Ca commence par un aparté sur l’équipe de football de Corée du Sud, qui, lors de sa première apparition en Coupe du Monde, a posé un vrai casse-tête aux commentateurs. La moitié des joueurs de l’équipe portait le même patronyme, Kim, très courant au pays du matin calme, voire le même prénom !
Le protagoniste principal du film se nomme Martin et il a toujours eu l’impression d’appartenir à l’équipe de foot de Corée du Sud.
Un nom pareil, ça ne laisse guère de doute sur ses origines. C’est l’un des plus courants dans l’hexagone… Du coup, on ne fait pas trop attention à lui, à son histoire, à ses origines. Il n’est qu’un anonyme franchouillard parmi d’autres, des Dupont, des Durand, des Dubois…
Seul son prénom, à la limite, fait réagir ceux qui croisent sa route. Arthur… Arthur Martin… “Comme les cuisines?” demandent, hilares, ses interlocuteurs. Certains, plus sympathiques, ajoutent quand même gentiment “C’est vrai que ce sont des cuisines solides…”.
Pourtant, les racines de cet Arthur Martin là sont bien différentes de ce que l’on pourrait penser de prime abord. Certes, il est issu de parents français, mais l’histoire de sa mère est complexe et douloureuse. Née de parents grecs et juifs ayant émigré en France, elle a assisté, pendant la seconde guerre mondiale, a la rafle de ses parents par la police française et ne les a plus jamais revu.
A la maison, le sujet a toujours été tabou. Arthur n’a jamais pu savoir exactement qui étaient ses grands-parents, ni ce qui leur est arrivé exactement. Il a appris à rester très discret, à ne jamais aborder les sujets qui pourraient heurter sa mère, grâce à de subtils numéros d’équilibriste.
C’est sans doute pour cela qu’il est devenu spécialiste des épizooties et du principe de précaution. Un type posé, calme, très prudent, qui ne veut pas faire de vagues. Un peu gris et terne, aussi…
Les hasards de la vie vont lui faire croiser la route de Bahia, une jeune femme au tempérament volcanique, volubile et complètement décomplexée. Tout son contraire, en somme…
Son prénom à elle fait aussi réagir les gens. “Bahia? Vous êtes brésilienne?”.
Raté! Bahia Benmahmoud est d’origine algérienne. Son père est venu s’installer en France après la décolonisation, suite à une sale guerre qui l’a laissé orphelin, et il a épousé une française baba-cool gauchiste haute en couleurs.
De ce brassage ethnique et culturel, Bahia tire une forte conscience politique, une propension naturelle à vouloir aider les autres, une inclination au débat houleux et une sexualité totalement libre et décomplexée.
La jeune femme, en effet, accumule les amants, pour une nuit, une semaine, un mois… Une “pute” penseraient certains. D’ailleurs, c’’est ainsi qu’elle se définit elle-même… A une nuance près, mais de taille : elle se dit “pute politique”.
Son truc, c’est de coucher avec des hommes de droite exclusivement, afin de les convertir politiquement tout en les menant à l’orgasme. En gros, c’est l’application à la lettre du vieux slogan hippie “Faites l’amour, pas la guerre”.
Quand elle croise Arthur pour la première fois, elle s’emporte contre ses discours alarmistes sur l’épidémie de grippe aviaire, mais lui saute au cou. Un type comme lui ne peut être que de droite… Tout faux : il est farouchement jospiniste…
Lui est émoustillé par les avances de Bahia, mais les repousse poliment. Une fille comme elle est forcément complètement cinglée, une croqueuse d’hommes impitoyable… Tout faux : elle est certes farfelue, mais incroyablement gentille, romantique… Une fois que tombent leurs préjugés respectifs, ces deux-là réalisent qu’ils sont sans doute faits l’un pour l’autre.
Le Nom des gens, c’est avant tout cette belle histoire d’amour, portée par un duo Jacques Gamblin/Sara Forestier qui fonctionne à merveille. Lui apporte sa fantaisie lunaire, son irrésistible don comique que l’on devine derrière le masque de placidité.
Elle apporte son enthousiasme, son caractère de feu et ce mélange craquant de spontanéité et d’intelligence qui nous avait conquis dans L’Esquive.
On s’attache immédiatement à ces personnages, qui dès le départ, prennent à parti le spectateur en s’adressant directement à lui. On croit sans problème à cette idylle compliquée, tortueuse, très cocasse…
Et non seulement on y croit, mais en plus on est touchés par la beauté de cet amour, la pureté qui s’en dégage… Comme dans cette scène – magnifique – de leur première fois. Bahia a l’habitude de se mettre nue immédiatement et d’entrer tout de suite dans le vif du sujet avec ses “cibles”. Arthur est gêné par cette nudité immédiate. Alors, plutôt que de se laisser à des ébats mécaniques, banals, il entreprend de rhabiller la jeune femme, tout en la caressant, l’embrassant, la dorlotant. Il s’en dégage une sensualité intense et troublante. Et de surcroît, cette façon de voiler la nudité, de la masquer avec pudeur, caractérise parfaitement la démarche des auteurs du film : parler des choses sans tabous, mais avec un minimum de décence et de pudeur.
D’ailleurs, parlons-en un peu, des auteurs : Michel Leclerc et sa co-scénariste Baya Kasmi. On connaît le talent du premier pour tricoter des comédies intimistes irrésistibles. Même si on n’avait pas été totalement emballés par son premier long-métrage, J’invente rien, on garde un très bon souvenir de ses courts-métrages, dont l’excellent Le Poteau rose et de sa participation au scénario de La Tête de maman de Carine Tardieu. Un film dont le ton, tendre et doux-amer, ressemble fortement à celui du Nom des gens, pour notre plus grand bonheur…
Il faudra désormais se rappeler du nom de Baya Kasmi, dont la plume légère, pleine de fantaisie, se combine parfaitement à celle de Michel Leclerc. Ces deux-là étaient destinés à travailler ensemble, et plus car affinités, c’était écrit…
Si le film sonne aussi juste, c’est qu’il est d’inspiration fortement autobiographique.
C’est un peu leur histoire que le duo porte à l’écran. Romancée, bien sûr, enrichie de quelques trouvailles scénaristiques, et de beaucoup d’autodérision, même si, de l’aveu même de la scénariste, certaines des scènes les plus délirantes du film sont authentiques. Comme celle où Sara Forestier oublie de s’habiller pour sortir dans la rue, par exemple. C’est du vécu… “Mais avec moins de panache que la Bahia du film”, ajoute-t-elle malicieusement…
Le Nom des gens nous touche car le regard porté sur tous les personnages, y compris les personnages secondaires, est plein de tendresse.
Outre le duo Forestier/Gamblin, on retrouve la délicieuse Carole Franck dans un rôle de post-soixante-huitarde énervée qui lui va comme un gant, Zinedine Soualem en papa poule et double peintre (sur toiles et sur murs), Jacques Boudet et Michelle Moretti en vieux couple à jamais marqué par un passé trop lourd à porter
Mais le film nous emporte aussi – et surtout – dans un irrésistible tourbillon comique. Car Le Nom des gens est une vraie comédie, et assurément l’une des plus drôles qu’il nous a été donné de voir depuis des lustres. Les situations sont hilarantes, les répliques fusent, aussi drôles et percutantes les unes que les autres.
La mise en scène, articulée autour d’idées narratives brillantes et originales, est menée à un rythme parfait, enlevé et pétillant, digne des meilleurs Woody Allen – la référence absolue de Michel Leclerc.
Certaines scènes sont des moments d’anthologie, comme ce dîner d’anniversaire mémorable où chaque mot prononcé par Sara Forestier menace de faire déraper la situation, ou cette visite impromptue d’un invité de choix : Lionel Jospin !
Mais attention, l’humour n’empêche pas le film d’aborder des sujets graves, douloureux même. Et, mine de rien, il brasse un nombre impressionnant de sujets de société actuels, avec beaucoup de pertinence et de subtilité : devoir de mémoire, débat sur l’identité nationale, immigration et problème des sans-papiers, communautarisme et montée de l’intolérance, préoccupations écologiques, sociales, la Shoah, la repentance et la victimisation, la Guerre d’Algérie, les essais nucléaires sur des populations indigènes, la pédophilie… Pfiuuu… Rien que ça !
Et ce n’est jamais lourd, misérabiliste, larmoyant… Au contraire, le rire et l’enrobage de comédie rythmée permettent de traiter tous les sujets sans retenue, sans tabou, avec une irrésistible légèreté qui n’altère en rien la force du propos.
Il s’agit évidemment d’un film engagé, au sens noble du terme.
Les auteurs ont leurs convictions, mais ils n’assènent rien. Ils essayent simplement d’aborder les problèmes de société sous un angle différent du traditionnel débat politicien, plombé par la langue de bois et les casseroles que se trimballent nos hommes de pouvoir, en utilisant leurs armes à eux : l’humour et la poésie.
Et mine de rien, le film aborde un nombre impressionnant de sujets de société actuels, avec beaucoup de pertinence et de subtilité : devoir de mémoire, débat sur l’identité nationale, immigration et problème des sans-papiers, communautarisme et montée de l’intolérance, préoccupations écologiques, sociales,…
L’objectif est de redonner, via la comédie, via la fantaisie, le goût de la politique au spectateur, le pousser à réagir, et même à agir. Pas forcément comme Bahia, en offrant son corps à l’ennemi. Mais en se battant pour faire triompher ses idées et sa conception de la justice.
Le film invite déjà à la réflexion, à la confrontation d’idées. Spectateurs de gauche, de droite ou sans opinion pourront y trouver leur compte sans problème, même s’il faut bien avouer que le film – on s’en serait douté au vu du personnage de Bahia – se veut plus chatouilleux vis-à-vis du public de droite…
Mais les situations décrites vont souvent au-delà du simple clivage droite-gauche. Elles remettent l’humanisme et le bon sens au coeur des débats.
Prenez la scène où la mère d’Arthur se présente à la mairie de son quartier pour faire refaire ses papiers d’identité, qui viennent d’être volés. Au début, tout se passe bien, l’employée municipale la connaît depuis des années – c’est une voisine – et l’accueille avec prévenance. Mais dès que Madame Martin annonce qu’il lui manque son extrait d’acte de naissance, la fonctionnaire zélée reprend le dessus.
Elle s’abrite derrière la procédure, s’emporte carrément “Vous êtes bien française, Madame Martin? Non ? Vos parents, ils étaient français?”. La vieille femme quitte la mairie en courant, blessée par ces propos imbéciles. Qu’est-ce que ça peut bien faire que ces parents aient été français ou non? Elle a toujours vécu là, elle est mariée à un français… Et ses parents sont venus en France par choix. Un choix qui les a probablement perdus, car c’est sur le sol français qu’ils ont été arrêtés – peut-être même par la police tricolore – puis déportés à Auschwitz…
Alors cet interrogatoire inquisiteur, accusateur, de la part d’une employée qui applique bêtement la procédure et les lois, c’est une insulte faite à tout son être, et à la mémoire de ses parents…
Quelle que soit la sensibilité politique du spectateur, difficile pour lui de ne pas s’indigner devant cette situation ubuesque qui impose à une titulaire de la carte d’identité nationale l’obligation de justifier de ses origines et de celle de ses parents, devant l’attitude peu compréhensive de la guichetière…
On aurait envie, comme Arthur, de chopper cette fonctionnaire par le colback et de la secouer jusqu’à faire tomber toute sa connerie…
Le film fustige ce comportement, symptomatique de l’époque dans laquelle nous vivons. D’ailleurs, le fait de dérouler l’action sur la période d’un quinquennat, du séisme politique qu’a constitué la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, permet de bien saisir les mutations de la société française de ce début de XXIème siècle : repli communautaire, nationalisme exacerbé, individualisme forcené, législation à l’emporte-pièce…
Face à tout cela, Michel Leclerc et Baya Kasmi, nous proposent une oeuvre qui bouscule les préjugés et les idées reçues, qui montre que les choses ne sont pas aussi simples et tranchées qu’elles n’y paraissent.
Chaque individu, chaque destin est différent, et c’est tant mieux !
La différence est une richesse, tout comme le brassage culturel, ethnique, social.
Alors, cessons d’avoir peur de l’Autre, de le stigmatiser, de le catégoriser, de lui prêter tout un tas de mauvaises intentions… Allons les uns vers les autres, discutons, débattons, dans le respect mutuel et la tolérance…
Si Arthur et Bahia n’avaient pas fait taire leurs préjugés, ils ne seraient jamais allés l’un vers l’autre, n’auraient jamais sympathisé et n’auraient jamais été en mesure de vivre leur belle histoire d’amour…
Si Michel Leclerc et Baya Kasmi n’avaient pas fait taire leurs préjugés, ils ne seraient jamais allés l’un vers l’autre et nous n’aurions jamais eu le bonheur de découvrir cette comédie brillante, enthousiasmante, jouissive même…
Eux n’ont pas besoin de coucher avec le public pour conquérir son coeur. Ils parviennent sans peine à nous convertir à leur noble cause, que l’on pourrait résumer ainsi : “Faites l’humour, pas la guerre…”.
En conclusion, nous ne dirons que deux mots : “Bravo” et “Merci”…
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Le Nom des gens
Le Nom des gens
Réalisateur : Michel Leclerc
Avec : Jacques Gamblin, Sara Forestier, Carole Franck, Zinedine Soualem, Jacques Boudet, Michelle Moretti
Origine : France
Genre : comédie irrésistible, avec fond politique marqué.
Durée : 1h36
Date de sortie France : 24/11/2010
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Libération (comme quoi…)
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Tres belle histoire qui fait réfléchir, et on rit bien.