Bureaux de Sony Pictures, en 2010
– Hé, les gars, j’ai une idée de scénario super novatrice. Ca se passe au Far-West, à la fin du XIXème siècle. Les habitants de Rose Creek, une petite ville minière, en ont assez de se faire spolier par l’homme d’affaires véreux Bartholomew Bogue. Alors, ils décident d’engager des mercenaires, au nombre de sept, pour les protéger contre le tyran et ses bandits…
– Euh, attends un peu, coco… Ton truc ce n’est pas du tout nouveau. C’est pile-poil le scénario des Sept Mercenaires, le film de John Sturges…
– Bon j’avoue. J’ai copié le scénario sur wikipédia. Mais c’est un vieux film des années 1960. Plus personne ne s’en souvient…
– Euh… C’est un classique du western, quand même, qui passe au moins une fois par an à la télé… Difficile d’oublier Yul Brynner, Steve McQueen, Charles Bronson et les autres…
– Mais si. Tout le monde a oublié, je vous dis! Tenez, le film de John Sturges était lui-même un remake et personne ne se souvient de l’original.
– Ben quand même : Les 7 Samouraï, c’est un classique du cinéma mondial. Akira Kurosawa, Takashi Shimura, Toshiro Mifune…
– Mouais. Justement! A chaque fois qu’on raconte cette histoire, ça fait un succès! Il ne faut pas hésiter! Et puis, on va quand même changer deux trois trucs pour montrer que l’on n’a pas copié. Tiens, on va changer la musique.
– Ah? Tu es sûr? Parce que le thème d’Elmer Bernstein, c’est quand même un des éléments marquants du film d’origine.
– Oui, bon, on fera quelque chose d’approchant et on en mettra un bout dans le générique de fin, pour les vieux croûtons nostalgiques. Sinon, je vais aussi changer des trucs au niveau des protagonistes…
– Ah? Tu vas ajouter des cheveux au personnage principal?
– Pas bête! Mais j’ai une meilleure idée : on va faire utiliser un acteur Noir pour jouer le héros. Tiens, au hasard, Denzel Washington. C’est super tendance dans les westerns depuis Django et Les 8 Salopards et puis c’est politiquement correct, après la polémique sur l’absence d’acteurs de couleur dans les nominations des Oscars 2016.
– Hum. Oui, Denzel Washington, c’est un bon acteur. L’idée se défend. Mais si c’est pour une histoire de quotas, ça va se voir un peu, non?
– Mais non! On n’a qu’à équilibrer avec les autres mercenaires : Hop, on ajoute un cowboy canadien francophone, un desperado mexicain pour faire plaisir à la communauté hispanique, un acolyte sud-coréen pour faire plaisir à la communauté asiatique, un guerrier indien pour faire plaisir aux natifs amérindiens, une fine gâchette d’origine irlandaise, un trappeur WASP et puis une femme, tiens, pour respecter la parité.
– Euh… Une femme pour huit gars. Elle a bon dos, la parité…
– Ouais, mais c’est suffisant. Les femmes dans les westerns, ça ne fonctionne pas, sinon, on ferait un remake de Belles de l’Ouest…
– Bon OK, admettons. Mais tes personnages d’origines ethniques différentes, ça risque quand même de faire un peu United Colors of Benêt-town, non?
– Bah, le spectateur n’aura même pas le temps d’y penser! On va vite expédier la première partie sur le recrutement des mercenaires et le lien qui se forge entre eux. Tout le monde s’en fout! On va mettre plus d’action, plus de gunfights, plus de folie! Au lieu de filmer un raid du village par les bandits comme dans le film de 1960, on va en filmer deux. Et puis on va ajouter de la dynamite et surtout, une mitrailleuse!
– Une mitrailleuse?
– Oui, j’ai vu qu’une Gatling joue un rôle important dans un autre vieux western de la même époque, je ne sais plus le titre…
– La Horde Sauvage? Mais attends un peu, tout le monde meurt dans le film de Peckinpah. Là, il faut que l’affrontement soit à peu près équilibré.
– C’est pour ça que les bandits ne l’utiliseront pas tout de suite. Ils attendront d’avoir perdu environ 80% de leurs troupes pour l’utiliser.
– Euh… Ce n’est pas très crédible, ça. Pourquoi attendre la fin de la bataille pour sortir l’arme qui pourrait leur assurer la victoire rapidement?
– On s’en moque! C’est du cinéma! Personne ne le remarquera, sauf peut-être quelques critiques exigeants et des spectateurs tatillons. Et puis, ça donnera lieu à une superbe scène. Un des mercenaires survivants devra aller affronter seul la mitrailleuse, avec juste un cheval et deux colts! On n’a qu’à engager Chris Pratt. Il sortira une ou deux vannes et son côté beau gosse séduira les midinettes.
– Ah ? Un type tout seul contre une armée de bandits surarmés et une mitrailleuse? Là encore, j’ai comme un doute sur la crédibilité de la chose…
– Rhôoo! Quel rabat-joie! Le public va adorer! Il y aura du sang, des larmes, des actes héroïques, d’autres plus lâches, des trahisons et des retournements de situation! Il n’aura pas le temps de s’ennuyer. C’est le principal, non?
– Oui, vu sous cet angle… Malgré tout, ce n’est pas avec ce film qu’on va redorer le blason des scénaristes et des producteurs Hollywoodiens. Désormais, on ne produit quasiment plus que des remakes, des suites, des reboots et des spin-offs…
– Oui, mais après Ghostbusters, Blair Witch, Independance Day 2 et autres, le pubic sera moins exigeant niveau qualité. On prendra de toute façon un cinéaste un peu au-dessus de la moyenne, qui saura dynamiser les scènes d’action. Et pour la caution artistique, on emballera ça sous la forme d’un pamphlet anti-capitaliste, puisque le méchant est un riche propriétaire/patron qui veut arnaquer les braves citoyens après les avoir exploités. Ca séduira probablement un festival comme la Mostra de Venise.
– Tu m’as convaincu! Banco! On lance la pré-production tout de suite, pour une sortie en 2016!
(…)
Bureaux de Sony Pictures, septembre 2016
– Euh, patron, il y a la horde sauvage d’Angle[s] de vue qui attend avec une Gatling devant les bureaux. Ils n’ont pas l’air très contents… Ils exigent qu’on ressorte le film original plutôt que ce remake inutile, truffé d’idées ridicules, sinon ils ouvrent le feu…
– Damned! Bloody rascals! Appelle la cavalerie!
Les 7 Mercenaires
The Magnificent seven
Réalisateur : Antoine Fuqua
Avec : Denzel Washington, Chris Pratt, Ethan Hawke, Vincent d’Onofrio, Byung-hun Lee, Manuel Gracia Rulfo, Martin Sensmeier
Origine : Etats-Unis
Genre : Remake sept fois inutile
Durée : 2h13
date de sortie France : 28/09/2016
Contrepoint critique : Télérama