esclave personnel qui va vous chercher votre pâtée quotidienne? Hein?
Bref, normalement, disais-je avant de m’interrompre moi-même, c’est mon maître bien-aimé qui aurait dû vous parler des Tribulations d’une caissière. Seulement voilà, depuis qu’il a vu le film de Pierre Rambaldi, il sait que des filles aussi jolies que Déborah François, Elsa Zylberstein ou Alice Belaïdi peuvent apparaître au détour d’un rayonnage de supérette et, allez savoir pourquoi, il passe sa vie là-bas désormais.
Donc, comme son nom l’indique, ce film raconte la vie de Solweig, une caissière apparemment ordinaire, une de ces employées à qui on prête peu attention, mais qui est un maillon essentiel du fonctionnement de la grande distribution. Une caissière toutefois pas comme les autres puisqu’elle dissimule une jeune femme lettrée, cultivée, maniant divinement la plume pour dénoncer avec humour et indignation les vicissitudes du travail de caissière.
On suit ses déboires quotidiens, qu’elle relate sur son blog à ses heures perdues : les clients agressifs, insultants ou lourdauds, les vieux qui ne comprennent rien à rien, le bruit monotone des articles bipés qui leur reste dans la tête, le comportement horripilant des petits chefs de rayon, leur harcèlement permanent, les déguisements ridicules qu’on les oblige à porter pour assurer la promotion des produits à écouler, les horaires délirants et un salaire du niveau du SMIC insuffisant pour leur permettre de vivre correctement…
Un portrait pas très reluisant du monde de la grande distribution, qui appuie là où ça fait mal et alerte sur des conditions de vie parfois très rudes. Mais pas misérabiliste non plus.
La démarche est plus à rechercher du côté de Zola et de son «Au bonheur des dames”, dont on voit un exemplaire abandonné au pied d’une poubelle, dans un amas neigeux. Le cinéaste et ses interprètes, toutes très bien (avec une mention spéciale pour Firmine Richard, qui excelle toujours dans ces rôles de “petites gens” depuis Romuald & Juliette), veulent mettre en exergue le côté humain de ces employés que les consommateurs assimilent souvent à leurs caisses enregistreuses. À des machines, quoi…
Pari réussi ! En deux sourires, deux fous rires, on est conquis par le charme de ces jeunes femmes qui gardent le moral et l’envie de se battre malgré les galères et les obstacles que la vie met sur leur route.
Cette comédie plutôt bien menée sur la vie d’un supermarché s’inscrit autant dans la lignée du Riens du tout de Klapisch que dans la veine plus poétique du Cashback de Sean Ellis.
Ses auteurs ont choisi de l’enrober d’une bonne dose de miel et de romantisme, comme dans un conte de Noël (c’est de saison), avec l’histoire d’une improbable romance entre notre hôtesse de caisse et un prince charmant (il est beau, il est riche, il joue “Le Cid” de Corneille et il est prévenant). Tant qu’à adapter une histoire vraie, autant l’enjoliver un peu. Le réalisme social, on a déjà vu ça dans Rosetta par exemple ou dans d’autres films des frères Dardenne…
Cela dit, ce n’est pas forcément la meilleure idée du film, car l’excès de guimauve rebutera sûrement les palais cinéphiles les plus délicats. Il n’était pas nécessaire de rajouter cette love story aux ficelles archi-usées, ni même l’intrigue secondaire autour de la journaliste infiltrée en immersion pour dénicher la blogueuse et offrir un scoop à son odieux patron (Marc Lavoine en rédac chef tyrannique, ça me rappelle quelqu’un).
Les personnages étaient suffisamment attachants pour tenir le film à bout de bras et il suffisait d’articuler l’intrigue autour des textes de l’ex-caissière devenue écrivaine, Anna Sam, qui respirent l’authenticité, l’humour et la tendresse.
La vraie belle histoire, c’est autant celle de Solweig que celle d’Anna.
Après avoir fait des études de lettres et montré de belles dispositions pour l’écriture, la jeune femme a été contrainte de devenir caissière pour payer ses factures et n’a ensuite pas pu reprendre sa voie…
… Jusqu’à ce qu’elle se mette à tenir un blog et à se faire repérer par ses chroniques, très appréciées par ses consoeurs.
Les billets de blog se sont transformés en best-seller (1), puis en scénario de film. Pas mal… Ça valait la peine d’attendre.
Ça peut nous donner des idées, ça, à Angle[s] de vue, et permettre de satisfaire les ambitions frustrées de mes collègues Boustoune et PaKa. Et puisqu’on n’est déjà dans le milieu du cinéma avec notre site, on devrait passer directement à l’adaptation filmique.
J’imagine bien le truc : le héros, Scaramouche, est le meilleur chroniqueur d’un petit site Internet. Pour le rôle, je me vois moi, le meilleur acteur du monde, ou à défaut le greffier qui joue le Chat Potté, un beau gosse quoi…
Par ses écrits, il pourrait inviter ses camarades félins à prendre le pouvoir, comme les chimpanzés de la planète des singes. Mais il est soumis à la coupe tyrannique de son rédac chef Boustoune (Phillip Seymour Hoffman teint en brun, ça lui irait bien au gros…) et aux brimades de son collègue PaKa (Tom Cruise pour la taille, Édouard Baer pour la coupe de cheveux). Pour le reste de la rédaction, je vois bienVernon Dobtcheff en Marc-Georges et Jéremy Renier en Maël.
Enfin bref, ça chauffe !
Là-dessus, on colle deux romance : Scaramouche est ensorcelé par une féline latine (Kitty Pattes de velours, la bomba du Chat Potté) et Boustoune s’adoucit au contact d’une caissière de supermarché (Déborah François, ça lui ira très bien, mais c’est un peu jeune, alors Michelle Pfeiffer fera l’affaire). À la fin, les deux derniers se caillent les meules en se roulant des pelles sous la neige, tandis que les premiers ronronnent devant la cheminée.
C’est beau la vie.
Bon, j’arrête mes délires.
Faut que je vous laisse, je dois téléphoner à mon maître. Ça fait quatre heures qu’il est parti faire les courses. Je dois vérifier qu’il ne s’est pas perdu dans le regard de Déborah François ou le sourire d’Elsa Zylberstein.
– Allo? Hé, feignasse, ça vient ma bouffe? J’ai les crocs, moi ! Et prends des crevettes plutôt que du kwiskas, c’est meilleur! Et n’oublie pas ma litière non plus.
Euh, le premier qui dit que cette critique m’était destinée parce que je fais toujours dans ma caisse,j’lui griffe le museau! Compris?
Pour les autres, plein de ronrons,
Scaramouche
(1) : “Les tribulations d’une caissière” d’Anna Sam – éd. Stock
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Les Tribulations d’une caissière
Les Tribulations d’une caissière
Réalisateur : Pierre Rambaldi
Avec : Deborah François, Elsa Zylberstein, Nicolas Giraud,
Alice Belaïdi, Firmine Richard, Gilles Cohen
Origine : France
Genre : grande promo sur les contes de fée
Durée : 1h40
Date de sortie France : 14/12/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Excessif
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[…] comédie romantique que nous avions défendu dans nos pages en décembre dernier (lire la critique du film par […]
Je passais par là. Bien vu, cash et sincère. Merci donc. Ca fait toujours plaisir. Pierre
Aïe. Pour une fois qu’un réalisateur vient la lire la critique de son film sur notre site, il faut que ce soit un texte écrit sur en mode délirant. On vous rassure, ce n’est pas toujours comme cela.
Sinon, merci à vous pour ce passage par chez nous, pour votre message et pour votre film, devant lequel on a passé un bon moment.