Gaspard (Grégoire Leprince-Ringuet), un jeune homme sans histoires, passe ses vacances d’été dans le sud de la France, partageant son temps entre ses amis et sa nouvelle copine, Marion (Pauline Etienne). Un jour, dans une cabine de plage, il trouve un téléphone portable oublié et se lance à la recherche de sa propriétaire.
A priori, rien d’extraordinaire… Pas de quoi en faire un film… Sauf si la demoiselle en question, Audrey, a tout de la femme fatale de film noir : belle, ultra-sexy (et pour cause, c’est Louise Bourgoin qui lui donne chair…), mystérieuse, inaccessible et dangereuse. Déjà pour elle-même, car elle semble tiraillée par de violentes pulsions suicidaires… Ensuite, vis-à-vis des hommes qui gravitent autour d’elle, qu’elle ensorcelle et entraîne dans sa folie autodestructrice…
Quand Gaspard la rencontre pour la première fois, elle gît inanimée au volant de sa voiture, après une tentative de suicide aux gaz d’échappement. Il réussit à l’extirper du véhicule et à la sauver de l’asphyxie. En revanche, il est trop tard pour le compagnon de la jeune femme, déjà décédé…
Gaspard devrait retrouver sa petite vie tranquille, mais il ne peut plus arrêter de penser à Audrey, fasciné par cette femme étrange, mélange de sensualité brute et de pulsions morbides… Il tente de l’approcher directement, mais la présence du frère de la jeune femme, un gars pas franchement accueillant, l’intimide et le contraint à tenter une autre approche… virtuelle.
Ayant appris qu’Audrey est accro à un jeu en ligne appelé “Black Hole” (1), sorte de “Second Life” version gothique – un univers sombre, nocturne, déprimant, en noir & blanc – il se connecte également.
Peu à peu happé par le charme d’Audrey et par le jeu lui-même, Gaspard délaisse Marion et le reste de sa bande de copains, entamant une lente descente aux enfers…
La mise en place de l’intrigue de L’autre monde est intéressante, intrigante. Elle laisse présager un film noir assez subtil, jouant sur la perte des repères, sur la frontière entre le monde réel et le monde virtuel, sur les notions de fantasme et d’addiction.
On s’attend d’autant plus à être emportés par cette histoire qu’elle est signée par le tandem Dominik Moll / Gilles Marchand, qui nous avait bluffés avec les scénarios de Harry un ami qui vous veut du bien, de Lemming (tous deux réalisés par Moll) ou de Qui a tué Bambi? (réalisé par Marchand).
Malheureusement, on déchante assez vite, terrassés par l’ennui que finit inexorablement par provoquer ce thriller mollasson, faussement sulfureux et manquant cruellement de consistance.
Et curieusement, c’est essentiellement du côté du script que le bât blesse…
Dominik Moll et Gilles Marchand ont beau, comme dans leurs précédents films, s’appuyer sur des références cinématographiques majeures telles que Alfred Hitchcock ou David Lynch, cela ne suffit pas à transcender une intrigue cousue de fil blanc, reposant sur des rebondissements éculés et très mal amenés, que n’importe quel spectateur aura tôt fait de deviner… et de trouver ridicules.
On aurait aimé que le scénario repose davantage sur la notion de fantasme, que les auteurs assument pleinement le côté érotique sulfureux du film, accentue l’opposition des personnages de l’affriolante Audrey et de la sage Marion.
On aurait également aimé que Gilles Marchand ose faire basculer son film plus franchement dans une structure psychanalytique/onirique lynchienne.
D’accord, il l’avait déjà tenté dans Qui a tué Bambi? pour un résultat des plus mitigés, et il a sûrement été un peu échaudé par l’accueil réservé à ce premier film. Et sans doute a-t-il opté pour une intrigue plus classique afin d’éviter les comparaisons, forcément écrasantes, avec des oeuvres abordant des thèmes proches, telles que Blue Velvet, Lost highway ou Sueurs froides…
Mais, en versant dans la facilité scénaristique et la frilosité, lui et Dominik Moll passent complètement à côté du potentiel narratif qu’offraient leurs sujets…
L’interprétation n’aide pas vraiment…
Grégoire Leprince est assez fade dans le rôle de Gaspard. A priori, cela n’a rien de gênant. Au contraire, il fallait que le héros soit un homme “jeune et innocent”, assez timide et introverti, pour qu’il puisse par la suite se libérer, livrer pleinement ses sentiments et s’abandonner à ses désirs les plus sombres, une fois abrité derrière son avatar virtuel. Le problème, c’est que le personnage n’évolue pas au cours du film, ou du moins insuffisamment. Dans Blue velvet, Kyle MacLachlan campait lui aussi un jeune homme ordinaire, bien sous tous rapports, mais qui gagnait en densité, en ambiguïté au fur et à mesure de sa plongée dans les bas-fonds et de sa confrontation avec des psychopathes pervers. Là, on quitte Gaspard / Grégoire Leprince-Ringuet aussi insipide qu’au début du film… Comme si la confrontation avec sa part d’ombre, ses désirs les plus noirs, n’avait pas affecté sa psyché…
Melvil Poupaud n’est guère plus convaincant. Surjouant constamment les quelques scènes qu’il a à défendre, il ne parvient jamais à rendre crédible son personnage, frère surprotecteur aux intentions troubles et petit caïd hargneux…
Les filles s’en sortent un peu mieux : Louise Bourgoin joue de ses charmes pour créer une aura érotique forte autour de son personnage, mais elle est obligée de s’effacer assez vite au profit de son double de pixels, et n’a que peu d’occasions pour affiner un peu son rôle. Pauline Etienne, parfaite incarnation de la pureté, de l’innocence et de la simplicité, confirme sa montée en puissance et parvient elle aussi, en peu de scènes, à donner beaucoup d’intensité à son personnage.
Si l’on parvient à s’accrocher jusqu’au bout de cette intrigue mollassonne, c’est en grande partie grâce à elles, et à l’environnement visuel du film.
Car il faut bien admettre que la partie animée du film, celle qui se passe dans “l’autre monde”, est particulièrement soignée, dans l’esprit du Renaissance de Christian Volckman (2). Les décors, notamment, sont splendides, envoûtants. On aimerait bien pouvoir naviguer un peu plus longtemps au coeur de ces lieux aux noms riches en promesses : le club “Black heaven”, la Plage noire…
Dommage que les auteurs n’aient pas plus cherché à creuser l’opposition entre cet univers sombre, glacial et les paysages naturels baignés de lumière dans lesquels évoluent les jeunes protagonistes, et à la rapprocher de celle entre Marion, lumineuse, passionnée, “nature” et Audrey, âme grise mélancolique et tourmentée…
Second long-métrage de Gilles Marchand, L’autre monde s’avère donc particulièrement frustrant. Il n’est pas exempt de qualités artistiques et d’idées de mise en scène, brasse des thématiques intéressantes, mais pèche par un scénario bien trop faible au regard du potentiel du projet.
Les festivaliers cannois ne s’y sont pas trompés, réservant au film, projeté hors compétition, en séance de minuit, un accueil très mitigé – applaudissements timides et rares, quelques traditionnels sifflets de mécontentement, et, majoritairement, un ennui poli et une indifférence assez glaciale qui ne se justifiaient pas que par l’heure tardive de projection…
A vous de voir, donc, si vous voulez vous laisser entraîner dans cet Autre monde, virtuellement alléchant sur le papier mais réellement décevant à l’écran…
(1) : Le nom du jeu est un clin d’oeil à la bande-dessinée éponyme de Charles Burns, exécutée dans un noir et blanc très contrasté.
(2) : Film d’animation sorti en 2006, tourné selon des techniques propres au jeu vidéo et reposant sur une intrigue de film noir futuriste.
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Réalisateur : Gilles Marchand
Avec : Grégoire Leprince-Ringuet, Louise Bourgoin, Melvil Poupaud, Pauline Etienne
Origine : France
Genre : virtuellement lynchien/hitchcockien
Durée : 1h40
Date de sortie France : 14/07/2010
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Le Monde (l’autre? euh…)
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