Débarrassé de sa cape de Batman, Christian Bale incarne avec un poignant magnétisme Russell Baze, un héros ordinaire de la classe ouvrière. Dans un cadre à l’absolue noirceur et aux décors puissants de réalisme, il s’embarque dans une expédition punitive pour sauver son frère Rodney (Casey Affleck), vétéran de l’armée sorti traumatisé du conflit irakien, engagé dans des combats de boxe clandestins – et truqués.
Après un large succès en 2010 avec Crazy Heart, le réalisateur Scott Cooper (avec cette fois-ci Léonardo DiCaprio à la production) récidive avec Les Brasiers de la colère, une saisissante immersion dans une Amérique sans fard, qui demeure marquée par les guerres à répétition au Moyen-Orient, abimée par la crise économique, amputée de son triomphalisme.
La vision réaliste, crue du réalisateur s’attaque ainsi au dur quotidien des cols bleus américains, ces travailleurs désabusés, noyant leurs tracas ou leurs traumatismes de guerres dans des beuveries sans nom, condamnés à l’autodestruction par la violence, habitant au fin fond d’une région miséreuse et laissée pour compte. L’omniprésence de la fumée, les plans sur les usines à l’abandon, le tout imprimé sur pellicule avec une photographie assez sombre, finissent de compléter ce tableau noir.
Le film est âpre et brutal. Il tisse à la perfection les destins croisés de deux frères qui se débattent contre la fatalité. L’un et l’autre luttant à leur manière pour tenter de survivre dans un monde qui semble les avoir oubliés. Cooper réalise avec justesse la critique acerbe d’une Amérique qui ne fait rien pour des gens qui lui ont pourtant, à l’usine ou sur le front, donné leurs vies. Ce que le spectateur vit en même temps que Russell Baze, c’est une terrible et inéluctable descente en enfer. Pour tenter de retrouver son frère, Russell est forcé d’user de cette même violence qui gangrène son pays et qui apparait alors comme seule échappatoire pour faire taire une souffrance sourde. Un déchainement qui est d’autant plus bouleversant qu’il traduit un profond désespoir, celui qui pousse une personne incapable de tuer un cerf lors d’une partie de chasse (1), à traquer un homme comme une bête pour accomplir sa vengeance.
Mais à ce portrait sauvage vient s’opposer une certaine poésie. En noyant le spectateur dans la profondeur incommensurable des regards de Christian Bale, c’est presque avec douceur que Cooper dépeint les vies brisées de ses personnages. Sa caméra, chevrotante parfois, vient subtilement souligner leur vulnérabilité, et le vertige qu’ils éprouvent face à une situation qui leur échappe de plus en plus.
Ce que fait Russell, c’est parce qu’il n’a pas d’autre choix. Et même s’il semble tout perdre en chemin, l’homme n’est à aucun moment entaché ou perverti par ses actes. Ainsi, dans la dernière scène, lorsque la lumière s’éteint lentement sur lui, l’ultime vision est celle de son bras, sur lequel est tatoué un chapelet. Car malgré tout, Russell apparait comme d’une divine droiture.
Le film s’apprécie comme un poème d’une noire douceur, à la fois déchirant et amer, et criant de vérité. Une vérité triste à en pleurer, qui ne laisse qu’un goût de fiel dans la gorge. Christian Bale signe ici une de ses plus grandes interprétations face à un Casey Affleck touchant au possible.
(1) : Cette scène évoquera sans doute aux cinéphiles une très belle scène du chef d’œuvre de Michael Cimino, Voyage au bout de l’enfer, qui traitait lui aussi du difficile retour au pays de soldats fracassés par les horreurs de la guerre – celle du Vietnam, en l’occurrence. Les deux films ont d’ailleurs de nombreux points communs, à commencer par un décor identique, une petite ville de Pennsylvanie dont l’activité principale – pour combien de temps encore ? – est la sidérurgie, et le parcours autodestructeur d’un des personnages – Christopher Walken chez Cimino, Casey Affleck chez Cooper.
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Les Brasiers de la colère Out of the furnace Réalisateur: Scott Cooper |
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