Lucien paumelle, autrefois médecin réputé, aujourd’hui veuf et retraité, s’est toujours investi dans des combats politiques et militants, comme le droit à l’avortement. Sa dernière marotte : la défense des sans-papiers. Il a pris la direction d’une association défendant les immigrés en situation irrégulière et, puisqu’il faut bien donner l’exemple, il annonce à ses proches son intention d’héberger lui-même une famille en difficulté.
Ceux-ci réagissent très différemment à la nouvelle. Il y a ceux qui le soutiennent sans réserve, comme sa petite-fille, Julie, une ado en pleine prise de conscience politique, ou Babette, sa fille cadette, militante de gauche active et médecin dans un quartier difficile.
Et puis, il y a ceux qui sont un peu moins enthousiastes. Son fils, Arnaud, avocat spécialisé en droit des affaires, voit le côté pénal de la chose et déconseille fortement à son père de se lancer dans pareille folie, pour laquelle il risque une forte amende, une peine de prison et – pire ! – de se faire expulser de l’appartement bourgeois qu’il loue depuis des années. Et sa belle-fille, Karine, consciente que le vieil homme n’en fera qu’à sa tête, tente de convaincre l’association de le ménager en « sélectionnant » des clandestins pas trop dérangeants, pas trop typés, pas trop sales, pas trop bruyants ou trop envahissants. « En somme, votre sans papier idéal, ce serait une vieille de Moselle Suisse qui a perdu son passeport » lui rétorque froidement le permanent de l’association…
Mais de toute façon, la décision de Lucien est prise. Rien ni personne ne pourra le faire changer d’avis… Il présentera ses « invités » au cours d’un repas de famille chez Arnaud et Karine.
Le jour J, c’est la surprise : au lieu d’une famille de réfugiés africains, irakiens ou afghans, ce sont Tatiana et Sorina, une poupée blonde sexy et sa fillette de dix ans, originaires de Moldavie, qui arrivent aux bras de Lucien. Et tout le monde découvre avec stupeur que ce dernier a épousé la jolie bimbo, juste « pour simplifier les formalités administratives ».
Mouais… L’alibi de l’acte militant semble pour le coup assez douteux et la générosité de Lucien ne paraît pas totalement désintéressée.
Ceci n’est pas sans provoquer quelques remous au sein de la cellule familiale.

Les invités de mon père - 3

Après un drame remarqué, Ceux qui restent, Anne Le Ny s’essaie à la comédie avec Les invités de mon père, portrait d’une famille de bobos parisiens de gauche qui voit ses certitudes morales s’effondrer comme un château de cartes.
Enfin, non, pas une comédie à proprement parler… Ou alors une comédie cruelle et amère. Car autant le préciser tout de suite, si les situations dépeintes sont souvent cocasses et les répliques, savoureuses, on rit mais jaune aux tribulations de cette famille pas si formidable.
Ce qui a intéressé la cinéaste, c’est de pouvoir greffer sur cette trame vaudevillesque – une famille au bord de la crise de nerfs – des sujets de sociétés assez profonds, assez graves, et surtout, de mettre en avant le mal-être de personnages, tous délicieusement complexes, ambigus. Personne n’est totalement bien sous tous rapports dans cette chronique familiale subtile. Ni tout blanc, ni tout noir, chacun possède sa part d’ombre et de lumière, est mû par des raisons compréhensibles, mais pas forcément compatibles avec les intérêts d’autrui.

Le patriarche, par exemple, est une énigme complète. Est-il un homme altruiste, ouvert aux autres, agissant pour la bonne cause ? Ou au contraire, un vieux pervers abusant de la situation d’une pauvre femme pour s’abandonner à ses fantasmes lubriques et s’offrir, à soixante-quinze ans bien sonnés, une « crise de la cinquantaine » ?
Même mystère, justement, autour de cette sans-papier moldave qu’il héberge… Est-elle une femme fuyant un quotidien difficile et tentant de donner à sa fille un avenir meilleur ou bien une manipulatrice qui œuvre pour récupérer toute la fortune d’un vieillard trop naïf, troublé par ses charmes ?

 Les invités de mon père - 5

A côté de ce couple improbable, il y a le duo formé par Arnaud et Babette, le frère et la sœur. Au début, tout semble les opposer : Lui est un nouveau riche cynique et peu ouvert aux autres ; Elle donne l’impression d’une fille modèle, une militante modèle, une compagne modèle, juste un peu trop « bonne poire ». Mais là encore, les apparences sont trompeuses. L’irruption de Tatiana et Sorina, éléments étrangers dans leur cellule familiale, et la façon avec laquelle leur père prend soudainement ses distances avec eux va les contraindre non seulement à se rapprocher l’un de l’autre – au cours d’une belle virée nocturne – et surtout, à se redécouvrir eux-mêmes.
Arnaud, qui semblait si sûr de lui, si fort, laisse transparaître quelques fêlures, liées à une adolescence mal vécue et une émancipation brutale. Il finit par avouer quelques rancoeurs contre son père, avec qui il a toujours eu du mal à communiquer, et une pointe de jalousie à l’égard de sa sœur, la petite protégée, la favorite…
Babette, de son côté, réalise peu à peu qu’elle a toujours fait ce qu’on attendait d’elle et qu’en suivant aveuglément le modèle paternel, un peu trop idéalisé, elle s’est construite une vie dans laquelle elle n’est pas si heureuse que cela…
Dans le même temps, la gestion du cas épineux de Tatiana, ce parasite qui les attire et les agace en même temps, insaisissable et inclassable, les met face à de vertigineux dilemmes moraux.
Les relations familiales se retrouveront complètement bouleversées par ces prises de conscience et ces questionnements philosophiques. Certains liens se distendront, d’autres se resserreront. Babette finira par s’émanciper de l’ombre du père – il n’est jamais trop tard – et à retrouver une certaine liberté. Arnaud, lui, se rapprochera un peu de ce vieillard soudain moins parfait qu’il n’y paraissait, et donc plus humain… Et le frère et la sœur, remis sur un pied d’égalité, pourront afficher une complicité retrouvée…

Les invités de mon père - 2

Il convient de saluer la façon subtile avec laquelle Anne Le Ny a su écrire ce scénario, et le porter à l’écran. Mais le film ne serait rien sans les performances des acteurs, qui lui donnent toute son ampleur. Pour jouer ces rôles complexes, il fallait des comédiens chevronnés, capables d’apporter aux personnages les nuances recherchées mais aussi une pointe de folie douce permettant de dynamiser le récit, qui respecte malgré tout le tempo de la comédie. La cinéaste a su non seulement les trouver mais aussi faire fonctionner l’alchimie entre eux.
Il y a déjà, et surtout, Karin Viard et Fabrice Luchini, tous deux impeccables dans des rôles correspondant à leurs registres de prédilection – la fille hyperactive un brin énervante, et finalement complètement paumée, et le type cynique à la réplique cinglante mais plus sensible qu’il n’y paraît.
Attachant, troublant, volubile et très complice, ce beau duo de cinéma offre au film ses meilleures scènes, les plus drôles et les plus émouvantes.

Mais les autres ne sont pas mal non plus : Michel Aumont s’amuse à camper ce patriarche dopé au viagra et au Fanta Orange, retombant amoureux au crépuscule de sa vie. Il faut dire qu’on le comprend un peu en voyant la belle Veronica Novak. Comme le résume parfaitement Luchini, « il y a des actes militants plus agréables à regarder que d’autres… ».
Valérie Benguigui, Olivier Rabourdin, et la jeune Flore Babled complètent agréablement la distribution.

Les invités de mon père - 4

Mais, malgré son casting étincelant et ses dialogues aux petits oignons, il est fort probable que Les invités de mon père ne fasse pas l’unanimité chez les spectateurs. Anne Le Ny s’ingénie en effet à faire constamment bifurquer son récit dans des directions inattendues, délaissant certaines pistes narratives au profit d’autres, glissant du rire à l’amertume, se refusant à définir ses personnages de façon très précise. Certains se sentiront probablement un peu déroutés, d’autant plus que le montage est parfois très abrupt, rajoutant à ce « malaise ».
D’autres reprocheront à la cinéaste d’éluder le sujet sensibles des « sans papiers » et de ne l’utiliser que comme argument comique. Certes, mais là n’est pas le sujet du film. Il ne s’agit « que » d’un portrait de groupe dont les valeurs, l’éducation reçue, la morale sont brusquement remis en question…
Tout comme les idéaux politiques… Alors difficile, dans ces conditions, de jouer la carte du film à thèse contre l’expulsion des sans-papiers.
De toute façon, si elle avait abordé le sujet plus frontalement, le film aurait été totalement différent, et sans doute plus prévisible, plus consensuel, plus manichéen… Bref, tout ce que la cinéaste essaie d’éviter.
Les invités de mon père, finalement, ressemble beaucoup au personnage joué par Karin Viard : d’abord très lisse, très propre sur lui, puis totalement imprévisible et un brin frondeur. Et cette tentative d’émancipation d’un cinéma français parfois trop vieillot  est assez réjouissante…

_________________________________________________________________________________________________________________________________________

Les invités de mon père Les invités de mon père
Les invités de mon père

Réalisateur : Anne Le Ny 
Avec : Karin Viard, Fabrice Luchini, Michel Aumont, Veronica Novak, Valérie Benguigui 
Origine : France
Genre :  chronique familiale grinçante 
Durée : 1h40
Date de sortie France : 31/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○ 

contrepoint critique chez : L’Humanité

______________________________________________________________________________

2 COMMENTS

  1. J’ai bien envie d’aller le voir, il va falloir que je me bouge avant qu’il disparaisse des salles. Ta critique donne envie : un bon casting et des dalogues savoureux, ça me tente.

LEAVE A REPLY